Terre d’exil, Italie 1850

Cher Francesco Carenzo, mon arrière grand père de Ligurie
Depuis quelque temps,  je souhaite m’adresser à toi pour en savoir plus sur l’exilé que tu as été et surtout te remercier.
Merci d’être un jour parti de chez toi, Oneglia où tu es né et où, en 1858, tu t’es marié,   « profession  Charretier avec Giulia Berio, Couseuse ». Merci d’avoir quitté ton pays la Ligurie sur la côte Génoise.

Est-ce la misère qui vous chassa ?  Plusieurs vagues d’émigrations partirent pour la France,  l’Algérie et plus tard les Etats-Unis.
Ou est-ce pour des raisons politiques ? Il serait bien étonnant que l’histoire singulière d’une famille soit indépendante de l’Histoire d’un pays, de ses péripéties et de ses soubresauts.  Mais quel pays ? Nous sommes dans cette période en pleine formation du Royaume d’Italie…

« Terre d’exil » : est-ce celle que l’on quitte ou celle où l’on espère arriver ? Pourquoi Marseille et quand ?  après le décès de votre premier enfant, Giovanni Constantino, ou à la naissance du second appelé Pierre ?
L’acte de naissance du sixième, Charles – qui sera mon grand père –  apaisera notre curiosité : nous sommes en 1877, vous vivez au 28 de la rue Saint François d’Assise. Tu es Journalier, ton épouse Ménagère.  

Mais la vie à Marseille fut-elle à son tour si difficile ou bien les rêves d’une terre promise, ailleurs, furent-ils plus forts ?

« Terre d’exil » : est-ce plutôt celle à laquelle on aspire, où l’on fera sa demeure…. sa dernière demeure ? A peine en effet ce petit Charles est-il  né, que tu embarques tout ton monde pour une nouvelle terre, de l’autre côté de la rive, sur cette Méditerranée où il n’est alors plus risqué de naviguer.  

Merci du courage qu’il te fallut pour tout quitter un jour avec les tiens, vous poser,  persévérer, puis un autre jour décider de repartir à nouveau, bref « rebondir ».

A peine installé – peut être dans le quartier des Italiens d’Alger-  tu perds ton épouse. L’acte de décès, retrouvé depuis peu à Aix, balise à nouveau votre parcours. Elle est devenue « Sage femme » à   El Biar. Mais elle meurt de la variole à Maison Carrée. Charles, votre bébé atteint à son tour, lui survit.  On savait que tu t’occupais de calèches. Tu es redevenu « Charretier », nous dirions aujourd’hui « Chauffeur de taxi »- taxi, l’outil de travail de nombreux immigrés de tous bords.

Merci Francesco d’avoir accompli tout ce chemin, même si – devenu veuf- tu fus semble-t-il dépassé par les événements ; au point que tes cinq enfants furent alors éparpillés comme des orphelins entre les établissements tenus par des Sœurs – Clara et Angèle d’un côté,  Pierre et  Emile de l’autre- et les familles d’accueil ou des voisins…. Solidarité oblige ! Solidarité d’émigrés ? D’immigrés ? D’exilés ? Comment vous appelait-on à l’époque ?
Famille agrandie, famille endeuillée, famille éclatée…. Où, comment et quand se termine ta vie ? Où demeures-tu ?  Nous avons – hélas !-  perdu toute trace de toi.


Mais la vie continue….Ce bébé rescapé,  devenu père puis grand père, disparaît à son tour en septembre 1940. Deux ans plus tard, je nais sur cette même terre d’Algérie. Le tout jeune couple de mes parents fait alors la traversée dans l’autre sens. A Marseille – occupé depuis novembre 42 par les allemands – ce sont les rafles dans les rues à la sortie des cinémas, les rationnements, la vie chaque jour plus menacée.

Un jour de juillet 43, ce petit monde quitte définitivement son point d’attache éphémère avec pour but : un coin de campagne maternel, plus sûr, au fond des bois, très loin de là, en Dordogne. Hélas, les trains ne partent plus; de nouveaux bombardements s’annoncent. Un haut parleur ordonne : « Tout le monde descend ! Aux abris ! ». Pas question ! Les parents exténués et leur bébé, n’ayant plus où aller,  restent arrimés tous les trois ensemble, seuls dans leur compartiment. Bien leur en prend, car après une attente qui leur parût  interminable, lentement s’ébranle le train, qui conduira ses rescapés à bon port.

Depuis, pour la gamine le Périgord, l’Algérie, à nouveau le Périgord, l’Auvergne, pour l’étudiante Paris, et pour la femme active : trente cinq années à sillonner la banlieue et presque toutes les régions de France,  pour se poser un jour en Bourgogne à Mazille et puis enfin à Besançon en Franche Comté : …. Et toujours ce même fil rouge, les trains sous toutes leurs formes,  terre d’arrimage entre les exils successifs. Carte d’identité : « Grand Voyageur ».

Merci Francesco, mon cher arrière grand père, de la force qui pousse vers l’avant, celle qui fait quitter quelques certitudes pour des questions aux réponses inconnues, celle qui fait entreprendre, rebondir et qui fait qu’apatride ou citoyen du monde, un jour, par amour, on épouse les racines séculaires et comtoises d’un homme.

Même si, dans « la demeure », on ne perçoit toujours que le « a » privatif, – choisirons nous le tout petit cimetière de  Mazille, lové autour de son église romane ou Saint Ferjeux, près de ses parents à lui, ordonné et offert au pied de la Basilique? -, je songe à toi l’Exilé sans demeure. La seule possible, serait-elle donc plutôt à reconnaître en soi ?  

Merci Francesco,



Ton arrière petite fille, Marie France, Louise, Juliette, Marguerite.


Besançon, le 1°Avril 2007

Lettre de Marie France Carrenzo à son arrière grand père, partie d’Italie dans les années 1850

Oneille, Imperia, Italie

Marseille, France

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