Les juifs de France

Les Juifs occupent une place importante dans l’histoire de la nation française. Au-delà des enjeux géopolitiques tournant autour du conflit israélo-arabe, il est nécessaire que les Français ou étrangers issus des immigrations récentes connaissent bien cette place.


Il existe de vieux liens entre la France et ses Juifs, comme entre la France et ses Italiens, et comme il existe des liens plus récents entre la France et ses Polonais, ses Portugais, ses Arabes. Dans tous ces cas, les liens sont devenus ou deviennent consubstantiels, ceux des Juifs étant plus anciens, et plus forts à cause de la Shoah.

• Qu’est-ce qu’être juif ? Plusieurs mots proches doivent en être distingués. Hébreu désigne soit la langue parlée en Israël (parler hébreu ; l’alphabet hébraïque), soit les tribus juives des temps antiques (les Hébreux). Israélien est un terme politique, qui désigne la citoyenneté d’un Etat : Israël. Israélite, terme qui désignait vers 1800-1945 les Français de confession ou de tradition judaïque, n’est pratiquement plus utilisé. Sioniste désigne, avant 1948, les partisans (juifs ou pas) de la naissance de l’Etat d’Israël. Depuis lors il a gardé ce sens (partisan de l’existence de l’Etat d’Israël), mais il en a pris dans la polémique un autre : partisan d’un soutien inconditionnel à la politique de l’Etat d’Israël. Sémite désigne un groupe ethno-linguistique, auquel appartiennent tant les Arabes que les Juifs (on parle de langues sémitiques). Ce sens scientifique demeure. Mais on sait que le mot a fini, dans la polémique, par ne désigner que les Juifs, et ceux qui les détestent (les antisémites).
Le mot «Juif » recouvre un peu toutes ces significations, sans se confondre totalement avec aucune. Désigne-t-il une race ? Non. Il n’y a pas plus de race juive que de race française, et les stéréotypes physiques antisémites souffrent d’énormément d’exceptions. Est-ce une religion ? La religion judaïque, ou hébraïque, ou juive, existe certes, vivante et pratiquée par beaucoup. Mais beaucoup d’autres Juifs français sont parfaitement incroyants, ou non-pratiquants. Est-ce une culture ? C’est-à-dire un mélange de traditions linguistiques (quelques mots de yiddish, ou de ladino), culinaires, musicales, littéraires, avec une pratique séculaire de l’humour ? Certainement oui. Est-ce la conscience d’une histoire commune, à la fois glorieuse et tragique ? Oui aussi. « Ce qui nous faisait Juifs, c’était l’ombre portée de la Shoah » (Nicole Lapierre). Certains, comme Thierry Lévy, ont proposé une définition totalement subjective : « être juif, c’est être considéré comme tel, ou encore se sentir juif ».

• Une chose est sûre : pas plus que quand il s’agit des Musulmans ou des Arabes, on ne peut considérer les Juifs comme un bloc homogène. Il y a toujours eu, et c’est encore le cas, de multiples manières d’être (ou de ne pas avoir envie d’être) juif, et de multiples manières de mêler sa judéité à d’autres identités (nationale – française en France -, politique, idéologique, sociale, sexuelle…).


I) LES ORIGINES DU PEUPLE JUIF

1) Les Hébreux étaient probablement une tribu semblable à celles des Bédouins d’Arabie. Ils nomadisaient dans l’actuel Irak, puis partirent vers le nord-ouest, vers l’actuelle Palestine. Ils se distinguèrent des autres Sémites vers les XIIIe-XIIe siècles avant Jésus-Christ par leur adhésion à un monothéisme non universaliste, qu’on appela plus tard le judaïsme, fondé sur cinq livres sacrés (la Torah) et sur les commentaires ultérieurs à propos de ces livres (le Talmud).

2) Des royaumes juifs existèrent en Palestine aux XIe-VIIIe siècles avant JC. L’un de ces royaumes s’appelait « Royaume de Juda ». C’est de lui que vient le mot « Juif » (en latin : « judaeus », littéralement : judéen).La région fut conquise par Babyloniens, Perses, Grecs, Romains. A l’époque romaine, un Juif nommé Jésus prêcha vers l’an +30 un monothéisme universaliste, refusé par la majorité des Juifs. Jésus fut condamné et crucifié par les Romains, avec l’approbation des autorités juives. Malheureusement pour les Juifs, le christianisme devint la religion officielle de l’Empire romain au IVe siècle.

