Réfugiés tchèques: les Bisontins sourds à l’appel du maire Charles Siffert

Septembre 1938 : les accords de Munich semblent écarter le risque de guerre en France. Les réfugiés tchèques arrivent à Besançon, dénués de tout : lorsque peur et solidarité ne font pas bon ménage…


Nombre d’observateurs ont été frappés par le fait que la récente campagne électorale a été surtout hexagonale. Les problèmes internes à la Communauté Européenne, les rapports entre la CEE et les pays de l’ex bloc Soviétique en pleine ébullition, ont été peu présents sans parler des relations entre le nord et le sud. Ce repli frileux sur nos querelles internes n’est pas un fait nouveau: en 1938 le Maire de Besançon Charles Siffert en fit l’amère expérience.

Dans le cadre de la très riche exposition présentée en 1993 par le Musée de la Résistance à la Citadelle consacrée aux étrangers dans la Résistance, un document attire l’attention il s’agit d’une affiche datée du 18 octobre 1938, publiée par la mairie de Besançon et dont voici le texte.

“Souscription en faveur des réfugiés tchécoslovaques. “Le sacrifice que le Gouvernement tchécoslovaque a consenti à la cause de la paix a forcé admiration de tous les peuples civilisés”.
“Le dur traitement que subit aujourd’hui cette nation

amie, si digne et si courageuse, est cruellement ressenti par tous ceux qui, chez nous, sont épris de justice et de liberté. Son malheur nous inspire une profonde compassion. Des milliers de familles souffrent moralement et physiquement. Des enfants, des innocents expient la faute d’appartenir à un pays trop faible, quand d’autres toujours animés d’un esprit de domination nourrissent le criminel dessin d’asservir le monde”. “Pour soulager tant de misères, pour aider à réparer les ruines, pour atténuer le martyre d’un peuple qu’accable un si tragique destin, la municipalité de Besançon fait appel à tous les gens de coeur.” “D’avance elle remercie les généreux donateurs. Ces fonds pourront être versés à la Mairie”.
Or, il fallut attendre le 27 octobre pour que soit publiée une première liste de 36 donateurs dont… les trois quarts étaient conseillers municipaux. Au total lorsque la souscription fut close, 77 Bisontins avaient versé leur obole chiffre très faible. Il ne fut fait aucune allusion à ce bilan au Conseil Municipal.
Pourquoi un tel fiasco ? Pourquoi le Maire de Besançon avait-il pris le risque d’un échec? Pourquoi les Bisontins ont-ils boudé son appel?


Le contexte de Munich
Après avoir annexé l’Autriche à l’Allemagne (Anschluss) en mars 38 Hitler s’en prend à la fragile Tchécoslovaquie, fragile parce que née au lendemain de la première guerre mondiale elle est très hétérogène : sur ces 13 millions d’habitants 7 millions sont tchèques, 3 millions slovaques qui souhaitent une autonomie, 3,2 millions allemands – ce sont les fameux Sudètes de plus en plus travaillés par la propagande nazie – tandis que 750 000 hongrois se tournent vers Budapest et que la Pologne revendique des districts frontaliers. A la conférence de Munich (29-30 septembre) Hitler obtient des ministres français et anglais Daladier et Chamberlain de pouvoir occuper les terres des Sudètes. L’accord provoque ce que Léon Blum qualifie de “lâche soulagement”. En France ce fut une explosion de joie. Ouf! le risque immédiat de guerre paraissait écarté. Réuni en session extraordinaire le 3 octobre, le conseil municipal de Besançon votait à l’unanimité le texte suivant: “Le Conseil Municipal radical socialiste de Besançon, ville frontière, qui s’était préparée dans le calme et la résolution à remplir son rôle d’avant- garde, adresse au Président Daladier l’expression de sa reconnaissance pour l’oeuvre de paix qu’il a accomplie en triomphant des plus grandes difficultés”
Mais le triomphe n’était qu’illusion. Dès le 28 septembre la “République de l’Est” se demandait si dans sa volonté de récupérer les terres anciennement allemandes, Hitler n’allait pas revendiquer l’Alsace… et pourquoi pas le Pays de Montbéliard. Le 20 octobre dans le même journal le sénateur Georges Pernot, une des personnalités les plus influentes, dans le Doubs, écrivait “Prenons garde. Le programme de MEIN KAMPF se réalise avec une impressionnante régularité. Une fois que le Reich sera maître de l’Europe Centrale, c’est du côté de l’Ouest qu’il tournera ses regards et dirigera ses efforts. Sans doute le chancelier Hitler a t-il affirmé solennellement qu’une fois réglée la question des Sudètes, il n’aurait plus aucune revendication territoriale à formuler en Europe. Mais n’avait-il pas juré, il y a moins d’un an, de respecter l’intégrité de la Tchécoslovaquie et ne continue-t-il pas à laisser imprimer dans “Mein Kampf’: “avec la France aucune réconciliation n’est possible. Il faut lui régler son compte”.
Le 3 octobre le Petit Comtois consacrait le titre de sa première page au ‘grignotage de la Tchécoslovaquie, le 8 ‘il annonçait que la Slovaquie se donnait un gouvernement autonome’, le 11 il titrait à nouveau “Hongrois, Polonais et Allemands grignotent la terre tchécoslovaque” tandis que 140 000 tchèques fuyaient les régions passées sous l’autorité nazie.


