Le catholicisme en France

Beaucoup de gens, et pas seulement les étrangers ou les Français issus des immigrations récentes et de culture non-chrétienne, ont du mal à « situer » la France aujourd’hui sur le plan religieux : pays chrétien ? Laïque ? Incroyant ? En voie de mutation religieuse ?


Nous répondrons à cette question en conclusion , et la réponse sera complexe, mais il existe une réalité historique certaine : la France a été pendant 13 siècles environ (VIIè-XXè s.) un pays extrêmement chrétien, précisons : malgré la présence depuis le XVIème siècle d’une minorité protestante, un pays extrêmement catholique, et c’est particulièrement  vrai pour la Franche-Comté. Cela, il faut le savoir pour comprendre la France d’aujourd’hui.

LA CHRISTIANISATION DE LA GAULE

1) Le christianisme, c’est-à-dire la croyance que Jésus, juif de Palestine, ayant réellement vécu vers 0 à + 30, était le fils de Dieu venu mourir sur la croix pour racheter les péchés des hommes, est à l’origine une religion moyen-orientale. Elle gagna peu à peu tout l’Empire romain. L’empereur Constantin se convertit en 312. L’empereur Théodose interdit le paganisme en 392.

Précisons que le mot « Christ » signifie en grec « oint », cad  consacré (par Dieu), et que le mot « catholique » signifie en grec « universel ». Le mot « chrétien » (disciple du Christ) et le mot « catholique » ont été longtemps utilisés indifféremment. Depuis la scission des protestants au XVIè siècle, le mot « catholique » a un sens plus restreint ; il désigne les chrétiens restés fidèles au pape de Rome et aux évêques.

2) Pays polythéiste où les dieux gaulois avaient été intégrés au panthéon romain, la Gaule a mis plusieurs siècles à se christianiser, villes d’abord, campagnes ensuite. La présence chrétienne est attestée en 177 à Vienne et Lyon. Des conciles (réunions d’évêques) se tiennent à partir de 314. Le premier évêque bisontin connu, Pancharius, est attesté en 346 ; les récits bisontins concernant les martyrs Ferréol et Ferjeux, censés être morts en 212, sont des fictions inventées vers 500. Le roi franc Clovis se fait baptiser en 500. Saint Martin vers 380, Colomban vers 600 sont des acteurs majeurs de cette christianisation, dont les spécialistes s’accordent à dire qu’elle est achevée vers l’an 700.

3) Un dense réseau de monastères et d’églises paroissiales fut installé aux VIè-Xè siècles. Monastères des bénédictins (Ordre de Cluny, puis Cisterciens) ou, plus tard,  des ordres dits mendiants (Franciscains, Dominicains). Eglises dans villes et villages, où la paroisse, surtout à la campagne, devient une unité de vie essentielle, autour de l’église et du cimetière. Elle se confond presque toujours avec le village (plus tard la commune). La christianisation se lit dans les noms de villages et de villes, qui se fixent au Moyen-Age. Sur 36 170 communes existant vers 1900, 4 450 portaient des noms de saints, et ce chiffre n’a pas changé. Le recordman est Saint Martin (250), devant Saint Jean (180), Saint Pierre (163), Saint Germain (130).


XIè siècle-1790     LA FRANCE ETAT CHRETIEN, SOCIETE CHRETIENNE

1) De Saint-Louis (XIIIè s) à Charles X (1824-1830), la monarchie (qui devient absolue) et la religion sont totalement liées. Les rois sont rois par la grâce de Dieu, ils sont « oints de Dieu» lors du sacre. Le clergé est loyal au roi. Le roi garantit la fidélité chrétienne du pays et combat les hérésies. Mais, face au pape de Rome, chef spirituel de la chrétienté catholique, les rois de France jouent un jeu subtil, entre obéissance, connivence et maintien jaloux de l’influence royale sur l’attribution des hauts postes ecclésiastiques (abbés des monastères, évêques), très rémunérateurs. Le souci du roi et de l’Eglise de France de garder une autonomie par rapport à Rome est appelé gallicanisme. L’attitude contraire (l’acceptation de la primauté absolue du pape dans toute la chrétienté), qui l’a emporté au XIXè siècle, est appelée ultramontanisme.

