L’immigration marocaine en Franche-Comté et à Besançon

C’est par l’histoire de l’immigration marocaine en France et plus particulièrement en Franche-Comté, puis par les témoignages de deux générations successives de Marocains résidents à Besançon que cette étude sera sillonnée.


L’histoire joue un grand rôle dans les différentes formes d’immigration maghrébines. La France est le partenaire majeur de ces vagues migratoires tout au long du XXè siècle et si la colonisation est la cause commune de ces liens, les passés migratoires sont bien différents entre l’Algérie, la Tunisie et le Maroc : « les contingentements successifs par la France de l’immigration algérienne en 1964, 1978 et 1872, puis son arrêt officiel après 1974 ont généré un accroissement notable des effectifs marocains et tunisiens »(1).
C’est à l’accroissement de l’immigration marocaine et à son déploiement spatial que s’intéresse Myriam Moubtassim dans son mémoire de maîtrise de géographie; « L’immigration marocaine en Franche-Comté » effectué à Besançon en 1996. Son étude est orientée sur trois niveaux; national, régional et enfin local avec la ville. Si le premier niveau est général et s’attache aux raisons historiques des départs des Marocains pour la France, les échelles plus circonscrites de la région et de la ville de Besançon (entre autres) pénètrent dans le quotidien des immigrés afin d’explorer le profil des migrants, leur perception d’eux-mêmes et de leur lieu de vie.

(1) Jean-Paul Gourévitch, Les migrations en Europe, Acropole, Saint-Amand-Montrond, 2007.


I. L’évolution de l’immigration marocaine dans le temps

Avec le premier conflit armé, les Marocains découvrent la France en étant mobilisés dans l’armée. Les soldats sont envoyés sur les fronts tandis que le décret du 14 septembre 1916 prévoit le recrutement par embauches volontaires ou par réquisitions de la main-d’œuvre (des plus de 45 ans) pour les usines de guerre. Ces premiers recrutements fixés par le ministère de la Guerre sont caractérisés par de très nombreux retours au pays à la fin du conflit en 1918. L’immigration est marginale et temporaire, elle ne concerne encore que les travailleurs coloniaux en France et les soldats.
L’immigration légale est suspendue en 1928, après la guerre du Rif (1921-1926 qui oppose les populations du Rif aux armées françaises et espagnoles) mais reprend bientôt, encadrée par des administrations. La création en 1938 du service d’émigration sous tutelle du secrétariat général du Protectorat marque l’organisation de la venue des travailleurs Marocains en France dans le cadre du soutien à une économie de guerre; chargé de passer des accords avec les employeurs et d’assurer le voyage des Marocains vers la France, le secrétariat général du Protectorat envoie plus de 30000 travailleurs entre 1939 et 1949 pour des contrats de 6 mois. À cela, il faut ajouter les corps expéditionnaires marocains débarqués en métropole. À la fin de la seconde guerre mondiale, environ 10000 Marocains sont en France, pour la plupart des militaires démobilisés.
L’indépendance marocaine de 1956 est concomitante des besoins accrus de l’Europe occidentale en travailleurs. Le véritable tournant, explique Myriam Moubtassim, date de 1962-63 alors que le Maroc et la France signent une convention qui permet à une mission de l’Office National d’Immigration (O.N.I.) français de s’installer à Casablanca. Les plus jeunes sont favorisés (moins de 30 ans) pour des emplois saisonniers stoppés dix ans plus tard par l’arrêt soudain du recrutement officiel de main-d’œuvre. En effet, en 1974, la politique française en matière d’immigration change radicalement avec la création du secrétariat d’État aux Immigrés et les premières mesures pour « limiter de façon drastique l’entrée des étrangers […]. L’aggravation de la crise économique et du chômage pousse le gouvernement à accentuer sa politique de protection nationale en pratiquant une politique de retour »(2). Ces mesures cèdent la place à une immigration plus clandestine et au regroupement familial dont l’autorisation date de 1975 en France (avec le premier ministre Jacques Chirac). Un an plus tard, l’immigration familiale marocaine est la plus importante en nombre de personnes et l’on assiste à la féminisation de la population marocaine en France. En 1990, le Maroc est le premier pays-source en terme d’immigration vers la France.

(2) Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècle), discours publics, humiliations privées, Librairie Arthème Fayard, Saint-Amand-Montrond, 2007, p. 580.