3) Y eut- il dispersion (diaspora) du peuple juif au moment des révoltes contre la domination romaine, vers +70, puis vers +135 après JC ?
Ce point est très controversé. Le récit national sioniste-israélien veut que le peuple juif ait été dispersé vers l’Europe occidentale, avant de glisser vers l’Europe orientale, d’où il revint vers l’Ouest ou vers sa terre originelle de Palestine (appelée Sion, du nom d’une colline de Jérusalem). Il y aurait donc eu continuité ethnique entre les origines et aujourd’hui.
Certains historiens, notamment Shlomo Sand, critiquent ce récit avec de solides arguments. Selon eux, il n’y aurait pas eu de dispersion brutale, seulement des émigrations lentes. Ils insistent sur les nombreux métissages qu’ont connus les Juifs au cours de leurs déplacements, notamment dans le cadre de l’empire khazar (VIIIe-IXe siècles), un empire turcophone du Sud de la Russie qui se convertit au judaïsme. La controverse n’est pas tranchée.


II) IIe-XIVe siècles : LES JUIFS PRESENTS PARTOUT EN GAULE ET EN FRANCE

1) Les Juifs ont accompagné la progression romaine en Gaule très tôt, tout comme d’autres marchands originaires d’Orient. La première trace archéologique (une lampe à huile d’Orgon en Provence) date de la fin du 1er siècle après JC. La présence de synagogues est attestée au VIe siècle à Marseille, Arles, Uzès, Narbonne, Clermont, Orléans, Pau, Bordeaux.

2) Les relations furent bonnes avec plusieurs rois mérovingiens, et avec les empereurs carolingiens (Charlemagne, Charles le Chauve).
Il y eut aux XIe-XIIe siècles une belle floraison intellectuelle du judaïsme français. Rachi de Troyes (1040-1106), grand exégète, est resté dans la mémoire juive, comme Simha ben Samuel, de Vitry-en-Perthois, et Rabennou Tam, autre Champenois, et comme Samuel Ibn Tibbon, de Lunel, grand traducteur d’arabe en hébreu. Des écoles juives existaient à Toulouse, Carcassonne, Châlon-sur-Saône, Sens, Metz.

3) Mais l’antijudaïsme chrétien est déjà présent. De manière ponctuelle avant l’an mille (quelques conversions forcées, certains textes dénonçant déjà le « peuple déicide »), plus nettement lorsque commence le temps des croisades. En 1171, 31 Juifs sont brûlés à Blois sous l’imputation de meurtres rituels et d’usure. 13 le sont à Troyes en 1288.
Le 4ème concile de Latran, en 1215, rendit le port de la rouelle (une roue cousue sur l’habit) obligatoire pour les Juifs dans tout l’Occident chrétien.
Les rois oscillent entre la tolérance, qui peut être bienveillante, et une politique hostile, sous forme de surtaxations (Philippe le Bel), et finalement d’expulsions (Philippe le Bel en 1306 ; 1323 ; Charles VI en 1394), parfois suivies de rappels. Les deux expulsions de 1306 et 1394 eurent une ampleur considérable, comparable à celle de l’exode des protestants après la révocation de l’Edit de Nantes. Celle de 1394 fut définitive, pour plus de trois siècles.
Du patrimoine architectural de ce judaïsme médiéval, synagogues, cimetières, maisons, il reste très peu de traces. Restent les toponymes : 400 villes et villages ont une « Rue des Juifs ». Et le souvenir de Rachi.

4) Dans la Franche-Comté médiévale, on observe une présence juive dans 80 villes et villages environ (surtout Vesoul et Salins), ceci jusqu’en 1394, année où le duc de Bourgogne, imitant le roi de France, expulsa les Juifs de ses terres.
Besançon, ville relevant du Saint Empire et non du duché-comté de Bourgogne, accueillit alors quelques dizaines de Juifs, qui disposèrent d’un cimetière, de commerces, d’une salle de prière. Ceci jusqu’en 1420, année où Besançon à son tour semble avoir expulsé ses Juifs. Le terrain du cimetière juif d’alors fut mis en vente en 1465.