2) La trace monumentale. Chaque paroisse avait à cœur, pour honorer Dieu et par fierté de clocher, d’ériger de belles et vastes églises. Elles marquent encore très fortement le paysage de tous les villes et villages français.                                 Rappelons que les styles architecturaux dominants furent les suivants :

  • Le style roman (XI-XIIè siècles), très présent dans certaines provinces (Bourgogne, Poitou, Auvergne…) mais peu présent en Franche-Comté (Saint-Lupicin, Baume-les-Messieurs, Boussières).
  • Le style gothique (XIIIè-début XVIè siècles), le plus prestigieux en France (Paris, Amiens, Chartres, Reims…) est celui de la nef de Saint-Jean de Besançon, de Saint-Hippolyte de Poligny, Saint Anatoile de Salins.
  • Le style baroque (XVIè-XVIIIè siècles), inspiré du style dit « jésuite » venu d’Italie, représenté à Paris par le Val de Grâce ou la chapelle de la Sorbonne, est très présent en Franche-Comté, depuis la belle chapelle du Refuge de Besançon jusqu’aux très nombreuses églises villageoises construites au XVIIIè siècle. On peut parler dans leur cas de style classico-baroque, car elles sont classiques par leur austérité extérieure  mais baroques par l’exubérance de leurs autels et retables (cad les bas reliefs, ou hauts reliefs ou peintures placés derrière l’autel). Une particularité comtoise : les beaux clochers à l’impériale qui couronnent 660 des églises de la province (dont la cathédrale Saint-Jean, qui se trouve ainsi un peu romane, beaucoup gothique et beaucoup baroque).
  • Au XIXème siècle l’emporta un style composite, caractérisé par le néo : néo-roman, néo-gothique, et même (basilique Saint-Ferjeux de Besançon) néo-byzantin, avec coupoles et clochetons.
  • L’art sacré du XXème siècle accompagne les évolutions de l’art profane. Ainsi la chapelle de Ronchamp de Le Corbusier, beau et austère vaisseau de béton qui couronne une colline du Nord comtois.

3) XVIè siècle : Réforme et Contre-Réforme

  • Vers 1530-1580, une partie des chrétiens refusa l’obéissance à Rome, le culte de la Vierge et des Saints, le rôle excessif des images, et l’existence d’un clergé, considéré comme obstacle entre le croyant et Dieu. Parmi ces protestants (ou : Huguenots), les uns suivaient la voie du moine allemand Martin  Luther, les autres l’enseignement du Français Jean Calvin, installé à Genève.

De terribles guerres de religion entre catholiques et protestants ravagèrent la France entre 1562 et 1598. En août 1572 , le jour de la Saint-Barthélémy, 3 000 protestants sont massacrés à Paris, puis 5 à 10 000 en province.

Il est remarquable que les protestants français, qui n’ont pas oublié cet épisode, aient peu à peu accepté de ne pas l’utiliser comme arme mémorielle contre les catholiques.

  • 1598, 1685, 1787 : trois dates marquantes.

La première est celle de l’Edit de Nantes : les 5 à 10% de huguenots que comptait le royaume se voient reconnaître leur liberté de culte.

La seconde date est celle de la Révocation de cet édit par Louis XIV. Les huguenots doivent se convertir ou (100 à 200 000 le firent) s’exiler. L’opinion approuve massivement la mesure.

La troisième date est celle d’un édit de tolérance pris par Louis XVI, qui entérine la situation de fait qui s’était créée au XVIIIème siècle malgré la Révocation.

Notons qu’à Besançon, les huguenots de Montbéliard et de Neufchâtel, villes protestantes, tentèrent en 1575 un coup de main sur la ville. Ce fut un échec sanglant, et la Franche-Comté resta, face aux luthériens de Montbéliard et aux calvinistes de Genève, un avant-poste solide du catholicisme.

  • L’Eglise catholique se réforma profondément face au danger protestant. Les grandes décisions furent prises lors du concile de Trente (1545-1563) : réaffirmation des dogmes, du rôle du clergé (prêtres, évêques, pape), de la légitimité des images comme reflets de Dieu et du sacré.

La création importante de séminaires (lieux d’études pour la formation des prêtres) permit d’améliorer la qualité du clergé. Cette Eglise « tridentine » (adjectif formé sur le nom de Trente) se veut vertueuse, hiérarchisée et romaine. Un ordre religieux créé en 1540 incarna l’énergie retrouvée de l’église catholique : les Jésuites. Ils créèrent en Europe des centaines d’établissements d’enseignements ; en Franche-Comté apparurent des collèges jésuites à Besançon (actuel collège Victor Hugo), Dole (celui-ci toujours en activité), Vesoul, Gray et Salins.

  • L’art chrétien reçut du concile une impulsion nouvelle. Après les fresques, les tableaux, par centaines de milliers, ont raconté les épisodes de la vie de Jésus, de Marie et des saints : Annonciation, Nativité, miracles, Crucifixion, Résurrection. Les plus grands peintres ont produit d’admirables tableaux sacrés, dès avant le concile de Trente : Giotto, Van Eyck, Fra Angelico, Memling, Van der Weyden. En France, au XVIIè siècle, on citera Georges de La Tour, Simon Vouet, Philippe de Champaigne, Nicolas Poussin.