II. L’immigration marocaine en Franche-comté et à Besançon

La Franche-Comté n’est pas la première région d’accueil des migrants marocains (l’Ile-de-France, la Provence-Alpes-Côte-d’Azur, la région Rhône-Alpes et le Nord-Pas-de-Calais sont en tête des régions d’accueil) mais les Marocains y représentent la première nationalité étrangère dans les années 1990, soit 16507 personnes (recensement de l’INSEE de 1990).
Avec la seconde guerre mondiale, le huitième Régiment des Tirailleurs marocains s’était installé à Belfort et Lons-le-Saunier. La Division d’infanterie coloniale marocaine et le Régiment d’infanterie coloniale du Maroc aident les troupes et les tirailleurs à libérer la région mais peu d’entre eux resteront après la guerre. 
Les migrations marocaines sont, dans une large mesure, récentes et poursuivies tardivement; de la fin des années 1960 aux années 1980. Ainsi, pour la Franche-Comté, Myriam Moubtassim remarque que la majorité des marocains s’installent dans le départements du Doubs. Besançon, avec ses industries, son rôle de capitale régionale et la présence de l’université est une zone de concentration des immigrés marocains en Franche-Comté. La ville regroupe, sur l’ensemble de ses cantons 2101 Marocains en 1990, soit 1,7% de la population totale et 19% des étrangers. Les Marocains se retrouvent surtout dans les grands ensembles périphériques et les zones de H.L.M. telle que Planoise.
Ainsi, les migrants marocains, en majorité des ouvriers se retrouvent à proximité des sites de production (comme l’entreprise Peugeot à Sochaux, Montbéliard, Valentigney). La répartition de la population marocaine répond donc essentiellement à des facteurs d’ordre économique.


III. La population marocaine de Besançon

Un questionnaire est soumis aux immigrés marocains de plusieurs villes franc-comtoises grâce à l’aide d’associations culturelles et sportives marocaines et françaises. Le but de cette enquête et de dégager la vision que ces hommes portent sur eux-mêmes et sur le monde dans lequel ils vivent après leur migration. C’est pourquoi l’auteur soumet un questionnaire différent selon les âges des participants; deux générations apprécient alors leur quotidien et leur place dans la société.
Les plus jeunes, en moyenne (filles et garçons mêlés), ont entre 15 et 20 ans et l’examen des lieux de naissance montre qu’ils sont largement nés en Franche-Comté même s’ils disent se sentir plus Marocains que Français et gardent également un contact régulier avec le pays d’origine de leur parents. Au sein de familles nombreuses (5 frères et sœurs), ces jeunes sont orientés vers les études par leurs parents qui voient dans l’éducation le moyen de mener une vie heureuse et de trouver un bon emploi. La scolarité est très importante d’autant plus que la présence de l’université de Besançon représente un facteur d’ambition supplémentaire. Toutefois, ces jeunes ont une mauvaise opinion de leur quartier qu’ils perçoivent comme animé (ils font partie d’associations sportives, culturelles) mais désagréable et souffrant d’une image ternie. Ces difficultés sont accentuées par les problèmes de racisme dont ils font l’objet et qu’ils placent en tête de leurs inquiétudes face à l’avenir (recherche d’un emploi, d’un logement…).
Quant aux adultes, Marocains originaires surtout de Casablanca, El Jadida et Fès, ils ont entre 40 et 50 ans et sont, pour la plupart arrivés entre 1966 et 1975. En grande partie sans emploi avant de gagner la France (ou ouvriers, artisans…) et n’ayant pas fait d’études ou peu (pas au-delà du collège), ils sont employés à des tâches sans qualification; leurs revenus sont souvent modestes et ils vivent dans les habitats collectifs. Ils avouent alors se sentir d’avantage Marocains que Français et se considèrent avant tout comme des musulmans pratiquants. La religion est en effet plus présente dans la vie des adultes que des plus jeunes qui pratiquent le jeûne du Ramadan mais moins les prières quotidiennes. Le racisme préoccupe les adultes même si ce sont surtout les problèmes liés à la recherche d’un emploi qui les placent dans une situation d’urgence. Le taux de chômage est élevé pour les migrants marocains et l’envie du retour au pays se fait plus largement ressentir.
Les divergences entre les générations tiennent alors aux relations avec le pays d’origine des parents: « les différences viennent surtout des enfants qui vont bouleverser les schémas d’avenir qui étaient définis au début de l’immigration [par leur scolarisation, la pratique du français, la culture entre les habitudes du foyer et la vie civile] et vont donc les ancrer plus longtemps et pour beaucoup définitivement en France. Il est nécessaire que la société française cesse de les voir comme des personnes de passage mais comme des acteurs à part entière de la société française »(3).

(3) Myriam Moubtassim, L’immigration marocaine en Franche-Comté, mémoire de maîtrise de géographie, Besançon, 1996, p. 132.


Ainsi, l’immigration marocaine importante depuis les années 1960 obéit à la loi de l’offre de d’emploi, aux impératifs économiques comme elle répondait avant aux besoins de guerre et aux relations de domination imposée par l’entreprise coloniale française. Avec le regroupement familial, on assiste au passage d’une immigration masculine à une population plus féminine. Au total, les Marocains immigrés représentent la première nationalité étrangère de la région Franche-Comté où ils favorisent l’installation dans les villes dont  Besançon (industrielle et abritant l’université) afin de résoudre la question de l’emploi et du logement. Si les adultes sont les gardiens d’habitudes et de modes de vie hérités de leur passé au Maroc, les plus jeunes tendent à réaliser leur projets et leur avenir en France.

Résumé réalisé par Clarisse CATY, d’après Myriam Moubtassim, mémoire de maîtrise de géographie, Besançon 1996

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