III) XVe-XVIIIe siècles : LES JUIFS ABSENTS, SAUF…

1) Pendant au moins trois siècles, les Juifs ne furent pas acceptés dans le royaume de France, ni, avant et après leur rattachement à la France, en Franche-Comté et à Besançon.
On tolérait leur séjour temporaire (moyennant taxes) pour activités économiques, non leur installation durable. Quant aux Juifs convertis, ils étaient surveillés car soupçonnés de pratiquer en secret le judaïsme.

2) Trois importantes exceptions ont existé.
L’ALSACE-LORRAINE. Le judaïsme alsacien, toléré avant l’annexion française, le resta ensuite. Les communautés, nombreuses, étaient essentiellement villageoises. Les Juifs étaient artisans, commerçants, prêteurs, marchands de chevaux, à la fois utiles et mal vus. Ils portaient des noms germaniques, bien sûr, appartenant à la partie germanophone des Juifs d’Europe (les ashkenazes).
LES « JUIFS PORTUGAIS ». Lors de l’expulsion des Juifs d’Espagne, et du Portugal (les Séfarades) en 1492 et dans les décennies qui suivirent, une partie d’entre eux gagna le Sud-Ouest de la France, notamment Bayonne et Bordeaux. Ces « nouveaux chrétiens » (ils étaient officiellement convertis) y prospérèrent. Parmi eux : les Pereire, les ancêtres de Pierre Mendès France, peut-être ceux de Montaigne.
PROVENCE ET COMTAT. Dans le Comtat Venaissin (région d’Avignon), qui leur appartenait, les papes tolérèrent les Juifs. Ceux-ci avaient leur quartier (les « carrières »), leurs synagogues ; celles de Carpentras et Cavaillon sont les plus anciennes de France encore en activité. Quelques noms connus venus de ces familles de « Juifs du pape » : Crémieux, Bernard Lazare (défenseur de Dreyfus), Darius Milhaud (compositeur), Pierre Vidal-Naquet (historien).

En 1789, il y avait en France, sur 28 millions d’habitant, 40 000 Juifs, dont la moitié d’Alsaciens, 7 000 Lorrains, 5 000 dans le Sud-Ouest, 2 500 dans le Comtat. Très peu (500 environ) vivaient à Paris, où cependant, la tolérance progressant au XVIIIe siècle, les rois les laissaient peu à peu se réinstaller. Il n’y avait pas d’unité, les Juifs du Sud-Ouest, par exemple, considérant les Juifs d’Alsace comme frustes et incultes. A Besançon n’existait en 1789 aucune communauté juive installée.


IV) 1789-1880 « LE SIECLE TRANQUILLE DU JUDAISME FRANÇAIS »

1) La révolution française couronna une évolution entamée sous Louis XVI. Après avoir débattu en décembre 1789 de l’attribution de la citoyenneté aux Juifs, sans trancher, les députés se prononcèrent positivement en janvier 1790, pour les Juifs portugais et comtadins, et en septembre 1791 pour les Juifs alsaciens.
Napoléon confirma cette égalité, et créa en 1808 un Consistoire central israélite de France, ainsi que des consistoires régionaux. Il força aussi les Juifs à ajouter un nom de famille à leurs prénoms.

2) Les années 1815-1880 sont pour les Juifs de France le temps d’évolutions profondes et de grands progrès sociaux.
Evolution géographique d’abord : le judaïsme rural s’affaiblit, au profit des grandes villes, Nîmes, Montpellier, Marseille, dans le Midi, Strasbourg en Alsace, et surtout Paris. 3 000 Juifs vivaient à Paris en 1808, et 40 000 en 1900. Le judaïsme du Sud-Ouest perd de son importance. Au total, l’essor démographique est net : il y a 90 000 Juifs français en 1866.
Le progrès social est visible. Les élites juives jouent efficacement le jeu de l’instruction publique, accèdent en nombre à la fonction publique, à Polytechnique, à l’armée. Les réussites de banquiers juifs sont mises en relief : les Rotschild, Fould, Worms, Ratisbonne. Les opérettes de Jacques Offenbach triomphent sous le Second Empire.