La production musicale chrétienne est également immense, et très souvent admirable, depuis les austères psalmodies du chant grégorien du Moyen-Age jusqu’aux Requiems de Verdi et Fauré au XIXè siècle, en passant par messes, cantates, Passions (récits chantés de la marche du Christ vers la mort), oratorios, Stabat Mater (la souffrance de la Vierge Marie près de la croix), Leçons des Ténèbres (lamentations du prophète Jérémie). Citons en France, au XVIIè siècle, André Campra, Michel-Richard Delalande, François Couperin, et, en Franche-Comté, au XVIè siècle, le protestant bisontin Claude Goudimel (assassiné à Lyon lors de la Saint-Barthélémy).

4) La France, société totalement chrétienne

  • La vie sociale était encadrée, à un point que nous avons du mal à imaginer, par les rites chrétiens administrés ou mis en scène par le clergé : les sacrements (notamment baptême, mariage, communion, appelée aujourd’hui Eucharistie,extrême-onction appelée aujourd’hui « sacrement des malades »), la messe dominicale, les processions, la prière en famille avant le repas, le repas maigre du vendredi. Partout, dans les villes et les villages, dans les champs et les forêts, au sommet des collines et des monts, au croisement des chemins, croix, statues, tableaux, chapelles, oratoires, calvaires, grottes artificielles rappelaient (rappellent) la catholicité de la France et incitaient le fidèle à la méditation et à la prière.
  • Ne pas participer aux rites (à la messe dominicale par exemple) était à peu près impossible. Proclamer publiquement son incroyance, son athéisme, l’était aussi et même dangereux.  Cette situation n’est pas sans rappeler celle qui prévaut actuellement encore dans les pays musulmans.
  • Pourtant, le rationalisme (l’appui sur la raison humaine plutôt que sur les dogmes de la foi) progressait. La philosophie des Lumières, qui critiquait le dogmatisme et l’intolérance dont faisait trop souvent (pas toujours) preuve l’Eglise, remportait un succès croissant dans les élites sociales et intellectuelles, qui lisaient Voltaire, Diderot, l’Encyclopédie.

La décadence de nombreux monastères (austérité non  respectée, richesse de certains abbés) nourrissait un anticléricalisme populaire qui se manifestera sous la Révolution.

En sens inverse, de nombreux religieux participent activement à la vie intellectuelle, comme l’abbé Boisot (1638-1694), personnalité très attachante, dont la remarquable bibliothèque, léguée à son abbaye de Saint-Vincent (actuelle Faculté des Lettres de Besançon), forma le noyau de la Bibliothèque municipale de la ville.


LA REVOLUTION : LA GUERRE ENTRE L’EGLISE ET LES REPUBLICAINS

La Révolution française représenta pour l’Eglise un choc d’une violence inouie. Elle modifia pour jamais les relations entre l’Eglise et l’Etat. Elle coupa les Français en deux : gauche et droite, et l’Eglise fut à droite.

1) La Constitution civile du clergé de juillet 1790 enleva à l’Eglise ses revenus (la dîme, impôt obligatoire) et ses biens, nationalisés pour être vendus. Les congrégations régulières furent dissoutes. Evêques et prêtres, désormais payés par l’Etat, étaient élus par tous les citoyens électeurs.

2) L’Eglise de France éclata en deux lorsque le pape condamna cette Constitution. Moins de la moitié des prêtres prêta serment au texte, pourcentage qui tombe à un quart en Franche-Comté. La majorité suivit donc le pape en refusant le serment. On appela les premiers « jureurs » ou « constitutionnels », et les seconds « réfractaires ».

3) La répression contre les réfractaires, fidèles au pape et au roi détrôné puis exécuté, fut impitoyable. Des milliers durent s’exiler (beaucoup de Francs-Comtois partirent à Fribourg en Suisse). 3 000 furent massacrés ou exécutés en France. En 1793-94, pendant la Terreur, les Jacobins pratiquèrent une politique de déchristianisation, fermant les églises, déprêtrisant les prêtres, laïcisant le calendrier, débaptisant les villes. Ainsi dans le Doubs, Saint-Hippolyte devint Doubs-Marat, et Saint-Vit Egalité-sur-Doubs. En 1797 encore, 7 prêtres francs-comtois furent guillotinés et 80 déportés en Guyane (« la guillotine sèche »).

4) L’Eglise sortit de la Révolution dans un état lamentable, sur le plan matériel. La pratique religieuse s’était perdue dans plusieurs régions. Mais l’épreuve avait trempé les survivants, et la majorité des Français restait attachée à la libre pratique du culte catholique.

