Lorsqu’ils se lancent dans l’action, les Espagnols prouvent qu’ils sont des combattants hors pair dont la valeur finit par en imposer aux autres résistants.
D’où viennent-ils ?
[…] Présenter ici les itinéraires des Républicains espagnols n’aurait guère d’intérêt, tant ils sont classiques : combat dans les rangs de l’Armée républicaine, passage en France en février 1939, internement dans les camps, envoi dans les compagnies de travail, puis, à l’Armée, dans des compagnies de prestataires ou dans des unités combattantes. Tous les Républicains espagnols dont nous avons pu détecter la présence dans la Résistance comtoise, en tout cas pour le Doubs et le Jura, ont suivi ce périple; aucun ne s’est installé dans la région avant la défaite.
A partir de 1940, certains reprennent pour un temps leur place dans les compagnies de travailleurs étrangers de zone non occupée. D’autres, s’étant vu refuser en juin 1940 le passage en Suisse du fait de leur nationalité, s’installent en Franche-Comté pour y travailler. Manuel Esposito (avec cinq de ses camarades) devient commis de ferme dans le Haut-Doubs ; honteusement exploité, servant de bonne à tout faire et tenu d’aller à la messe le 15 août, il préfère quitter les lieux. Manuel Esposito travaille ensuite dans le bûcheronnage et les Travaux publics jusqu’en 1944, date à laquelle il rejoint le maquis FTP (Les Francs Tireurs et Partisans) de La Chapelle (au sud de Dole).
Juan Torres a un itinéraire semblable, il rencontre au début de 1943, à l’entreprise Carmille, deux Républicains espagnols responsables FTP, Robledo et Trabado, qui eux aussi se sont employés chez des cultivateurs et entrepreneurs de la région.
La dizaine d’Espagnols qui constituent un noyau de résistance particulièrement actif autour de Dole viennent des chantiers de l’organisation Todt (à Lorient principalement). Puis ils s’embauchent dans l’entreprise de Travaux publics Bianchi-Gartner qui les fait migrer dans différents lieux de France : Tours, St-Dizier et finalement, en mars 1943, Tavaux (camp d’aviation proche de Dole) où l’entreprise travaille pour les Allemands. Certains vivent ensemble à l’Hôtel de France à Dole. D’autres ont pris pension chez l’habitant où ils s’intègrent merveilleusement (et parfois pour la vie lorsqu’à la Libération ils épouseront la fille de la maison comme Théodore Garcia). Ceux de Tavaux travaillent en équipe sous la direction d’Alvaro Vazquez, chef électricien, et tout naturellement à partir de l’automne 1943, chef de l’équipe de sabotage. Les autres forment un groupe de sabotages et coups de main dirigé par Manuel de Castro.
Cette installation de Républicains espagnols à Dole et dans sa région doit beaucoup aux circonstances; peut-elle être mise en relation avec l’hospitalité réservée aux réfugiés dans les années 30 ? Nous ne saurions l’affirmer. Il n’y a pas de lien direct entre les deux structures d’ “accueil”: monde enseignant et milieu socialiste dans les années 30, monde ouvrier et milieu communiste sous l’occupation. Mais on ne peut exclure que les premiers aient impulsé ce climat de tolérance et d’ouverture d’esprit dont les seconds font preuve en réservant une telle place à des combattants étrangers.
Des combattants aux mérites éclatants et reconnus
Lorsqu’ils se lancent dans l’action, les Espagnols prouvent qu’ils sont des combattants hors pair dont la valeur finit par en imposer aux autres résistants. En février 1943, à la demande de l’interrégional FTP ‘Philippe”, Balthasar Robledo, crée et dirige le détachement “Marius Vallet”. Son groupe, Outre Saturnino Trabado, recrute occasionnellement d’autres Espagnols embauchés dans la région et des Français comme les frères Molard. Ils ont à leur palmarès une demi-douzaine d’opérations jusqu’à ce que la répression s’abatte sur les FTP de la région de Besançon. Robledo et Trabado figurent le 26 septembre 1943 parmi les 16 fusillés de la Citadelle de Besançon. Ce sont les deux seuls membres du détachement Marius Vallet: ils n’ont livré aucun nom.
Les Espagnols de Jura Nord constituent à Dole le groupe “Pasteur” qui réussit des sabotages ferroviaires, des destructions sur le camp d’aviation de Tavaux puis une spectaculaire opération (indûment revendiquée par les SOE (Le Special Operations Executive – Direction des opérations spéciales) dans la poudrière de Crugey, en Côte d’Or, détruite le 17juin 1944. Au maquis de La Chapelle, les Espagnols du Jura et les rescapés du Doubs forment, sous la direction de Théodore Garcia, l’équipe espagnole du “groupe international” qui participe à l’une des plus belles opérations de guérilla, l’attaque d’un convoi allemand, au Comice, le 26 août 1944. Manuel de Castro, chef du groupe puis détachement Pasteur, est, le 24 mai 1944 choisi par ses pairs pour commander le secteur FTP de Dole. On imagine ce que devait être son prestige pour que ses camarades français lui confient une telle responsabilité. […]
In « Italiens et Espagnols en France 1938-1946 » sous la direction de Pierre Milza et Denis Peschanski. Colloque international, Paris, CNRS, 28-29 novembre 1991.