3) En Franche-Comté les décisions de 1790-91 se traduisent par la reconstitution de communautés juives. A Besançon s’installent des Juifs de Haute-Alsace. Ils sont 76 en 1808. La communauté grossit au point que la construction d’une synagogue se révéla nécessaire : l’actuel bâtiment du quai de Strasbourg, construit par l’architecte Pierre Marnotte, fut inauguré en 1869. Une personnalité remarquable issue de cette communauté fut Adolphe Veil-Picard (1824-1877), né à Besançon d’un père marchand ambulant originaire de Hagenthal-le-Haut, entre Belfort et Bâle. Banquier, philanthrope généreux, il fut honoré par la ville, qui donna son nom à un quai du Doubs et lui éleva une statue au milieu de la promenade Granvelle.
Deux autres familles juives venues d’Alsace vers 1860 ont marqué la vie économique bisontine au XXe siècle : les Lipmann, créateurs avant 1914 de la société horlogère Lip, qui, sous Fred Lip (1905-1996), emploiera vers 1954 1 500 salariés, et les Weil, dont les usines de vêtements prospérèrent après 1900, et surtout après 1945, jusqu’à employer elles aussi 1 500 salariés, en 1965.
Une autre famille Lipmann connut la réussite, et transforma vers 1850-60, en style néo-gothique, une maison de campagne des alentours de Besançon toujours appelée depuis lors « le château de la Juive ».


V) LA TOURMENTE DE L’AFFAIRE DREYFUS (1894-1902)

1) L’antisémitisme (la chose est plus ancienne, mais le mot est de 1878) connut un regain vers 1880. Au vieil antisémitisme chrétien, dénonçant le peuple déicide, et à l’antisémitisme économique accusant les Juifs de s’enrichir sur le dos des non-Juifs par l’usure et la concurrence déloyale, s’ajouta dans ces décennies un antisémitisme à base raciale, soi-disant scientifique, opposant le peuple juif dégénéré à un peuple aryen (non-sémite) mythifié, physiquement et moralement supérieur.
Le krach en 1882 d’une banque catholique, l’Union générale, attisa cet antisémitisme, dont l’énorme succès en 1886 du livre « La France juive », d’Edouard Drumont (un ramassis de légendes et d’inventions anti-juives), prouva la virulence et l’importance. Plus tard, un texte aussi délirant, rédigé en 1901, diffusé en Russie en 1905, puis en France, Angleterre et Allemagne en 1920, et intitulé « Les Protocoles des Sages de Sion », connut un succès plus grand encore, et toujours durable, notamment dans les pays arabo-musulmans. Il détaille le soi-disant complot judéo-maçonnique pour la domination du monde ; les historiens ont établi qu’il s’agissait d’un faux fabriqué par la police tsariste.

2) L’Affaire Dreyfus fut, malgré ces signes avant-coureurs, une douloureuse surprise pour les Juifs français bien intégrés et profondément patriotes. Le capitaine Alfred Dreyfus, juif alsacien ayant choisi la France en 1871, fut accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne, et condamné à la déportation en Guyane, en 1894. Les violents affrontements entre pro et antidreyfusards en 1898 -99 donnèrent lieu à une explosion d’antisémitisme d’une grande violence verbale, parfois physique. La vérité (Dreyfus était innocent, le coupable était un officier nommé Esterhazy, non-juif) finit par l’emporter, Dreyfus fut gracié, puis réhabilité.
L’alerte avait été chaude. La défaite des antisémites contribua au maintien du prestige de la France chez les Juifs de la Russie tsariste, en butte à des pogroms répétés, et pour qui la France était, avec les Etats-Unis, une terre de liberté désirable. Mais la flambée antisémite confirma au contraire le journaliste autrichien Theodor Herzl, présent à Paris, dans ses convictions et son action sionistes.

3) En Franche-Comté, l’Affaire donna lieu aux mêmes affrontements que partout ailleurs en France. Notons que Gaston Coindre, rédacteur de l’excellent livre, toujours lu aujourd’hui, « Mon Vieux Besançon » (1900-1912), eut la déplorable idée de faire préfacer cet ouvrage par Edouard Drumont.


VI) UN NOUVEAU MOMENT TRANQUILLE (1902-1940)

1) L’immigration de Juifs d’Europe centrale et orientale était devenue sensible dès avant 1914, surtout à Paris. Bien distincte des synagogues des Israélites français, fut inaugurée en 1914 rue Pavée une synagogue russo-polonaise.
Malgré la perte en 1871 du judaïsme alsacien-messin, la France comptait en 1914 120 000 Juifs, dont 1/3 d’étrangers, sans compter les 70 000 Juifs d’Algérie devenus français grâce au décret Crémieux de 1871.
Lors de la guerre de 1914-18, les Français juifs ou étrangers furent 7 500 à mourir pour la France. 20 noms figurent au Monument aux morts du cimetière juif de la rue Anne Frank à Besançon.