Le plus grave, car ce fut durable, est la réalité suivante, dont on peut discuter à perte de vue pour savoir quel « camp » en fut responsable : 1. L’Eglise catholique était attachée politiquement aux partisans de la monarchie absolue, cad à la droite dure, et hostile à une Révolution persécutrice. Elle était dans le camp contre-révolutionnaire. 2. La gauche attachée à la Révolution et à l’idée républicaine condamnait le couple Eglise-monarchie et refusait le cléricalisme (l’idée que le clergé doit régir la vie sociale avec le soutien du gouvernement). Elle était anticléricale. Elle était tentée d’être hostile à la religion elle-même. Etre catholique et de gauche allait être pendant presque 150 ans largement  incompatible.


1802-1905  DU CONCORDAT A LA SEPARATION

1) Par le Concordat, Napoléon passa en 1802 un compromis avec le pape et avec l’Eglise. On revenait au calendrier et aux toponymes chrétiens ; le catholicisme était reconnu comme « religion de la grande majorité des Français ». Le pape consacrait les évêques. Le clergé était payé par l’Etat, et loyal au régime.

Ce Concordat durera, à travers tous les régimes politiques (empire, monarchie, république), jusqu’à 1905.

2) L’Eglise catholique connaît une remarquable renaissance après la tourmente révolutionnaire. On relève les ruines, on refond des milliers de cloches, de nouvelles congrégations naissent par dizaines. S’installent à Besançon, par exemple, les sœurs de la Charité, créées par la Comtoise Sainte Jeanne-Antide Thouret, les sœurs de la Sainte Famille.

Monastères et séminaires sont pleins. On ordonne en 1830 2 357 prêtres (100 aujourd’hui). La France compte en 1878 56 000 prêtres diocésains  (11 000 aujourd’hui), 30 000 religieux réguliers, 130 000 religieuses. En Franche-Comté, sur les plateaux et la montagne jurassiens, qui s’étaient montrés très réfractaires sous la Révolution au point de mériter le surnom de « petite Vendée », les vocations religieuses sont particulièrement  nombreuses.

3) Mais l’Eglise semble tourner le dos au monde moderne, refuser la science, le rationalisme, et rêver d’un retour à la société médiévale cléricalo-royale. C’est le sens de l’encyclique papale Quanta Cura, et du Syllabus, deux textes de 1864 dont le second énonce 80 propositions libérales qu’il condamne. Le puissant réseau scolaire catholique diffuse une vision du monde orientée en ce sens.

Lors de l’Affaire Dreyfus (1898-99), une partie très visible des catholiques français (avec le journal La Croix) se range dans le camp antidreyfusard, antisémite et antirépublicain.

4) L’affrontement des Républicains avec l’Eglise fut violent, quoique cette fois non-sanglant. Gambetta, grand leader républicain, avait lancé en mai 1877 que « le cléricalisme, voilà l’ennemi », et la gauche républicaine devenue cette année-là majoritaire s’attaqua à la puissance de l’Eglise de France. Son effort porta principalement sur l’école, où la situation était complexe : à côté d’un réseau scolaire catholique important existait un réseau public où les religieux avaient le droit d’enseigner.

La bataille eut lieu en trois temps ; 1. En 1881, Jules Ferry (qui laïcisait l’école publique) interdit aux congrégations masculines non-autorisées d’enseigner. 261 établissements furent fermés. 2. En 1903-1904, dans une ambiance de revanche anticléricale après les excès de certains catholiques antidreyfusards, les députés appliquèrent très durement la loi de 1901 sur les associations, et refusèrent de très nombreuses autorisations aux congrégations qui les demandaient. 5 000 établissements d’enseignement religieux furent fermés. 30 000 religieux enseignants s’exilèrent vers Belgique, Espagne, Suisse, Québec. Cet épisode considérable est très mal connu, et n’est étudié sérieusement, et sans polémique, que depuis peu.

3. Dernier épisode, logique, et bien connu : le vote en 1905 de la Loi de Séparation des Eglises (protestantisme et judaïsme sont aussi concernés) et de l’Etat, au nom du principe de laïcité. Cette loi capitale, qui rompt avec des siècles de fusion ou collaboration entre le pouvoir politique et la religion unique ou dominante, stipule que :

– L’Etat ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. Il est religieusement neutre.

– Il garantit le libre exercice des cultes.

– Il n’intervient pas dans la vie des Eglises, et celles-ci renoncent à imposer leurs lois aux législateurs. La loi commune n’a pas à se conformer spécialement aux stipulations et prescriptions des différentes religions.

Le patrimoine immobilier de l’Eglise va à l’Etat (c’est ainsi que l’évêché de Besançon est devenu le rectorat, près de la Porte Noire), à charge pour lui de l’entretenir (les communes paient l’entretien des bâtiments antérieurs à 1905) et de s’entendre avec les catholiques pour aménager leur utilisation des lieux de culte.

