Je suis née en 1333 (1954 selon le calendrier grégorien) en Kurdistan Iranien dans une famille nombreuse et assez libre, J’ai 5 sœurs et 3 frères vivants et 4 morts (entre un mois et trois ans).
Mon père n’avait qu’une sœur qui est morte jeune. Il est resté seul. Il s’est marié avec une dame dont il a eu une fille. Quand elle est décédée il s’est marié avec ma mère. Elle avait 15 ans, mon père 30. Il avait un bon métier. Il travaillait dans le Trésor Public, fonctionnaire. Il n’a pas fait de grandes études. Il a appris à lire et écrire lui-même, sans aller à l’école. Il lisait beaucoup de journaux et s’intéressait à beaucoup de choses.
Ma mère n’a jamais travaillé. Elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle était très cultivée et très respectée. Elle était d’une famille très respecté. Ses 2 sœurs étaient mariées avec des hommes importants, de familles féodales. Elle avait deux demi-frères.
J’avais un frère ainé qui allait à l’école. Il avait en plus un professeur qui venait à la maison, mais pas pour moi. Pour les filles, c’était plus difficile. Je n’ai pas pu y aller avant 6 ans. Mais j’avais très envie d’y aller, j’aimais bien savoir sur tout, j’étais curieuse de tout et, un jour, je suis allée dans le bureau de mon père, j’ai ouvert un tiroir avec une clé et j’ai pris mon carnet d’identité. Je savais qu’il était rouge (une couleur par année). Je suis partie dans la neige, jusqu’au bureau de mon père pour lui faire signer mon inscription. J’avais très froid, j’étais trempée, j’avais peut-être fait pipi dans ma culotte. Je suis entrée dans le bureau de mon père. Sa secrétaire m’a mise tout de suite sur une chaise à côté du fourneau à pétrole. J’ai dit : « Je vais à l’école aujourd’hui, je vais à l’école aujourd’hui ! »Voyant ma détermination, il a promis que j’irais. Mais la rentrée était déjà faite et j’ai du attendre la suivante.
À l’école, du temps du shah, on n’avait pas le droit d’étudier en kurde à l’école, il fallait parler persan.
J’avais de très bonnes notes, mais après la troisième, mon père a dit que j’avais assez d’instruction. Je voulais continuer. Ma mère a pris ma défense. Elle a dit : « même si je dois travailler pour que tu ailles à l’école, tu dois continuer. » et comme mon père aimait beaucoup ma mère, il a accepté et ne l’a pas regretté.
Quand j’habitais encore chez ma mère, la maison était grande. Elle a loué un appartement à un couple. Lui était policier. Ils venaient de Téhéran. On ne voyait jamais la femme. Elle allait dans la cour chercher de l’eau quand il n’y avait personne. Elle mettait toujours son tchador. Puis, on a appris qu’elle était enceinte. Le monsieur venait payer le loyer tous les mois. La famille de sa femme est venue pour l’accouchement. Ma mère leur a prêté des matelas et des couvertures. Puis, nous avons fait les premiers pas et elle est devenue notre amie. Elle montait souvent chez nous. Elle nous a dit qu’elle regrettait d’être restée toute seule si longtemps. Ses parents lui avaient dit qu’elle ne devait pas aller dans le Kurdistan car elle allait se faire tuer. Son mari avait du mal à convaincre sa belle-famille que les kurdes ne mangeaient pas les gens . Nous sommes restés très amis, même quand ils ont quitté la région, ils nous envoyaient des cartes postales.
J’ai eu mon bac sciences naturelles. Je travaillais très bien mais je n’ai pas eu le concours pour entrer en fac de médecine. Il y avait beaucoup de favoritisme.
J’ai fait mon service militaire dans l’armé de savoir en tant que institutrice pour lutter contre l’analphabétisme dans les campagnes. Une réforme d’époque du Shah d’Iran et imposée aux jeunes filles diplômées à partir du 1973, elles devaient passer 6 mois à l’armée, puis 18 mois à faire l’école dans les villages. On pouvait choisir aussi l’agriculture ou la santé toujours dans les compagnes. C’est ce que j’ai fait. Je voulais attirer les filles à l’école malgré désaccord de leurs parents. On leur apprenait lire et écrire et aussi la couture. Mais j’ai compris que je n’étais pas faite pour l’éducation nationale. J’étais trop gentille avec les enfants, je ne pouvais pas m’imposer.
J’ai passé un concours pour être fonctionnaire. J’ai travaillé 2 ans dans les affaires sociales au service des carnets de santé, puis j’ai dû arrêter. Je travaillais à la maison, je faisais de la couture à mon compte pour ne pas rester sans rien faire.
Je me suis mariée à 24 ans. A 27 ans, j’étais enceinte. Je ne voulais qu’un seul enfant depuis longtemps. J’aurais voulu une fille. On a quitté l’Iran en 1986 tous les trois.
On ne pensait pas rester longtemps en France. On est venus à Besançon car mon frère aîné était là. Il avait quitté le pays du temps du shah. Il est allé en Allemagne, mais n’a pas pu y rester longtemps. Il est venu à Besançon car il avait des copains ici. Il a continué ses études.
Je ne parlais pas un mot de français, mon mari non plus.
Au début, on est restés chez mon frère quelques mois. Puis, on a trouvé un appartement.
Comme le temps passait et qu’on perdait l’espoir de retourner en Iran, on a décidé d’avoir un autre enfant pour agrandir notre famille car notre fils réclamait plein de frères et sœurs, comme on n’avait pas de famille ici. On a eu une fille en 1989.
