Mon pays d’origine: la France ? l’Algérie ?

Curieux destin que le mien. Je suis née en France. Mon enfance était celle de toutes les petites filles. Puis un jour de mes neuf ans sans que je n’y comprenne rien -mes sœurs non plus d’ailleurs-, on a pris le train et le bateau. On partait pour l’Algérie en laissant tout derrière nous.


Pour mes sœurs et moi, c’était un grand changement : l’Algérie était un pays totalement étranger. Notre mère nous expliquait que nous étions dans notre pays mais pour nous c’est la France notre pays !
Pour nous, c’était un autre monde, une autre culture ! Il a fallu s’intégrer, on nous a demandé de faire le ramadan que nous ne connaissions pas auparavant. Il a fallu apprendre une nouvelle culture, les fondamentaux de la religion musulmane. Apprendre une langue totalement étrangère : l’arabe, que j’ai appris d’ailleurs avec mon mari lorsque je me suis mariée.
En France, je m’en rappelle un peu, on ne parlait qu’en français. Mes parents connaissaient très bien cette langue, mais nous parlaient en kabyle et nous, on leur répondait en français. Pour mon père, c’était primordial de nous transmettre la langue de ses ancêtres.

L’adaptation dans ce pays, que ma mère disait nôtre, a été très difficile. On se disputait constamment avec elle parce qu’on voulait rentrer en France et qu’on ne comprenait toujours pas le pourquoi de notre arrivée en Algérie. Ma mère a fini par nous en donner les raisons et quelles raisons !
Un cousin était venu en vacances et il nous a apporté la poisse ! Lorsqu’il a vu que mes sœurs étaient adolescentes, il a convaincu mon père de rentrer au pays. Soi-disant qu’en grandissant, nous deviendrions comme des Françaises et qu’on oublierait nos origines. Et mon père s’est laissé entraîner. Ma mère voulait rester en France, mais chez nous c’est l’homme qui décide.

Les années passant, j’ai oublié la France je n’ai jamais cru qu’un jour j’y reviendrais. Trente ans plus tard, le même scénario se reproduit mais dans le sens inverse. Une fois de plus, je quitte dans l’incompréhension un pays que j’avais finalement appris à aimer, où j’ai passé une partie de ma vie. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. De nouveau l’exil !

Je suis venue à cause du terrorisme. Il s’attaquait aux Algériens mais aussi aux étrangers. Moi, J’étais française et les gens m’appelaient par mon prénom français. Mon mari était inquiet. Il me disait : « J’ai peur pour toi, essaie de partir en France. » Ma sœur m’a proposé de m’héberger chez elle. Je suis venue avec mes deux plus jeunes enfants et les deux grands sont restés chez leur papa.
Je n’ai pas choisi Besançon, c’est en quelque sorte elle qui m’a choisie parce que ma sœur y résidait. Comme elle connaissait déjà le système français, elle m’a aidée dans mes démarches. Une fois un logement obtenu j’ai fait venir les deux grands, restés en Algérie. Il fallait leur faire une mise à niveau puisque au pays ils avaient étudié en arabe, le français était enseigné comme langue étrangère une à deux heures par semaine.
C’était très dur. Je vous assure que c’était très dur. On vient dans un pays étranger. On ne sait pas par où commencer. On ne sait pas quoi faire. Il fallait frapper à toutes les portes mais surtout savoir à quelle porte ! Heureusement que j’avais ma sœur, sinon je ne sais pas comment j’aurais fait. Mon fils est resté deux jours au collège. Il n’a pas pu suivre les cours, c’était trop difficile. Le niveau était trop élevé parce qu’il ne connaissait pas la langue. On l’a mis en troisième puis rétrogradé en quatrième. Il n’a pas pu continuer ses études et il s’est mis en apprentissage. Par contre, sa sœur a commencé à bien s’intégrer. Elle a pu passer son bac. Elle travaille actuellement. Les plus petits étaient au primaire, donc ils n’ont pas eu de problème.
Pour moi, ce n’était pas facile, financièrement ça été très dur. On ne connaissait pas nos droits, pas le système. Par exemple, en Algérie on ne connaissait pas la redevance télé. À peine arrivée, un contrôleur vient me dresser une amende de 150 euros en me disant vous n’avez pas déclaré la TV. Mais je viens d’arriver et on me l’a offerte ! Je vais voir l’assistante sociale lui explique que je viens juste de m’installer, je viens d’un pays étranger. J’ai toujours gardé ces papiers en souvenir. J’avais à peine posé mes pieds en France qu’il fallait payer des factures et je me demandais pourquoi.

À l’étranger on nous dit : en France la vie est belle mais j’ai vite compris qu’ici aussi la vie est difficile. Mon mari est venu me rejoindre, mais comme il avait un poste de responsabilité il a été obligé de repartir au bout de deux mois, et il est décédé brutalement alors que je l’avais eu au téléphone dans la journée. Je ne m’en suis jamais remise, d’autant que n’ayant pas de ressources financières je n’ai pas pu assister à son enterrement en Algérie et faire ainsi mon deuil. Pendant cinq ans j’ai eu vraiment du mal, mon corps a lâché, de tant de souffrances et de peurs. Aujourd’hui, je suis reconnue en invalidité.
Quand je pense à ma situation, au manque d’information, au manque d’orientation je pense souvent aux étrangers qui ne connaissent pas un mot de notre langue.

Quand je suis revenue près de trente ans plus tard, la France était devenue pour moi un autre pays, une autre culture. Il faut dire ce qu’il en est, j’étais imprégnée de la culture algérienne, je me retrouve dans une autre culture qu’il a fallu redécouvrir. Il faut quand même s’intégrer.

À mon arrivée, j’étais contente de rentrer en France, mais j’avais toujours l’impression d’être en Algérie j’avais toujours peur, je pleurais, j’avais toujours l’impression d’être dans un climat d’insécurité et craignais un attentat terroriste. Les assistantes sociales m’ont beaucoup aidée et réconfortée.
Le décès de mon mari m’a profondément choquée et je ne m’en suis jamais remise. Pour m’en sortir, je m’investis dans le monde associatif et fais du bénévolat. Ça irait beaucoup mieux si je pouvais trouver du travail après toutes ces années de recherche en vain.

Curieux destin, j’ai été déracinée deux fois. Départ à l’improviste pour l’Algérie à l’âge de neuf ans. Trente ans plus tard, j’ai de nouveau tout laissé derrière moi pour un départ improvisé. Aujourd’hui, comme il y a trente ans je me dit : j’étais bien dans mon pays, pourquoi je dois partir ?

Anonyme

12 novembre 2008

Témoignage recueilli par Farida Touati pour le mini site Miroirs de femmes, reflets de quartiers.

Algérie

Besançon, France

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