Cette Séparation, mal vue par les catholiques conservateurs qui ont crié à la spoliation, s’est en fait révélée à l’usage bénéfique aux deux parties. L’Eglise s’est retrouvée pauvre, mais libre. Détail matériel non négligeable : elle n’a pas à assurer les très lourds frais d’entretien de l’énorme patrimoine architectural religieux français.


1905-2015 L’’EGLISE DANS LA REPUBLIQUE LAIQUE

1.Les relations Eglise-Etat se sont peu à peu normalisées, après les tensions des années 1905 et une dernière phase difficile en 1924. Les exilés des années 1900 revinrent.

La participation des catholiques à la lutte nationale lors des deux guerres facilita cette normalisation. Ainsi, en 1940-44, le conformisme pétainiste de l’épiscopat fut plus que compensé par l’engagement résistant de nombreux catholiques. Les noms d’Henri Fertet, lycéen catholique fusillé à la Citadelle, de l’abbé Bourgeois et de sœur Baverez, morts en déportation, ne sont pas oubliés des Bisontins.

2. Le financement des écoles catholiques est resté un point d’affrontement. L’Etat a consenti à donner un coup de canif à sa laïcité, puisque, par les lois Marie-Barangé de 1951 et la loi Debré de 1959, il a accepté de payer les professeurs de l’enseignement privé (catholique à plus de 90%). Les tenants d’une stricte séparation dénoncent cette situation, que les parents catholiques veillent à préserver (plus d’un million dans la rue en 1983).

3. La vitalité catholique est restée remarquable jusque vers 1970. Vitalité sociologique, manifestée par la force des organisations catholiques (mouvement scout, Jeunesses agricole, ouvrière, étudiante chrétiennes, et la CFTC, confédération française des travailleurs chrétiens), par la fréquentation très forte des patronages du jeudi (activités d’encadrement des enfants par prêtres et jeunes chrétiens), pélérinages, messes dominicales, le tout soutenu par un encadrement clérical maintenu (1 033 ordinations en 1950, encore 646 en 1965). Le dynamisme du syndicalisme chrétien ( CFTC devenue en 1964 CFDT, confédération française démocratique du travail) est particulièrement net en Franche-Comté, où vit une tradition chrétienne de gauche qu’illustreront en 1973, lors du mouvement social des ouvriers de l’usine Lip, des hommes comme Charles Piaget et  Jean Raguenès.

Vitalité intellectuelle, réaffirmée vers 1900 par la génération des Péguy, Claudel, Psichari, maintenue par des hommes comme Gabriel Marcel, Jacques Maritain, François Mauriac, jusqu’à la génération des historiens René Rémond et Jean Delumeau, et illustrée par des revues de renom comme Esprit ou Etudes, et par l’importance de la presse catholique (Le PèlerinLa Vie catholique illustrée – devenue La Vie-, le quotidien La Croix). Citons en Franche-Comté, toujours actifs, les historiens Gaston Bordet et Joseph Pinard, chrétiens et socialistes.

Mais, dans les années 1945-70, l’hégémonie intellectuelle du marxisme, sous ses formes stalinienne puis gauchiste, véritable religion séculière de substitution, fit reculer durablement l’influence des penseurs catholiques.

4. Effondrement et mutation 1965-1975

On a rarement vu une institution puissante et millénaire comme l’était l’Eglise catholique vaciller et s’affaiblir avec une telle rapidité, et cela sans guerre, sans persécution.

En 1965, on ordonne 646 prêtres. En 1970, 285. En 1977, 97. En 15 ans (1965-1980), 4 000 prêtres quittent les ordres. Il y avait environ 40 000 prêtres diocésains (= exerçant dans une paroisse) en 1968, ils étaient 20 400 en l’an 2000. La pratique religieuse connut elle aussi dans cette décennie un effondrement, qui n’a pas été enrayé.

A quoi est dû un tel collapsus ? « A un double événement majeur et concomitant. Le concile Vatican II (1962-1965), par lequel l’Eglise catholique, en se réformant, acceptait le risque de sa propre déstabilisation, comme l’observe l’historien Denis Pelletier ; puis Mai 68, qui allait saper l’autorité des Eglises, comme d’autres institutions porteuses de sens, de normes morales et prescriptions dogmatiques, trop insérées dans la culture du temps pour ne pas en subir les chocs et les traumatismes » (Henri Tincq).

Le concile Vatican II, décidé par le pape Jean XXIII, avait en effet déclenché un vigoureux aggiornamento de l’Eglise, qui se traduisit visiblement par l’abandon de la soutane par les prêtres et par le passage du latin aux langues nationales lors des messes, et qui comportait plus profondément l’abandon définitif du projet de restauration d’un ordre socio-politique chrétien et l’acceptation sereine et fraternelle d’un monde laïc majoritairement indifférent, où les chrétiens doivent témoigner et non s’imposer.