J’ai fait deux stages de 3 semaines dans des entreprises qui m’ont même payée car je travaillais bien.
Dans la couture et l’horlogerie.
Mais ils n’embauchaient pas. Par l’intermédiaire d’amis, j’ai trouvé une entreprise en 1989 qui fabrique des machines de billetterie. Ils m’ont vite fait un CDI. Je suis là depuis 22 ans. Je suis la seule sur douze qui reste de cette période. Je fais des soudures, des câblages, tout ce qui est électronique. Je ne suis pas à la chaîne, je travaille toute seule. Ils me font beaucoup confiance. Ils disent qu’ils me garderont tant que l’entreprise existera. J’ai fait plus d’études qu’un ouvrier, mais ils me paient comme un ouvrier, à peine plus que le SMIC, plus l’ancienneté.
Mon mari travaille à la poste, alors qu’il a des diplômes. En Iran, il était dans un laboratoire de physique-chimie. Ici, il a fait une formation en automobile puis en informatique mais il n’a pas trouvé de travail.
Il a fait des études à la fac. Il lui manquait quelques unités de valeurs pour être ingénieur, mais comme on avait besoin d’argent, il est rentré à la poste pour nos enfants. Dans cette période, on a tout fait pour les enfants. Il n’y a que ça qui nous reste.
Notre fils est étudiant en médecine, il se spécialise en psychiatrie. Notre fille est à Londres, elle a fini sa licence de langue. Elle est en master LEA (langue étrangère appliquée). Elle parle kurde et anglais. Nous sommes fiers de nos enfants qui sont très sages.
Le kurde est aussi une langue indo-européenne. Les Kurdes sont minoritaires et sunnites (les iraniens sont chiites)
Mon frère nous a dit, à notre arrivée : « Si vous voulez être acceptés ici, il faut être net, droit, ne pas mentir Si vous êtes comme ça, les gens vous acceptent. Et il faut apprendre le français dans les 3 mois. »
Moi, je n’ai pas pris de cours de français car, dans ma tête, je n’étais pas prête à rester ici. Ce n’est pas à cause d’un mauvais accueil, nous avons toujours bien été accueillis surtout par la famille de l’amie de mon frère.
Mon mari, lui, a pris des cours.
Nous avons toujours essayé de ne pas avoir besoin d’aide sociale, nous avons toujours travaillé.
Nous avons connu petit à petit des iraniens qui n’étaient pas de notre région. Il y a très peu de kurdes ici.
J’ai encore ma mère en Iran. Un frère vit avec elle. Mes sœurs sont en Iran dans des villes différentes au Kurdistan et à Téhéran. J’ai un frère en Suisse.
Je parle kurde et persan.
Au Kurdistan, à l’école, les enfants apprennent le persan car ils étudient en persan.
Je retourne là-bas tous les 3 ou 4 ans car j’ai ma mère. Je dois aller la voir. Elle est venue 3 fois nous voir, surtout pour les enfants. Ma fille est venue 2 fois avec moi, mais mon fils ne veut pas y aller.
Les enfants sont très attachés à la France mais surtout notre fille est attachée à la Franche-Comté.
Nous avons la nationalité française. Nous avons changé nos prénoms à cause de la menace Le Pen. En plus mon mari avait écrit 500 demandes d’embauche et il était refusé sans doute à cause de son prénom. On a aussi coupé notre nom pour que ça soit plus court, mais mon nom de jeune fille il est resté comme ça.
Ce qui me manque, c’est ma terre natale, les personnes que j’aime bien. Mais ici, on se sent en sécurité. Personne ne nous demande : « pourquoi tu dis ça, pourquoi tu fais ça ? »Comme dit Pierre Perret dans la chanson « la petite kurde » : « En Europe, il n’y pas de soldat pour te tuer, ici, c’est au travail qu’on se tue. »
On n’a jamais compté sur l’aide sociale. On n’a jamais demandé d’aide. On a toujours travaillé.
Je suis bien ici, mais mon premier pays, c’est là-bas, le Kurdistan. Mais quand je vois l’acharnement des pays contre l’Iran et la bombe atomique ça me fait mal. Il faudrait aussi l’interdire aux autres pays. Les iraniens ne sont pas plus fous que d’autres comme Israël.
Je ne lis pas beaucoup. J’aime beaucoup lire le persan. Pour lire le français, je dois prendre un dictionnaire, ça me fatigue. Je lis le journal, j’écoute les informations. Je ne suis pas souvent sur Internet.
Je travaille avec l’association « récidives » (solidarité, éducation)et « pari » pour aider les enfants pour leurs devoirs. J’y vais tous les vendredis après-midi. J’aime bien travailler bénévolement dans des associations. J’aime bien aider les gens.. Je participe aussi au marché solidaire. Je fais des repas.
J’aime bien coudre. Je n’ai plus beaucoup le temps, mais je fais toujours les réparations de nos habits ; parfois, aussi pour des collègues. Je tricote aussi. J’ai fait une écharpe et un bonnet pour ma fille en Angleterre.
Depuis 7 ans, j’ai un jardin de 200 m2. Je fais moitié fleurs, moitié légumes. J’ai gagné 2 années « les jardins fleuris ». J’ai même du raisin. J’ai toujours aimé les fleurs, mais chez nous, on n’avait pas de place.
Propos recueillis par Françoise Gayet, témoignage anonyme.
Kurdistan Province, Iran
Besançon, France