2) L’immigration juive grossit entre les deux guerres. On évalue entre 175 000 et 200 000 le nombre des Juifs venus s’installer en France, surtout dans la région parisienne, autour de Saint-Paul, à Belleville, à la Roquette (le Marais, et les 11e, 18e et 20e arrondissements). Ce prolétariat juif venait surtout d’une large zone englobant les pays baltes, la Pologne, la Biélorussie, l’Ukraine, qu’on appela plus tard à juste titre le « Yiddishland », car les Juifs y parlaient une langue à base allemande, avec de nombreux mots hébreux et slaves, et écrite en caractères hébreux : le yiddish. Les Juifs yiddishophones parisiens travaillaient surtout dans le vêtement (tailleurs, casquettiers), la maroquinerie, la bijouterie, le petit commerce. Ils fuyaient la misère et l’antisémitisme qui régnaient en Europe centrale. Ils travaillaient dur. Les enfants de ces familles allaient dans les écoles publiques devenir rapidement de petits Français.
D’autres immigrants juifs vinrent, beaucoup moins nombreux, de l’empire ottoman, avant ou après sa disparition : de Salonique, de Bulgarie, de Smyrne, où ils étaient arrivés après leur expulsion d’Espagne en 1492, et d’où ils apportèrent leur langue judéo-espagnole, le ladino.

3) A Besançon, où les Juifs Polonais étaient 29 en 1921, 62 en 1926, 141 en 1931 et 195 en 1936, le rôle d’entraide d’Ignace Kreisler, un fourreur installé avant 1914 avec son beau-frère Léon Uebersfeld, fut notable (voir la conférence de Janine Ponty sur ce site). Les nouveaux arrivants poussèrent leurs enfants vers les études. Mais ils regrettaient l’attitude distante à leur égard de la communauté d’origine alsacienne déjà installée, et bien intégrée.

4) L’antisémitisme flamba à nouveau dans les années 30, dans le contexte de la crise de 1929. La presse d’extrême-droite (« L’Action Française », royaliste, « Gringoire », hebdomadaire à grand tirage) se déchaîna contre le flot arrivant des ghettos et shtetls (petits villages) de l’Est européen, et contre ce qu’elle appelait le noyautage de l’économie, de la culture et de la politique françaises par les Français israélites, André Citroën par exemple, ou, particulièrement attaqués en 1936-39, Georges Mandel et Léon Blum.

5) A la veille de la guerre, on s’accorde à estimer à 330 000 le nombre des Juifs vivant en France métropolitaine (et 110 000 en Algérie). 50% environ étaient étrangers, surtout polonais (70 000), allemands (40 000), séfarades de l’empire ottoman et de Bulgarie (20 000), russes (18 000). Les Juifs français étaient pour partie des étrangers naturalisés de fraîche date (loi de 1927), pour une plus grande partie des Français israélites, français de longue ou très longue date, très patriotes, souvent déjudaïsés, peu croyants et peu pratiquants. Il n’y avait donc pas une seule communauté juive, mais plusieurs. Il y avait une intégration à la nation française soit pleinement réalisée, soit, pour les autres, désirée et plus ou moins amorcée. C’est sur ces groupes très divers que va tomber la catastrophe.


VII) LA SHOAH (1940-1945)

Ce qui est arrivé aux Juifs de France a été pour eux une terrible épreuve, physique (près de 80 000 victimes ; la peur, les privations) et morale : chose impensable, la France elle-même agit contre ses citoyens et habitants juifs, pour les discriminer et les spolier, et, encore plus grave, prêta la main à l’entreprise génocidaire des nazis. Ce souvenir, cette honte, pèsent encore sur notre mémoire nationale, même si le bilan des pertes juives fut en France, en pourcentage, l’un des moins élevés d’Europe.

1) Le 3 octobre 1940, le gouvernement de Vichy promulgua, sans aucune pression allemande, un Statut des Juifs gravement discriminatoire, qui les excluait de la fonction publique. On ne lit pas, encore aujourd’hui, ce texte sans avoir le rouge au front. D’autres textes (loi du 2 juin 1941) établirent des numerus clausus par profession (médecins, avocats, architectes…).
Vichy accepta de mettre au point des fichiers juifs, et d’appliquer le tampon « Juif » sur les cartes d’identité.