C’est donc un catholicisme en pleine mutation et en plein trouble (les catholiques traditionnalistes refusaient Vatican II) qui rencontra la tornade de Mai 68. Tornade féconde à certains égards, ravageuse à d’autres puisqu’elle accentua le puissant mouvement d’individualisme et de rejet des normes (notamment morales, sexuelles par exemple) qui travaillait en profondeur les sociétés occidentales engagées dans les Trente Glorieuses. La crise ébranla tous les mouvements chrétiens. L’Eglise, engagée dans de difficiles réformes,  perdit des militants « à gauche », attirés par le marxisme ou l’incroyance. Elle en perdit « à droite », où l’évêque français Monseigneur Lefebvre organisa, en rupture avec Rome, les catholiques les plus traditionnalistes. Le pape Paul VI (1963-1978) géra tant bien que mal ces crises. Jean-Paul II (1978-2005), beaucoup plus charismatique, recentra l’Eglise dans un sens plus conservateur (excommuniant en même temps Mgr Lefebvre en 1988).


LES FRANÇAIS SCHIZOPHRENES : INDIFFERENTS ET CATHOPHILES

1.La chute continue, impressionnante

En 1962, 85% des Français se disaient catholiques, et 11% se déclaraient sans religion.

En 2003, les deux pourcentages sont 62% et 27%, soit, en chiffre absolu, 42 et 16 millions de personnes. L’islam, inférieur à 1% en 1962, concerne 6% des Français, soit 4 à 5 millions de personnes (pas toutes pratiquantes). (Enquête CSA 2012).

Le nombre de catholiques pratiquants réguliers est très faible, et continue de baisser : environ 3,2 millions de personnes. Ce chiffre confirme une réalité observable par tous : le vide de la plupart des 45 000 églises du pays, vide tel qu’on voit affecter à d’autres usages un nombre croissant d’entre elles.

Autres signes : il y avait 147 000 mariages religieux en 1990, et 74 000 en 2011 ; 472 000 baptêmes en 1990, 303 000 en 2010 (pour 800 000 naissances environ).

Les prêtres diocésains, qui étaient 20 400 en 2000, sont 15 000 en 2010, dont 11 000 en poste. 800  meurent chaque année, pour 100 ordinations, si bien qu’un nombre croissant de prêtres sont originaires d’Afrique ou d’Asie et officient jusqu’au fond des provinces françaises, où ils sont accueillis avec reconnaissance par les croyants.

Les perspectives sont inquiétantes pour l’Eglise de France, car 47% des jeunes de 18 à 24 ans se déclarent sans religion. Les soixante-huitards, massivement élevés dans la religion catholique, ont massivement perdu la foi et n’ont donc pas transmis la foi et la culture religieuse à leurs enfants, phénomène encore accentué à la génération suivante. La rupture de transmission a été brutale.

Au final, la pratique religieuse régulière des catholiques français (4,5% des 62% qui se déclarent catholiques) est la plus basse de tous les pays de tradition catholique. Chute libre, mort lente, anémie, risque d’extinction : les mots des journalistes et historiens peuvent varier, la réalité statistique décrite est bien la même. Elle est incontestable. Des livres ont pu être écrits, à juste titre, sur le retour du religieux dans le monde musulman, aux Etats-Unis ou en Russie. Rien de tel ne peut être constaté en France.

2. L’influence catholique reste pourtant sensible

a. Le réseau scolaire catholique est vigoureux, avec ses 2 millions d’élèves, soit 17% du total des élèves avant le bac. Sa bonne santé tient en partie à sa réputation, parfois justifiée, souvent exagérée, de refuge des élèves travailleurs, mais il est certain qu’il attire jusqu’à des enfants de familles non-croyantes ou musulmanes.

b. Organismes et médias chrétiens restent actifs. Le Secours catholique, le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement) sont très présents. Le mouvement scout est sorti des crises, et compte environ 70 000 adhérents.

La Croix est un quotidien à la qualité reconnue, et vend une centaine de milliers d’exemplaires. Un important réseau de radios catholiques, RCF (Radios chrétiennes francophones)  couvre la France, avec 63 stations, dont RCF Besançon, radio estimée mais d’audience faible (0,3% d’audience cumulée en 2013 selon l’enquête Médiamétrie). Le réseau attire chaque jour 500 000 auditeurs dans toute la France.

c. La faible présence quotidienne du catholicisme dans la vie publique contraste avec une capacité maintenue de mobilisation, qui étonne lorsqu’elle se manifeste : ainsi lors du succès des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Paris en 1997 (plus d’1 million de participants), ou lors des « Manifs pour tous » de 2013-2014 contre le mariage homosexuel et l’homoparentalité, qui rassemblèrent des centaines de milliers de marcheurs, principalement issus des milieux catholiques traditionnalistes.