Les raisons de l’appel du Maire de Besançon
Charles Siffert n’était pas un spécialiste de politique étrangère. Né en 1876 il avait d’abord exploité le “Café du Caveau” que son père tenait au coeur de la Boucle, à l’angle de la rue des Chambrettes (aujourd’hui rue d’Anvers) et de la rue Saint Antoine (aujourd’hui nie Emile Zola). Parti à la guerre simple soldat, il en était revenu officier d’administration. Elu maire en 1925, 11 était le fondateur d’une prospère entreprise de commerce de boissons le fameux “Limonadier Comtois” et avait pris la présidence de la puissante Confédération Nationale des Hôteliers, débitants de boissons, restaurateurs de France.
Charles Siffert était un fidèle radical socialiste et dans son milieu, on éprouvait une grande sympathie pour la Tchécoslovaquie parce qu’elle était dirigée avec le Président BENES, par des cousins des radicaux français, très attachés à la laïcité dans un pays où la tradition anticléricale était ancienne et vivace, la franc-maçonnerie très implantée et très liée aux loges soeurs françaises. La Tchécoslovaquie était à l’Est le seul pays dont la vie politique ressemblait à celle de la Fiance.
Charles Siffert et ses amis voulaient-ils tenter de réparer l’abandon peu glorieux par la France d’un pays allié, puisque des accords franco-tchécoslovaques de 1924 et 1925 comportaient une promesse d’assistance militaire? Les radicaux de chez nous appuyaient la diplomatie française, qui avait conclu en 1922 avec la Yougoslavie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie une alliance la “Petite Entente”, de nature espérait-on à tenir en respect l’Allemagne pour le cas où celle-ci se réveillerait et redeviendrait menaçante. Mais en 1938 on ne trouve dans la presse bisontine aucun exposé des thèses d’un certain … colonel De Gaulle l’allliance avec la Petite Entente n’a de sens que si la France dispose d’un corps d’intervention à même de dissuader un éventuel agresseur d’éliminer de la carte nos petits alliés.., avant de se retourner contre nous. La France est plus petite que l’Allemagne, le concours de la Petite Entente rétablit l’équilibre, mais si la Tchécoslovaquie, la Pologne alliées sont écrasées, l’alliance n’existe plus que sur le papier, l’équilibre recherché est rompu.


Les raisons du silence des Bisontins
Rien ne dit que la municipalité bisontine avait réfléchi à ce genre de “Kriegspiel”. Il est vrai que tout à la joie d’avoir échappé à la guerre (pendant la période de tension 750 000 réservistes avaient été mobilisés, des milliers d’hommes avaient rejoint les casernes de Besançon et l’on avait beaucoup bu lorsque fut connue la nouvelle de l’accord de Munich). La presse avait ignoré les critiques. Silence sur la fulgurante interpellation de Churchill aux Communes. “Les accords de Munich peuvent être résumés de façon fort simple le dictateur a réclamé d’abord une livre sterling, le pistolet au poing. Quand on la lui eut donnée, il a réclamé, deux livres sterling. Finalement, il a bien voulu se contenter de prendre une livre, dix sept shillings et six pence”.
Si les Bisontins non pas été sensibles à l’appel de leur maire, ça ne fut pas par défiance à l’égard de l’homme. M. Siffert était respecté ; en 1939 lors du décès de ce libre-penseur, le quotidien catholique rendit un hommage inhabituel au défunt “dont chacun se plait à célébrer l’esprit d’impartialité, le travail et les qualités administratives”.
Mais nos concitoyens étaient marqués par la peur de la guerre et un sursis gagné paraissait toujours bon à prendre, même si c’était reculer pour mieux -c’est le cas de dire- sauter. Imaginons l’ambiance qui devait régner dans notre bonne ville quand le 3 octobre 1938 le conseil municipal décidait de voter des crédits pour l’éclairage des deux tunnels de la Citadelle (celui du canal et celui du tacot) afin d’accueillir la population en cas de bombardement tandis qu’un élu proposait d’utiliser des équipes de chômeurs pour ignifuger les greniers dans le cadre de la lutte contre les effets des bombes incendiaires…
Dès décembre 1936 il avait été décidé d’installer le téléphone au clocher de St-Pierre où un service de guet devait avoir la charge, en cas d’attaque aérienne, d’annoncer l’arrivée des avions, leur départ après le bombardement, de signaler les incendies. Plus tard la sirène n’étant pas jugée assez puissante pour être entendue sur tout le territoire communal, il fut décidé qu’en cas de besoin, elle serait relayée par le tocsin des cloches de St-Ferjeux, StCtaude, Velotte et les Chaprais.
Dans ce contexte la solidarité avec la Tchécoslovaquie jouait peu. C’était l’époque où à l’école on apprenait à faire des cartes par coeur, et l’une des plus difficiles à se mettre en tête, c’était bien celle de ce pays biscornu…
Avec le recul du temps on peut estimer que nos concitoyens n’ont pas perçu les enjeux majeurs. Facile à dire. Essayons plutôt de tirer les leçons même si l’histoire ne se répète pas. Voici qu’à nouveau Tchèques et Slovaques se séparent, il est vrai à l’amiable, tandis que les surenchères nationalistes se multiplient dans les anciennes démocraties populaires.
Ne soyons pas myopes, le maire Siffert avait eu le courage d’aller à contre courant, de rappeler que la solidarité devait jouer à l’égard d’un pays allié dont le peuple aimait le France mais peut-être avait-il sauvé l’honneur.

Extrait d’un article de Joseph PINARD paru dans le BVV d’avril 1993

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