Quand la montagne vous prend, elle s’empare de votre âme et c’est pour la vie. Preuve en est Sangé qui n’a jamais pu oublier ses montagnes népalaises. Elles ont d’ailleurs construit sa vie, ici, à Besançon. Elles l’emmènent dans le monde entier. Par-dessus tout, sa passion est partagée et elle lui donne une place dans la société.
On m’appelle « le Bisontin »
Je m’appelle Sangé Sherpa, j’ai 37 ans. Je suis marié, j’ai deux enfants, une fille de 9 ans et un fils de 5 ans. J’étais guide de haute montagne au Népal. Je suis arrivé à Besançon en 2007 grâce à une bourse du gouvernement français pour des cours de français au CLA. Il y avait pas mal de touristes français chez nous et j’aimais bien cette langue. Je voulais approfondir mes connaissances en langue et la culture pour mieux accueillir les touristes.
J’ai choisi de rester à Besançon parce que c’est là où j’ai rencontré mon amie. En même temps la situation politique au Népal était très critique, il y avait une guerre civile. Il n’y avait aucune sécurité quant à l’avenir. Le choix de rester n’a pourtant pas été très facile.
L’apprentissage de la vie
J’ai toujours vécu à la montagne. J’ai eu la chance d’aller à l’école mais la priorité était d’aider mes parents pour nourrir notre famille nombreuse. Entraide et solidarité, c’était indispensable pour survivre. Je pense que cela apprend à savoir vivre heureux, se débrouiller avec peu de moyens. Petit, je m’occupais des vaches et des moutons. Adolescent, je suis descendu à la capitale (Katmandou) pour travailler en tant que porteur pour les touristes.
J’essaie de transmettre l’amour de la montagne et du sport à mes enfants, c’est important. Je les emmène dans les montagnes voir les bouquetins, les chamois.
Ma vie au quotidien
J’ai commencé à travailler à Décathlon. Maintenant, je travaille aux Galeries Lafayette depuis 2010, je suis chargé de réception et d’expédition logistique des marchandises. Le reste du temps c’est la famille et le trail. Je me suis mis à participer dans des trails en 2009 pour m’approcher de la montagne. Je fais 10 heures d’entrainement par semaine, vtt ou autres sports. On n’a pas de club, on court avec des copains, j’ai quelques magasins de sport qui me soutiennent, la Ville aussi.
Avant de me mettre au trail, j’étais tout le temps dans la nature, sur les collines de Besançon, ou bien dans les Alpes suisses – quand l’envie de haute montagne me prenait. J’ai besoin de la hauteur, de la solitude, c’est là où je réfléchis et me ressource. Ma femme heureusement comprend que c’est si important pour moi, que j’en ai besoin. De temps en temps elle vient avec nos enfants nous encourager quand c’est dans la région et que le temps le permet.
Le trail comme outil de connaissance de soi et d’ouverture au monde
Je suis devenu addict à la course en montagne. Je suis allé jusqu’à 3500 mètres d’altitude, à Tenerife à Teide, c’est le plus haut sommet de l’Espagne. Grâce au trail, j’ai visité la France, la Suisse, le Japon, la Réunion, l’Afrique du Sud, Hong Kong, la Gaudeloupe, la Martinique.
C’est une discipline qui m’a vraiment permis de m’intégrer dans la société française et de rencontrer de belles personnes. Le trail a pris beaucoup d’élan, il y a de plus en plus de monde, de tous les âges, de tous les niveaux. En plus, il y a besoin de très peu de matériel, juste une bonne paire de chaussures. On peut courir, marcher, monter, descendre et le plus souvent en pleine nature. Il y a une très bonne ambiance, une solidarité et c’est précieux.
J’ai commencé par 35 km, mais on peut commencer tranquillement par petites distances. J’ai fait l’ultra Trail du Mont Blanc en 2016 : 170 km en 26 heures, J’ai fait aussi 3 fois la grand Raid de la Réunion : 165 km, une course réputée comme une des plus dures au monde. C’est pour ça qu’on l’appelle « La diagonale des fous » juste le temps de se ravitailler vite tous les 10, 15 km. On souffle quand-même de temps en temps. Au bout de 50 km c’est le mental et le goût de l’effort qui travaillent. Il y a de beaux paysages, de belles personnes. Mais sur les grandes distances généralement on est souvent seul, surtout la nuit.
Mon histoire à partager
Je souhaite par mon témoignage raconter une histoire de vie un peu différente. Je me dis que cela peut intéresser une personne venant de très loin, et donner de l’espoir. Raconter ce que c’est que de quitter son pays, souvent totalement différent et montrer que l’on peut construire sa vie ailleurs. Au tout début c’est l’inconnu. Moi, je n’étais pas seul ici au début, il y avait ma femme. Mais quand je pense au Népal, ce qui me manque c’est surtout ma famille. Maintenant, c’est un peu plus facile, il y a les réseaux sociaux bien que ce ne soit pas suffisant. Mais je suis si occupé que j’ai moins le temps d’être nostalgique.
Sur les collines de Besançon, plus près du Népal
Besançon c’est ma ville maintenant. La nature, les collines à proximité de la ville, pour moi c’est une ville parfaite, c’est quasiment ma ville natale. On m’appelle « le Bisontin ». J’essaie de promouvoir aussi la ville, la nature, car c’est un plaisir d’être bisontin. J’aime surtout les collines de Planoise, Rosemont p.ex., j’y vais souvent, c’est super bien aménagé, c’est paisible et accessible.
Quand je deviens nostalgique, je pars, souvent le soir, sur les collines avec ma flute traversière. Je joue souvent de la musique du Népal. J’ai toujours joué de la flute, c’était une manière de me distraire quand je m’occupais des vaches.
Témoignage de Sangé Sherpa, octobre 2018, recueilli et transcrit par Douchka Anderson, pour le site «Migrations à Besançon »
Népal
Besançon, France