On doit d’ailleurs noter que, la loi Taubira une fois adoptée, l’Eglise n’appela pas à des formes d’opposition plus dures. Elle est habituée à s’incliner devant le principe de la laïcité de l’Etat.

Plus continu, mal connu des Français non catholiques, est le succès des pélérinages. Lourdes, qui accueille chaque année des centaines de milliers de pélerins, est, avec 300 hôtels, la seconde ville hôtelière de France après Paris.

d. L’attachement de la masse des Français, incroyants et catholiques non-pratiquants inclus, au formidable patrimoine culturel produit par le catholicisme, est extrêmement profond. Doit-on parler de « christianisme patrimonial » ? De « christianisme esthétique » ? Touristes et amoureux de la culture se pressent par millions dans les cathédrales, dans les musées devant piétas et crucifixions, dans les églises et salles de concert pour écouter Bach, Haendel ou Couperin. Situation ambiguë : ainsi se maintient un contact de masse avec les épisodes de l’histoire sainte, mais les prêtres peuvent constater avec mélancolie (ou colère) que cet intérêt esthétique massif ne va pas jusqu’à susciter un sensible retour à la foi.

e. De nature proche est la fidélité maintenue à plusieurs grands rites et fêtes catholiques. Ainsi les crèches de Noël restent-elles très populaires, dans l’espace privé et, dans les villages, dans l’espace public. Ainsi les villages restent-ils en grande majorité attachés aux sonneries des cloches de leur église. Ainsi les Français restent-ils attachés au calendrier et à la toponymie chrétiens, alors même qu’ils ignorent de plus en plus le sens des fêtes chrétiennes qui génèrent plusieurs de leurs week-ends (Pâques, Ascension, Pentecôte).

Dans le même sens, si baptêmes et mariages chrétiens sont en recul, on doit constater que, lors des enterrements, les églises se remplissent toujours, surtout dans les villages. La phrase étonnante de François Mitterrand à propos de la forme de ses obsèques (« Une messe est possible ») est très représentative de l’ambiguité des Français dans leur relation de détachement/attachement avec l’Eglise catholique. Celle-ci reste pour beaucoup la meilleure gestionnaire du grand saut dans l’inconnu. Il est vrai qu’elle enseigne depuis des siècles à ses ouailles l’art de bien mourir (en latin : ars moriendi).

f. L’Eglise catholique réagit. Elle organise son repli géographique : ainsi l’évêché de Besançon, qui comptait plus d’un millier de paroisses, est organisé aujourd’hui en 66 paroisses et unités paroissiales. Elle promeut le rôle des diacres, laïcs mariés habilités à exercer certaines prérogatives du prêtre.

Mais elle maintient fermement certaines spécificités fortement contestées, comme le célibat des prêtres et la non-accession des femmes à la prêtrise. Elle maintient aussi son corpus de dogmes moraux et anthropologiques, le refus de l’avortement et de l’euthanasie au nom du respect de la vie. Elle est traversée par de vifs débats sur l’acceptation de l’homosexualité en son sein.

g. Faut-il parler avec la sociologue Danièle Hervieu-Léger d’une « exculturation » du christianisme en France ? Elle entend par là que « le catholicisme ne fait plus aujourd’hui partie des références communes de notre univers culturel français » et que « ses références et ses valeurs, ses représentations sont sortis, ou en train de sortir, du champ social ». On ne saurait dire que les statistiques et les situations évoquées ci-dessus démentent ce diagnostic.


CONCLUSION

  • Le catholicisme français est donc passé en 120 ans environ (Ancien Régime, Révolution, Concordat de 1802, Séparation de 1905) de la situation de religion officielle, triomphante, écrasante, à celle de religion toujours majoritaire et puissante socialement mais contestée, combattue, et désofficialisée par un Etat devenu pour sa part laïc.
  • Les 70 années suivantes (1905-1975) ont vu l’Eglise garder l’essentiel de sa puissance sociale, au sein d’une République laïque devenue tolérante. L’ennemi qu’elle affronta alors,  surtout après 1965, n’était pas politique, mais social et intellectuel : c’était l’indifférence et la montée de l’individualisme, entraînant la désaffection spontanée massive des fidèles.
  • La crise persistante de l’Eglise catholique en France est-elle une conséquence de la Séparation d’avec l’Etat ? Certainement non, puisque les 70 ans qui ont suivi 1905 n’ont pas été pour elle un temps de décadence. La laïcité fançaise est certes née contre l’emprise socio-politique de l’Eglise, mais elle n’est plus, depuis longtemps, anticatholique. Elle n’est pas plus hostile à d’autres religions, à condition qu’elles respectent la primauté de la loi sur les préceptes religieux dans l’espace public. L’islam français a tout à gagner à bien connaître le long chemin de l’Eglise de France pour bien comprendre une société à la fois largement déchristianisée et toujours assez profondément cathophile, à la fois laïque et très marquée culturellement par le catholicisme.
  • Des racines chrétiennes, la France en a, et il est absurde de refuser ces mots au prétexte que l’extrême-droite en fait un large usage. Il faut simplement ajouter aussitôt qu’elle a aussi, en amont, des racines gréco-latines, et, en aval,  des racines rationalistes et laïques, et que ce triple enracinement n’empêche pas l’ouverture à d’autres traditions, sous réserve d’inventaire.

