Je m’appelle le jour, je m’appelle la nuit, je m’appelle depuis que je suis sorti tête la première du ventre de ma môman.
Mais, à dire vrai, je ne me réponds jamais. Pour la petite histoire et afin de pénétrer en cafard dans ce récit paranoïa-critique, sachez que mon grand-père paternel naquit en 1896 à Viure (en castillan, Biure en catalan), petit village situé en Catalogne espagnole, dans la province de Gerona, non loin d’un lieu qui eut, en 1904, l’immense privilège de voir venir au monde un immensément génial peintre, sculpteur, écrivain et grand délirant dénommé Dalí, Salvador de son prénom.
Quand j’étais plus jeune, beaucoup plus jeune quoique déjà vieux, mon patronyme offrait l’opportunité à des enfants de mon âge, bourrés d’humour, de me chantonner : « T’as deux l au cul, c’est pour mieux voler. » On verra plus loin le pourquoi du comment. Même si je n’entravais que couic à ce charabia assassin, la sentence me faisait sourire un tantinet jaune pour ne pas dire rouge, voire noir. Mes arrière-grands-parents paternels (les mamma et papa de ma grand-mère, patronyme Julía), décédés depuis fort longtemps, paix à leurs âmes, étaient originaires d’îles absolument laides, à savoir les Baléares. Mon père, et ceci n’a rien à voir avec cela, né Espagnol à Vesontio en 1920, afin de rentrer dans le rang gaulois, lors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années, épousa ma mère dont les ancêtres sont tous, sans exception, issus de souche objectivement, définitivement, fatalement française. Anecdote qui, convenons-en, n’a strictement rien à faire dans cette rubrique dédiée aux gens d’origine étrangère.
Mon grand-père (el padre de mi padre), José, né à Viure comme écrit précédemment, débarqua en Francia à l’âge d’environ vingt ans. Après de solides études commerciales dans une institution tenue par des jésuites puis un court périple non inscrit dans les annales, il se posa discrètement à Vesontio, sans doute au petit matin frisquet d’un hiver s’annonçant particulièrement rigoureux. Mon pantalon en tombe d’effroi. José se mit en quête de fonder un commerce puis un foyer et, dans ce contexte frisant l’absurde, rencontra ma grand-mère Maria Luisa, dont les parents, je l’ai déjà écrit, venaient tout droit de ces îles barbaresques nommées Baléares et tenaient deux bistroquets, l’un rue de Belfort, l’autre au 102 de la rue Battant (« Les grandes caves espagnoles »). Soit écrit en passant, Maria Luisa, de nationalité espagnole jusqu’à sa fin, naquit en 1898 à Vesontio. Maria Luisa et José se rencontrèrent et se marièrent fort religieusement en l’église Saint-Martin des Chaprais en 1919, eurent trois enfants, André (Andres) qui mourut en bas âge, ma tante Janine et mon père Pierre (Pedro) qui vécurent quant à eux jusqu’à leurs morts. Mi abuelito s’éteignit telle une chandelle à bout de soufre en 1931, à l’âge de 35 ans, d’une maladie guérissable au vint et unième siècle, mais parfaitement meurtrière à l’époque. Le toubib référent de ma famille paternelle, après un bref examen, subodorant la mort imminente de mon grand-père, susurra à l’oreille de ma grand-mère qu’il serait excellent pour la santé de son époux que celui-ci retournât rapidos au pays. En effet, don José Llaona y Pagès retourna à Viure et y mourut comme il y naquit trente et cinq ans plus tôt.
Venons-en au fait. Mon patronyme est Llanoa. Je possède deux l au cul pour mieux voler. Et mon coeur, et mes tripes, je le jure sur la tête de la Santa Maria, de tous les dieux et déesses qui peuplent le ciel, et mon coeur, et mes tripes puent la Méditerranée car à la vérité, je me sens de moins en moins… nordique. Ce qui est écrit est écrit, je suis né par hasard en Francia en 1951, je suis mince, je mesure un mètre et soixante douze centimètres, ne suis pas laid mais point beau non plus, ai épousé une Italienne au sang chaud (don du ciel, je suis un fana de Don Quijote), suis père de deux filles au demeurant charmantes et j’écris ceci qui clôturera ce récit abscons à souhait : ¡ Qué Viva España !
Llaona, Vesontio, les vendredi 15, lundi 18 et mardi 19 février 2008.
Précisions de l’auteur:
Pourquoi mi abuelito vint en France ? No sé. Chez nous, tant la douleur était encore vive à propos de cette « affaire » que le silence se faisait fort lourd. En tout état de cause, ce ne furent pas des raisons économiques qui le firent se poser ici, compte tenu que ses parents possédaient là-bas un beau mas consacré à la culture du raisin et autres fruits et légumes. Cependant, à l’époque (les années 1920), existaient déjà quelques familles espagnoles échouées à Vesontio, s’adonnant notamment au commerce de fruits et légumes (Reynes, Pujol, Puig, par exemple).
Pépé ne vint point en France à 25 ans, mais quelques années plus tôt, autrement dit aux environs de 1918 (mariage en 19, naissance de mi padre en 1920). Effectivement, mi abuelito (muerto en 31 l’âge de 35 ans) vint en France après des études générales à Figueras, dans une institution religieuse.
Ma grand-mère, Maria Luisa, n’est pas restée en Espagne après le décès tragique de son époux. Elle n’a fait que le voyage aller et retour Besançon/Viure, le temps de mettre en terre ce jeune homme sur lequel je ne possède, hélas, que bien peu de renseignements.
Mon père était électricien, il commença à travailler fort jeune. Il avait en effet rayé l’Espagne de sa carte mentale mais me transmit, involontairement, une « identité » qui m’est chère, car j’ai « reniflé » durant toute ma jeunesse cette Espagne qui faisait cruellement défaut à celles et ceux qui restaient (pas à ma mère, non, non et non, car elle cultivait, cocnernant le pays de Picasso, Dali, Velazquez, Cervantes… des a priori on ne peu plus bébêtes).
Contribution de Jean-Michel LLAONA
Viure, Espagne
Besançon, France