Je suis venu en France en mai 2005 pour rejoindre ma femme et mon fils ; il était déjà né. Je suis venu pour ma famille.
L’ Amitié
Mme : Il est venu sur le quartier de l’Amitié parce que moi j’y étais. Moi je suis dans cet appart depuis juillet mais j’étais d’abord au deuxième étage. Et puis je suis venue ici au mois de juillet. En fait mes parents ont toujours habité là, mais quand j’ai pris mon premier appart, c’était à Planoise ; c’était parce que je n’ai pas eu d’appart ici au début. J’ai voulu revenir ici à l’Amitié parce que je connais tout le monde. Tout ceux que je vois, on se connaît. J’ai grandi ici, je suis allée à l’école ici. Je veux dire : j’ai ma mère qui est en bas, quand je suis coincée, elle peut venir me donner un coup de main. Voilà, je connais tout le monde. Et puis je ne sais pas, on se sent bien ici puisqu’on connaît. Je ne sais pas si je me sentirais à l’aise comme ça, comme je me suis ici, ailleurs. Parce qu’à Planoise j’ai pris l’appart mais on ne peut pas dire que j’y ai habité ; c’était histoire de prendre l’appart, pour les meubles et tout ça.
Ça a été dur. Lui il a continué sa vie là-bas avec la pharmacie, parce qu’il est vendeur en pharmacie, et puis moi ici chez mes parents parce qu’une fille qui habite toute seule, chez nous c’est pas trop ça.
L’installation
Mme : Il a mis un an à peu près pour réussir à s’adapter, pour tout, une année. C’est un pays qu’il ne connaît pas, c’est une ville qu’il ne connaît pas ; les endroits, les gens, les personnes, tout, tout ce qu’il y a… C’est différent, la Turquie ; c’est pas pareil au niveau de la culture, du travail, tout pour vivre.
Mr : Oui, c’était un petit peu difficile de s’adapter à la vie en France. Le plus difficile, c’était de ne pas parler français, pour partir à la banque, au magasin.
Mme : Parce que là il se débrouille à peu près tout seul. Quand il va à la banque, quand il va au magasin, quand il voit des gens, quand il a un problème, il se débrouille par ci par là. Mais au début, comme il ne connaît personne, il ne connaît pas les endroits, tout ça, il ne parle pas un mot de français, c’est difficile.
Travail et logement
Mr : Je travaille dans le polissage à Torpes, après Grandfontaine.
J’ai toujours travaillé avec des turcs et donc je ne parle pas français. Aujourd’hui je travaille avec des turcs et avant c’était dans un restaurant turc.
Mme : Oui, parce qu’il n’a travaillé que dans des entreprises turques depuis qu’il est arrivé. Quand il a travaillé en restauration, il avait sa langue, mais il avait pas mal appris de choses avec les clients, en servant.
Mr : J’ai travaillé d’abord dans le bâtiment parce que, quand je suis venu, c’était urgent le travail. Après 7 mois, j’ai travaillé dans un restaurant chez mon beau-frère. Ça a duré 3 mois. Maintenant je suis embauché comme polisseur depuis 8 mois.
En Turquie, j’ai travaillé dans une pharmacie pendant 7 ans. Oui, parce que c’est facile le travail en Turquie. Je ne suis pas allé à l’école, normalement …
Mme : Il a commencé en pharmacie à 13, 14 ans, comme un apprenti.
Mr : Quand je suis arrivé en France, j’avais 25 ans.
Mme : Et là il a 27 ans.
Franchement au début ça a été difficile, mais là on est bien au niveau financier et tout. Là moi je suis en congé maternité. Mais au début, avant qu’il vienne, ça a été dur. Quand il est venu, il a tout de suite commencé à travailler. Il n’a pas cherché : si je travaille là, ou si je travaille là. Il n’a pas choisi. Il s’est dit : il faut que je travaille. Mais ça a été difficile avant qu’il vienne, pour moi, au début. On est venu ici au mois de juillet, mais on a tout racheté, tout refait. Par rapport à l’appart au deuxième, c’est pas pareil. C’est sa sœur qui avait acheté les choses, les canapés, le meuble télé, les trucs simples. Ça a été difficile au début. Moi j’étais en formation ; je sais que tous les mois j’ai acheté … Je n’oublierai pas tous les trucs que j’ai vécu … un mois le frigo, un mois le four, un mois la télé, c’est tout moi qui ai fait au début. Et puis après c’est nous deux qui avons fait ici. Mais j’ai vécu des moments …
Avant, quand on s’est marié, son idée de toute façon, c’était de venir faire sa vie familiale ici. Et puis comme au début il y avait l’attente, il fallait attendre que ça se fasse. J’ai pris mon appart, il n’y avait rien du tout. Il n’y avait pas de gazinière, rien.
