Chaque jour, il croise des travailleurs d’origine algérienne. Il apprend qu’ils logent comme des rats, dans les casemates des anciennes fortifications de la ville
Jean Carbonare, né en 1926, d’un père d’origine italienne et d’une mère protestante de Montbéliard est orphelin à l’âge de 12 ans. Recueilli par une famille protestante de Besançon, il découvre à 16 ans, pendant l’occupation allemande, pour la première fois, les conséquences de la colonisation et de la guerre.
Jean Carbonare continue ses études et passe le concours des Arts et Métiers. Cependant, après la guerre, il interrompt celles-ci pour travailler dans le commerce de sa famille d’accueil, Grande Rue. Chaque jour, il traverse le pont Battant où il croise parfois des travailleurs d’origine algérienne, mal vêtus. Un jour, en 1948, il entame avec deux d’entre eux, originaires des Aurès, une conversation. Il apprend que démobilisés sur place en 1945, sans indemnité de retour, ils ont trouvé du travail à Besançon. Ils logent, comme des rats, dans les casemates des anciennes fortifications de la ville car, ils envoient l’essentiel de leur paie à leurs familles qui habitent dans des zones rurales très pauvres. Ils ne gardent pour eux que le strict nécessaire à leur survie.C’est une nouvelle découverte des méfaits de la colonisation. Jean Carbonare pare au plus pressé à partir de ses propres deniers. Dès 1952, il ne peut plus faire face : il rencontre Henri Huot, instituteur au collège Victor Hugo, qui accepte d’entrer dans une association qui pourrait prendre le relais grâce à des dons ou des subventions. Ainsi va naître, dans la salle à manger de Jean Carbonare, une association d’accueil aux travailleurs algériens qui deviendra l’A.A.T.E.M (Association d’Accueil des Travailleurs Etrangers et Migrants). Très vite Jean Carbonare en est l’un des piliers ; l’autre est l’abbé Chays qui, parallèlement, grâce aux quêtes lors de ses prêches, fournit une aide matérielle et morale aux travailleurs étrangers.
Ainsi, l’association pourra régler les problèmes les plus urgents. Elle pourra même embaucher un jeune étudiant pour aider les travailleurs nord-africains à rédiger leurs demandes auprès de leurs employeurs ou des administrations, dans une salle paroissiale de l’Eglise réformée, quai Vauban.
Aux élections municipales de 1953, Henri Huot, grâce aux nombreux “votes préférentiels” alors possibles, entre au conseil municipal aux côtés de Jean Minjoz élu maire. Désormais, l’association pourra bénéficier de l’oreille attentive de la municipalité.
Le plus urgent pour l’association est de fournir un logement décent aux travailleurs algériens. Avec la caution de la municipalité, la caisse nationale d’allocations familiales, dirigée par Gilbert Vieille, acquiert un terrain rue Clémenceau pour y construire un centre d’hébergement dont l’association sera gestionnaire.
Le logement de la plupart d’entre eux, célibataires ou sans famille à Besançon, sera assuré par une contribution mensuelle légère, mais que certains sont tentés de refuser pour ne pas diminuer les sommes envoyées à leur famille en Algérie. La municipalité devra, après l’inauguration des locaux en 1956, faire murer les casemates et brûler les baraques en bois près des portes de Battant pour régler définitivement cette situation.
Extrait de « les Nord-Africains à Besançon », éd Ville de Besançon juin 2007