1973 : la France cherchait de la main d’oeuvre

M. Kocaman, 63 ans, et sa fille, 43 ans, évoquent les étapes de leurs parcours de travailleurs immigrés, depuis l’entretien des forêts et des jardins jusqu’à la retraite, avec des difficultés pécuniaires fréquentes.


Le travail

Mlle Kocaman : Mon père est arrivé en août 1973. La France cherchait de la main d’œuvre. Normalement il devait  venir travailler un petit peu et puis retourner, mais…  Il est venu pour travailler ici parce qu’avant en France, ils cherchaient de la main d’œuvre et puis il s’est inscrit et ça a marché. C’est la France qui demandait. Par exemple, la France voulait des ouvriers. Il y avait de la demande et puis les gens là-bas se sont inscrits. C’est la France qui demandait la main d’oeuvre. Dans le temps, ils cherchaient. On pouvait venir comme ça. Ils sont arrivés là.


C’était un accord entre la France et la Turquie, c’était un appel de l’étranger. Et puis les gens partaient. Il y en a pour qui ça tombait en France, il y en a pour qui ça tombait en Allemagne ; c’est tombé comme ça. Les gens venaient, on ne savait pas où ils allaient. Comme en Allemagne, c’était tous dans le charbon. En Allemagne, ils travaillaient dans le souterrain. C’était ça ou un autre travail.

Quand il est venu en France le boulot était déjà prévu. Son premier travail c’était dans la faïence. Il a fait dans le carrelage, la faïence, la maçonnerie. Il a trouvé ça. Il posait de la faïence dans les toilettes, les salles de bains. Ça c’était un truc qu’il n’avait jamais fait avant. Il était cultivateur avant. Il travaillait dans les champs normalement. Il n’y avait pas de grands arbres chez nous. Il n’y avait pas de machines, on coupait à la main. C’était comme ça aussi en France avant qu’il y ait les machines.

Et après il a travaillé dans la forêt, dans la jardinerie, la tondeuse et après il a eu un accident. Ensuite il a travaillé dans une usine à Chemaudin.

M. Kocaman : J’ai travaillé deux mois dans le bâtiment et après je suis parti dans les bois. Je plantais, coupais les arbres. C’était pour un particulier. J’ai travaillé à Orchamps-Vennes, Cuisance, Pierrefontaine, Morteau. Comme j’étais jardinier, je travaillais chez des particuliers, donc ils m’envoyaient partout ; les jardiniers, ils vont partout.

Mlle Kocaman : Et puis il a quitté le Haut-Doubs pour venir à l’Amitié. C’est son patron qui lui a dit. Il est allé là où il trouvait plus facilement du travail et puis il y avait de la famille. C’est pour ça qu’il est venu là. Au début, à Besançon il travaillait aussi en jardinerie. Et quand nous on est arrivées il faisait ça aussi. Mais de toute façon il allait partout quand il coupait l’herbe.

On était déjà là, nous, quand il s’est coupé les pieds. C’était le 3 juillet 1976. Il est resté deux ou trois mois je crois en maladie. Et après il a quitté les jardins et a changé de travail. Il a trouvé du travail dans une usine à Besançon et après ils ont déménagé à Chemaudin. Ensuite ils ont eu des problèmes et c’est le patron qui l’a mis au chômage parce qu’il ne pouvait pas le garder. Il a été licencié. Maintenant il est au chômage.

Il était content de venir travailler en France pour gagner des sous. Il avait du travail en Turquie, mais il voulait rester au village, il ne voulait pas aller en ville. Mon père, quand il est allé en ville, il était déjà à la retraite. Mais lui, il voulait rester dans l’agriculture, il ne voulait pas aller en ville. Mais il est venu ici, à 4 000 kilomètres, alors… Et puis il est là, il est bien.

M. Kocaman : Je n’ai jamais été au chômage moi, toujours boulot, toujours boulot, même une heure…

Mlle Kocaman : Oui, mais maintenant ton patron, il te donne toujours boulot, toujours boulot, il te donne toujours des sous ton patron maintenant ? Fait voir ton patron maintenant. Il travaille, il travaille, et après c’est fini.

M. Kocaman : Il était content celui qui travaillait ; il était content aussi le patron ; il était content le chef ; il a perdu monsieur.

Mlle Kocaman : Eh bien oui, c’est normal parce qu’il ne manquait jamais le boulot. Il travaillait la nuit, il était toujours présent.



Les premiers logements

M. Kocaman : En arrivant en France j’ai habité à Orchamps-Vennes, à l’hôtel. Maintenant c’est une autoroute. Il y avait la mairie et à droite l’hôtel. En bas c’était le restaurant et au-dessus l’hôtel. Ma chambre était au troisième étage. C’était une chambre avec lit.

Je ne voulais pas ramener la famille. Mais comme je ne pouvais pas avoir les allocations, j’étais obligé de les ramener ici parce que ça faisait beaucoup de problèmes. Alors du coup je les ai ramenés. Et depuis on est là.