2) Mais les nazis voulaient beaucoup plus. Ils spolièrent les entrepreneurs juifs (aryanisation, pratiquée aussi par Vichy). Ils pratiquèrent dès 1941 quelques rafles dans la zone occupée. Quand la décision fut prise vers la fin 1941 à Berlin de tuer tous les Juifs d’Europe, ils imposèrent en zone Nord le port de l’étoile jaune le 29 mai 1942. Puis ils passèrent aux rafles massives, avec regroupement temporaire à Drancy, dans la banlieue parisienne, d’où partirent entre le 27 mars 1942 et le 18 août 1944 la quasi-totalité des 74 convois, transportant 75 721 personnes, qu’on a recensés. 2 566 survivants revinrent. Les autres avaient été aussitôt assassinés par gaz, la plupart à Auschwitz.
La rafle du Vel d’Hiv, les 16-17 juillet 1942, pratiquée sur ordre des Allemands, mais, comme presque toutes les rafles, par des policiers français, reste une tache dans notre histoire. Elle aboutit à l’arrestation de 12 884 personnes, dont 5 802 femmes et 4 051 enfants, presque aussitôt déportées.
Alors que les Français avaient été jusque-là plutôt indifférents au malheur des Juifs, noyé dans les malheurs du temps, le port de l’étoile et cette rafle provoquèrent une très vive émotion. L’Eglise catholique protesta, et cette réaction gêna Pétain.

3) Les Juifs de Besançon furent eux aussi frappés. 40 furent arrêtés et déportés. Ignace Kreisler et les parents de Fred Lip, entre autres, moururent à Auschwitz. Denise Lorach, future fondatrice du Musée de la Résistance et de la Déportation de la Citadelle, fut arrêtée en février 1944, déportée en mai à Bergen-Belsen, d’où elle revint.
Des Francs-Comtois aidèrent les Juifs, en les faisant passer en Suisse, comme les sœurs Madeleine et Victoire Cordier, de Chapelle des Bois, ou en cachant des amis, comme le docteur Maurice Baigue, de Besançon. Tous trois figurent parmi les 38 « Justes parmi les nations » que compte la Franche-Comté (sur 3 987 « Justes » reconnus en France).

4) La sauvegarde des ¾ des Juifs de France fut l’œuvre des Juifs eux-mêmes, soit individuellement soit dans le cadre de leurs organisations officielles ou clandestines, et aussi l’œuvre de la solidarité des Français non-Juifs, soit individuellement, soit par le biais des églises protestantes et catholiques et des réseaux de l’instruction publique. D’autres facteurs ont joué : l’espace vaste et montagneux de la France ; l’attitude plutôt philosémite des Italiens dans leur zone d’occupation ; le basculement de l’opinion française après la grande rafle ; la réticence croissante des fonctionnaires français à favoriser la chasse aux Juifs. Même Vichy traîna un peu les pieds en 1943-44, mais son déshonneur était déjà consommé.

5) En Algérie, où le décret Crémieux d’octobre 1870 avait accordé la citoyenneté française aux « israélites indigènes », Vichy la leur retira le 7 octobre 1940, et leur interdit de se faire renaturaliser individuellement. Le choc moral fut énorme pour eux, même s’ils échappèrent au pire, à la déportation. Ils furent rétablis dans leurs droits le 22 octobre 1943 par le CFLN de de Gaulle installé à Alger.

6) Les Juifs et la France. 40 à 50% des Juifs étrangers disparurent (plus de 50 000, dont 26 300 Polonais), contre 10% des Juifs français. Malgré la trahison morale de Vichy, les survivants voulurent ne voir que l’autre France, celle de la Résistance, celle de de Gaulle, fidèle aux idéaux républicains. Très peu d’entre eux émigrèrent vers la Palestine. Et ceux, très nombreux, qui avaient résisté, voulurent l’avoir fait en tant que Français patriotes, antifascistes, communistes pour beaucoup, mais pas en tant que Juifs. Ce fut le cas notamment des membres des FTP/MOI (Francs-Tireurs et Partisans/Main d’œuvre immigrée), groupes d’action communistes où les Juifs étaient très nombreux. Mais il y eut dans le Tarn deux petits groupes de résistants juifs, dont l’un de l’Organisation juive de combat.