Mon mari lui, il a continué sa vie là-bas, à travailler là-bas comme avant. De toute façon il avait l’habitude de vivre seul. Comme il n’habitait pas avec ses parents, il habitait seul, il a continué sa vie. Il me dit : bien sûr, ça a été dur, mais bon, il n’avait pas le choix …
Ici on habite dans un F3. Et au début, ils m’ont donné un studio parce que comme je ne travaillais pas, j’étais toute seule. C’était un studio donc au début, rue de Champagne. Et tout ça c’est grâce aux éducateurs et à Claude, l’assistante sociale. C’est elle qui m’a soutenu, c’est elle qui m’a envoyé là-bas, c’est elle qui m’a aidé pour l’appart, pour tout, au niveau moral, tout. Elle m’a beaucoup aidé, plus que mes parents. C’étaient des moments pas faciles, je n’oublie pas, ça reste là.
Ici et là-bas
Mr : Là-bas c’est complètement différent d’ici. Ici, c’est : le matin, travail ; le soir tu rentres, tout le monde rentre à la maison. Alors que là-bas c’est pas pareil. Quand tu sors le soir, tu pars, tout est ouvert ; tu peux prendre ta famille et sortir. Il y a des endroits qui sont fermés ici le soir ; là-bas c’est ouvert.
L’ambiance c’est différent, c’est tout à fait différent. Et puis comme je connaissais tout le monde, j’avais pas mal d’entourage en Turquie, et bien ça a tout changé. Ici, c’est le travail, les enfants, la maison. Alors que là-bas ce n’est pas pareil, c’est différent parce que j’avais pas mal d’amis en Turquie, ma famille, mes parents et puis ça change.
Et le travail c’est facile en Turquie. Parce que j’étais pharmacien, c’est bon comme travail. Ici, tout est dur : le travail, les papiers, beaucoup de problèmes …
Mme : Bien sûr ce n’est pas pareil d’être vendeur en pharmacie là-bas en étant assis. Ici, quand il a travaillé en hiver dans le bâtiment, c’est pas pareil. Là encore, il est bien là où il est, il ne se plaint pas beaucoup par rapport à la restauration quand il travaillait de nuit. Quand il rentrait à 2 heures, 3 heures du matin, moi j’étais à la fenêtre jusqu’à ce il rentre parce que l’endroit où il était, c’est vers Leader Price, il y a pas mal d’histoires qui se passent pendant la nuit. Et puis j’étais à la fenêtre jusqu’à ce qu’il rentre. Alors que là où il est, il est bien.
Il me dit que c’est monotone la vie ici. Il me dit tu travailles pendant un an et puis après tu vas en vacances un mois, et puis c’est tout ; à part les un mois …
Il me dit qu’avec son entourage, avec ses amis, tout ça, c’est pas pareil qu’ici. Il me dit : l’hiver c’est l’hiver, l’été, c’est l’été. En Turquie, ce n’est pas comme ici, au niveau de la saison. L’été, il fait chaud. On ne voit pas un temps comme ça là-bas. Et l’hiver il fait froid. Le temps ici ça change d’un coup ; c’est pas pareil que la Turquie. Il me dit que c’est dur les saisons.
Mr : Avant, dans le bâtiment, c’était dur, la neige, la pluie …
Mme : Cet appartement c’est nous deux. Quand on veut, on peut y arriver. Là on a acheté une autre voiture. On avait une voiture, une vieille voiture, on en a racheté une, bien sûr avec le prêt et puis voilà, on a deux enfants.
De toute façon ici, il me dit : ce qui est facile, c’est que quand tu veux vraiment travailler, tu peux faire à peu près ce que tu veux. Son but à lui, c’était de s’acheter sa voiture. Et puis là on a acheté la voiture. Il dit aussi que c’est les droits qui sont bien, par rapport à la Turquie . Par exemple les gens qui ne travaillent pas, ce n’est pas pareil qu’en Turquie. Les gens qui ne travaillent pas, là bas ils n’ont pas par exemple d’APL, ils n’ont pas d’ASSEDIC quand ils ont fini, en fin de contrat. Ce n’est pas comme en Turquie. Quand ils se retrouvent à la porte, voilà, c’est fini quoi. Et puis, il me dit : du moment que tu travailles, t’as des droits. Quand tu travailles, tu touches ton salaire, ton droit, le salaire que tu dois toucher ; là-bas le salaire, c’est pas comme ici. Même si tu travailles 24 heures sur 24, ce n’est pas le salaire que tu dois toucher pendant 24 heures. Alors qu’ici, tu travailles 8 heures, tu touches ton salaire pour 8 heures. En Turquie, 14 heures, il travaillait par jour, pour un peu moins que le SMIC ; pour 8 heures alors qu’il faisait 14 heures. Il me dit : le travail, il était facile, d’accord, mais ça fait 14 heures de travail. Vous imaginez, il est marié … Ici, c’est pareil, vous croyez, 14 heures le travail en pharmacie ? Si c’est 14 heures, ils sont payés ; ce n’est pas comme la Turquie ; obligé, ils sont payés. Alors que là-bas, c’est pas pareil …
Propos recueillis et mis en forme par Irène Serra Pires, Maison de quartier de Saint Ferjeux
Turquie
Besançon, France