J’ai vécu quatre mois à l’hôtel et puis après chez le patron, dans sa deuxième maison. Le patron avait une maison et une deuxième… J’ai dormi chez le patron à Pierrefontaine. Là dans la maison, il y avait beaucoup de copains turcs. Il y avait aussi des Italiens, des Portugais, des Espagnols. Il y avait beaucoup de nationalités.

C’était une vieille maison. C’était la maison des vaches avant. Après ils l’ont nettoyée toute propre et tous les garçons couchaient là. C’était une écurie avant. Ils ont mis les matelas par terre et on dormait là.

Mlle Kocaman : De toute façon, ils ne pouvaient pas les mettre ailleurs. Et puis eux, ils n’avaient pas les moyens de payer ailleurs ; ils étaient obligés.

M. Kocaman : On était obligés aussi parce qu’on ne travaillait pas tous les jours à Pierrefontaine ; j’étais toujours en déplacement en Suisse, en Italie. Le patron, Monsieur L. était un grand patron ; beaucoup de personnes travaillaient pour lui. Et le soir on rentrait dormir à Pierrefontaine.




L’Amitié

M. Kocaman : J’ai habité deux ans à Pierrefontaine et après ici à l’Amitié en 1975.
A l’Amitié I c’était pareil, dans une chambre on était plusieurs. On était quatre, cinq personnes dans une chambre, ça dépendait. C’était tous des étrangers et que des hommes.

Il y avait beaucoup de monde avant. C’était tous des célibataires ; comme un foyer Sonacotra. On était 120, 180 personnes ici. Mais les gens restaient un jour, deux jours ; puis ils partaient en déplacement et quelqu’un d’autre arrivait.

Mlle Kocaman : Ça changeait tout le temps parce que ce n’était pas cher. Il y avait les lits, il y avait tout ; c’était comme un foyer. C’était tout dans le même bâtiment. Et puis il y avait le café là.
A l’Amitié I, il n’y a habité que quelques mois. De toute façon, il était obligé de louer un appartement pour toucher les allocations familiales. Il a loué cet appartement-là ,trois mois avant notre arrivée. Ça fait 32 ans bientôt. Les gens pensaient travailler un an et retourner après. Mais deux ans après, il nous a ramenés, nous.

M. Kocaman : C’était dur parce qu’on ne parle pas français.

Mlle Kocaman : C’était dur quand nous on est arrivés… Il y a la langue, mais il y avait aussi le boulot ; et puis il était séparé de sa famille. Déjà, on payait 513 francs le loyer et il ne touchait que 1200 francs. C’était 513 francs et il n’y avait pas de meubles, rien du tout. Il n’y avait rien, rien, rien.
Et puis on avait froid, ce n’était pas isolé avant. On faisait couler de l’eau chaude pour se chauffer. On chauffait la cuisinière. Il n’y avait pas autant de magasins. Le Casino à Saint-Ferjeux, là ; il n’y avait que ça avant. Et puis le Grand Casino, le Mammouth avant et le Coop à la place du Carrefour Chalezeule maintenant ; ils y allaient à pied. C’était cher aussi ; c’était pas comme maintenant : 1 euro, 2 euros, on trouve n’importe quoi. Ça va, on avait de la famille encore. On faisait un jardin juste là, en face du téléphone, là, en-bas. Il l’a fait tout de suite quand on est arrivés. On avait des haricots, des oignons, des salades… Et puis quand on va en direction de Beure vers la jardinerie haut dessus à droite, on passe le rond point là.  Eh bien on avait des jardins là-bas aussi. Depuis six ans on n’en fait plus. On n’a pas le temps. Enfin, nous on n’a pas le temps.



L’installation

Mlle Kocaman : On était trois enfants quand on est venus. Mon frère, lui, est né ici en octobre 1975 ; il a 30 ans déjà. Moi je suis arrivée à 11 ans. C’était dur. Même si on ne faisait pas de bêtises, c’était la personne à côté qui faisait, c’était toujours nous. On venait frapper à la porte et c’était nous. C’était dur, c’était très dur.

Quand ils sont arrivés tout le monde était pareil. Ils ne parlaient pas beaucoup français. Avant les gens ne sortaient pas beaucoup. Ils avaient leurs gosses, ils étaient petits. C’est pareil pour tout le monde. Le mari travaillait, il y avait les gosses à la maison. Ils ne se voyaient pas beaucoup, c’est pas comme maintenant. Les gosses, ils sont grands. Avant aucune femme ne travaillait ici, sauf deux, trois, c’est tout. Ils avaient trois, quatre gosses ; ils s’en occupaient la nuit, le jour.

On a toujours habité à l’Amitié, là, nous. Moi j’ai loué un moment à Montrapon et puis je suis revenue ici. On est bien à l’Amitié. Des fois, il y a trop de bruit, mais autrement on est bien. Tout le monde est comme une famille.

Propos recueillis et transcrits par Irène Serra Pires, Maison de quartier de Saint-Ferjeux.

Turquie

Besançon, France

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