Le legs et le socle

Universitaire et écrivain, Jean-René Ovono Mendame a récemment soutenu une thèse de doctorat, à l’Université de Strasbourg II, intitulée « Écritures de la modernité dans le roman africain contemporain ».


Originaire du Gabon, sa langue de naissance est le fang. Langue de l’enfance et du village natal, de la tendresse familiale et des valeurs premières enseignées par le père : respect et amour de l’autre, de la famille, du pays, langue du travail et de l’effort.
Le français lui est familier, non seulement parce qu’il est langue de communication et d’échange au Gabon mais aussi et surtout parce qu’il est sa langue d’écriture.

« La langue française, je la vis comme un legs, un patrimoine historique inscrit dans mon héritage. Grâce à cette langue, je redis mon expérience d’enfant, d’adolescent, ce que la vie m’a enseigné.
Elle me permet de partager avec les autres la vision intérieure que j’ai de la vie, de l’être humain et des valeurs qui sous-tendent cette vie-là.
Les guerres tribales ou ethniques qui ont cours en Afrique noire et génèrent des misères constituent un frein à la fraternité, une fermeture aux autres, un non intérêt de l’altérité. Ces spectacles désolants interpellent la conscience de l’écrivain. Grâce à la langue française, je tente d’aller au-delà des limites géographiques pour parler de l’Homme, de son bien-être. La francophonie, telle que je la comprends, m’interdit de me sentir exclusivement attaché au seul territoire natal. Elle est l’espace, la planète de ceux qui l’ont en partage et concourent à sa valorisation. C’est pour cela que je me sens citoyen là où l’on me donne la possibilité de m’exprimer.
Le milieu traditionnel des villages, ma jeunesse, les souvenirs, les images sont transmués, traduits dans la langue française et sont ainsi accessibles…
Je vais aussi à la recherche des complexités qui nouent la société. Dans La flamme des crépuscules*, mon premier roman paru chez L’Harmattan en 2004, mon écriture tourne autour de ce nœud difficile à défaire : Anciens/modernes ou Tradition/Modernité, conflit classique très ancien mais toujours d’actualité…
La modernité, c’est la loi, la juridicité. En matière de mariage, par exemple, la dot est interdite au Gabon par une loi de 1963. A cette dernière, seule importe le consentement des époux. La femme n’est pas une valeur marchande. Mais pour les familles, il n’y a pas de mariage concevable sans dot, souvent faramineuse, apportée par l’époux. Et la loi ne peut rien, la coutume l’emporte. Il arrive que des femmes cotisent en cachette, pour aider leur futur mari à réunir la dot quand ce dernier est moins solvable que la femme!
Dans cette problématique de la difficile rencontre entre la tradition et la modernité, j’ai, en projet, une pièce de théâtre qui porte sur la polygamie dans les sociétés africaines.
Polygamie qui génère plus de problèmes qu’elle n’en résout, comme vous pouvez l’imaginer. En Afrique et partout où elle a cours, des dissensions éclatent à tous les niveaux des structures familiales quand le polygame décède. Un film béninois, produit par la Harley Dass Production, intitulé La veuve, met en relief l’angoisse et les maltraitances que subissent les veuves au décès du mari.
Mais il faut dire également qu’il y a un mouvement qui se dessine : aujourd’hui, peu de personnes s’y risquent, ne serait-ce que pour des raisons économiques. C’est une aventure où de moins en moins de gens se hasardent, par la force des choses. C’est encore une problématique qui se pose au carrefour de la tradition et de la modernité. Au passage, je signale deux ouvrages très intéressants : Féminin interdit, roman de Honorine Ngou, une Gabonaise, doublé d’un essai : Mariage et violence dans la société traditionnelle fang au Gabon, parus en 2007 aux éditions L’Harmattan.

Dans La Flamme des crépuscules, les Anciens, sous le signe de Dzop-été (littéralement : « dans le ciel ») prescrivent un code de conduite tenu par l’absolue interdiction de nuire à l’autre, de jeter un sort, d’envouter les enfants. Et en appellent au rayonnement du village, en veillant au bien-être des enfants, de ses habitants… Or la descendance ne veut pas de ce village et l’abandonne. Elle en crée un nouveau, où tout est permis, à commencer par le mal, au sens mystique du terme, la magie noire. Oui, il est difficile à l’être d’observer les valeurs humanistes, de progrès, valeurs qui exigent rigueur et discipline. Se crée alors, un espace intermédiaire, entre l’ancien et le nouveau villages, un autre village qui, se voulant la synthèse modernité/tradition n’est finalement tout à fait ni l’une ni l’autre. Un village hybride quasi anonyme. Je ne m’arrête pas au conflit entre tradition et modernité ; ce qui m’importe, c’est la nécessité de les concilier.
Le Gabon accueille toutes les nationalités du monde : Africaines, blanches, noires, asiatiques, américaines, canadiennes, française, bien sûr. Et en ce sens, il n’est pas supportable d’entendre les jugements de rejet suscités par l’immigration clandestine (sud/sud). Il faudrait que les hommes de culture s’en mêlent pour ruiner toutes sortes d’ardeurs extrémistes. Leur indifférence pourrait légitimer les réactions de négation des droits humains et de réification de la personne.