Pierre Kerleroux, mai 2015


BIBLIOGRAPHIE

1) Ouvrages généraux

  • Jacques Le Goff et René RémondHistoire de la France religieuse, Le Seuil, collection Points-Histoire, 1988 à 1992, en 4 tomes de plus de 500 pages chacun. Une somme reconnue, d’une grande précision.
  • Pierre Pierrard, Histoire de l’Eglise catholique, Desclée de Brouwer, 2è édition, 1978, 327 pages. Un auteur trop peu connu.
  • Xavier de Montclos, Brève Histoire de l’Eglise de France, Le Cerf, 2002, 207 pages. Une synthèse commode.
  • Philippe Boutry, « Le clocher », in Les Lieux de Mémoire, direction Pierre Nora,  tome III, Les France, volume 2, Traditions, 1992.

2)      XIXème-XXème siècles

  • Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, Histoire religieuse de la France contemporaine, Privat, nouvelle édition, 2000, en trois tomes.
  • Gérard Cholvy, Christianisme et Société en France au XIXème siècle 1790-1914, Le Seuil collection Points, 2001, 197 pages.
  • Denis Pelletier, Les catholiques en France depuis 1815, La Découverte, 1997, 128 pages.
  • Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors-la-loi, Perrin, collection Tempus, 2006, 323 pages.
  • Emile PoulatNotre laïcité publique, Berg international, 2003.
  • Jean-Marie Mayeur, La Séparation de l’Eglise et de l’Etatéd. de l’Atelier, 2005.
  • Jean-Paul Scot, L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle. Comprendre la loi de 1905, Seuil, Points-Histoire, 2005, 248 pages.

3)      Le catholicisme aujourd’hui

  • Denis Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France 1965-1978, Payot, 2002, 321 pages. 2ème édition Rivages-Poches, 2005.
  • Henri Tincq, Les Catholiques, Hachette-Pluriel, 2009.
  • Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Bayard, 2003, 334 pages.
  • Marcel GauchetLe désenchantement du monde, une histoire politique de la religion, Gallimard, 1985, 336 pages et Folio-Essais, 2005.

4)      En Franche-Comté

  • Maurice Rey (dir.), Histoire des diocèses de France, tome 6 : Besançon et Saint-Claude, par MM. Courtieu, Lacroix, Lassus, Ledeur, Rey, de Vregille, Beauchesne, 1977, 318 pages.
  • Vincent PetitLe Curé et l’ivrogne. Une histoire sociale et religieuse du Haut-Doubs au XIXème siècle, L’Harmattan, 2004, 268 pages.
  • Les Cahiers de la Renaissance du Vieux Besançon,  numéro 10, Dix siècles de Vie religieuse à Besançon : les congrégations du XIè au XXIè siècle, 1996, 96 pages. Nouvelle édition en 2011 sous le titre La Vie religieuse à Besançon du IIème  siècle à 2010, 14 auteurs, coordination Pierre Chauve.

5)      Histoire sainte, peinture, musique

  • La Bible illustrée pour garçons et fillesLes deux Coqs d’or, 1978, 543 pages.
  • Dictionnaire culturel de la Bible, Perrin/Tempus, 2010, 624 pages.
  • Jacques Veissid, Savoir à quel saint se vouer, Perrin, 2009, 345 pages.
  • Rosa Giorgi, quatre livres dans la collection Guide des Arts de l’éditeur Hazan, Les Saints (2009, 384p., 450 illustrations), Anges et Démons (2004), Symboles et Cultes de l’Eglise (2005), Le Livre d’or du Paradis et de l’Enfer (2014).
  • Caroline Desnoëttes, Découvre la Bible racontée par les peintres,Albin Michel jeunesse, 2012, 48 pages.
  • Le coffret « Sacred Music » de l’éditeur Harmonia Mundi, 70 œuvres en 30 disques, du chant grégorien à Leonard Bernstein.
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