Je suis venu pour la première fois en France, en 1991, à Marseille. Ville cosmopolite dont j’ai d’excellents souvenirs. J’étais au Centre Transméditerranéen de la Communication et j’y poursuivais des études de Communication.
J’ai passé de très bons moments avec mes camarades, lors des activités pédagogiques diverses : jeux de rôles, synthèses, activités à caractère public et les soirées passées chez les uns et les autres. L’ambiance était chaleureuse, sans souci d’origine ni de pigmentation. On ne peut que s’interroger sur l’origine du regain actuel de la question raciale.
La diversité socioculturelle qui caractérisait cette ville était réjouissante. Quand je prenais le métro ou le bus, les visages m’étaient proches. Même inconnus, ils rayonnaient toujours d’amitié et de fraternité.
Paris, je la ressens comme une mégapole, où domine une impression de solitude, malgré l’envergure de la ville et ses symboles qui vous guident. Tout le monde est trop pressé.
Besançon est la ville où j’ai le plus vécu, en termes de durée. Cinq ans à ce jour, ce n’est pas cinq jours ni cinq mois ! Je m’y sens enraciné profondément. La ville me séduit par sa diversité géographique, sa fabuleuse histoire ,ses richesses culturelles et activités socio-économiques. Le pôle universitaire est très actif. Elle a donné à la France des grands noms qui ont bâti sa Civilisation.
David est né à Saint-Jacques. Sa mère et moi y avons connu des moments inoubliables. Nous avons constaté ce souci exceptionnel d’apporter du soutien, du confort à ceux qui en ont besoin sans tenir compte de leurs origines. Mon épouse a été suivie excellemment, bénéficiant d’un accompagnement quotidien des spécialistes du monde médical, du domicile jusqu’à l’hôpital. Dans les pays africains précisément, on a l’impression que cette chaleur humaine échappe à l’Etat et qu’on ne la retrouve, à moindre degré, que dans la société civile.

Besançon est une ville qui féconde mon inspiration. J’y rencontre mes confrères écrivains au Salon du Livre des Mots Doubs, dans la région, à Saône, pour la Fête de l’Afrique. Les écrivains sont importants dans la société. Et dans la ville de Victor Hugo, bien entendu, cela relève de l’évidence.
Besançon fait partie des villes les plus anciennes de France, de ces villes s’appliquant à cultiver une véritable fraternité ouverte à l’universel. La présence de plusieurs associations, de mouvements associatifs à caractère humanitaire en témoigne. Solidarité, fraternité, amitié entre les peuples : ces valeurs-là, il faut les conserver, les partager.
C’est dans cette optique que l’association Terres d’Horizon a été créée en 2006. Présidée par Michel Brugvin**, j’en suis le secrétaire général, son projet est d’organiser de façon rotative en Franche-Comté ou au Gabon un Festival pour les Franc-comtois afin qu’ils puissent échanger avec les Gabonais et pas seulement eux. L’idée est de mettre l’accent sur la transculturalité. »

Quelques mots sur la thèse de Jean-René Ovono :
Il s’agit de montrer comment la modernité (depuis la Renaissance française au XVIe/XVIIIe siècles) est transcrite dans la poésie française et, par la suite, dans le roman africain contemporain.
Les genres oraux, contes, légendes, proverbes, cosmogonies sont portées par les oralistes, figures de la modernité. Les conteurs, les aèdes, les griots. En Afrique centrale : les diseurs, les chanteurs de mvett avec guitare, cythare. Le Mvett est une cosmologie, une épopée, un genre dans lequel on retrouve de nombreux récits variant selon les conteurs. Tsira Ndong Ndoutoumeen est un des grands écrivains-conteurs.
Les jeunes écrivains africains francophones, « nous exprimons cette modernité à travers nos différentes expériences culturelles par le socle commun du français. Modernité en mutation, modernité mutante…


*Outre La flamme des crépuscules, J-R Ovono Mendame est auteur du roman Le savant inutile, L’Harmattan, 2007.
On peut aussi lire ses articles de critique littéraire dont « La représentation du politique dans la littérature gabonaise », dans la Revue Présence Francophone, 2006, n°67.
Ses autres articles Web sont à consulter dans Africultures.com

** 124 Grande Rue, 25 000 Besançon / michel.brugvin@libertysurf.fr

Propos recueillis par Soumya AMMAR KHODJA Besançon, octobre 2008

Gabon

Besançon, France

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