VIII) REVIVRE (1945-années 60)

1) Réparer. Les survivants regagnèrent leurs logements, leurs commerces et ateliers. L’indemnisation fut menée rapidement, accomplie à 90%, mais incomplètement, si bien qu’il fallut la parachever en 1997-2000 (mission Matteoli).
Une soixantaine de foyers pour orphelins créés par les organisations juives accueillirent les enfants des victimes de la Shoah, pour soigner le souvenir terrible de « la disparition « (titre d’un livre ultérieur de Georges Pérec).

2) Un silence ? Il y eut des témoignages. Mais il y eut aussi chez les survivants des camps l’impression qu’on ne pouvait ni ne voulait les entendre. Il est certain que la spécificité du malheur juif ne fut pas mise en relief, et que les camps symbolisant la répression nazie étaient alors, en France, Buchenwald ou Mauthausen plutôt qu’Auschwitz.
Les Juifs eux-mêmes acceptaient majoritairement ce relatif effacement mémoriel. Ils se voulaient français d’abord. Il y eut entre 1947 et 1957 2 150 changements de nom.

3) Un nouveau cadre communautaire
Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) était né début 1944. Il regroupe depuis lors la quasi-totalité des organisations juives, culturelles, cultuelles, charitables comme le FSJU (Fonds social juif unifié). Il a adopté en 1977 une Charte qui est un texte de référence important.
Le CDJC (Centre de documentation juive contemporaine), créé en 1943 dans la tourmente, joue un rôle capital dans la collecte des archives et l’élaboration de l’histoire de la Shoah.
Enfin, le Consistoire central israélite de France et le grand rabbinat continuent d’être les autorités religieuses du judaïsme français. Un courant juif libéral existe hors du Consistoire.

4) Deux changements profonds se produisaient dans ces années.
• Le premier est noté en 1951 dans une conférence par le sociologue Raymond Aron : « La notion d’assimilation totale, qui me paraissait une évidence il y a un certain nombre d’années, ne me paraît plus au même degré une évidence, à cause d’événements irréparables ».
• Le second est la naissance en 1948 de l’Etat d’Israël, saluée alors aussi bien par l’URSS que par les Etats-Unis, et aussi bien par les communistes que par socialistes et gaullistes. Même les Juifs français qui n’étaient pas sionistes à l’origine ressentirent depuis lors, dans leur majorité (il reste des Juifs pour considérer que cette naissance n’est pas une bonne chose), un sentiment de solidarité avec cet Etat, alors même que, se sentant pleinement français, ils ne choisissaient pas d’aller y vivre. Le CRIF rappelle régulièrement cette solidarité.


IX) 1962-2000 TROIS CHOCS ET UNE SERENITE

1) Premier choc, l’arrivée des Juifs méditerranéens. La décolonisation entraîna une migration de masse des Juifs égyptiens, tunisiens, et surtout algériens, vers l’hexagone, alors que la majorité des Juifs du Maroc choisissait Israël. A l’été 62 arrivèrent ainsi en France 100 à 120 000 Juifs pieds-noirs d’Algérie. Ces Juifs dits séfarades (familièrement : « les sefs»), alors qu’ils étaient plus souvent judéo-arabes que judéo-espagnols, furent bien accueillis par le judaïsme français installé, de tradition ashkénaze.
Après des débuts matériels difficiles, ils réussirent massivement leur intégration à la société française. Enrico Macias , juif de Constantine, chanta la nostalgie des pieds-noirs, juifs ou pas ; il incarne aussi leurs succès. Partout, les séfarades renforcèrent, parfois redynamisèrent, les communautés juives. Celle de Paris passa de 50 000 personnes à 80 000 ; celle de Marseille de 4 000 à 20 000 ; celle de Besançon de 120 à 175.
Dans les institutions juives de France, les séfarades prirent peu à peu leur place. Ainsi René Sirat fut en 1980 le premier grand rabbin né en Afrique du Nord, avant Joseph Sitruk en 1987 et Haïm Korsia en 2014.

2) Second choc, la Guerre des Six jours en juin 1967. Israël, menacé militairement par ses voisins arabes sur toutes ses frontières, les attaqua préventivement, et triompha, occupant le Sinaï et, jusqu’à aujourd’hui, le Golan et la Cisjordanie. Pendant les premiers jours incertains de cette guerre, un puissant mouvement de solidarité se manifesta chez les Juifs de France, y compris les moins sionistes. Beaucoup, surtout à gauche, découvrirent leur propre attachement à l’existence d’Israël, menacée par la rhétorique arabe et l’armée de Nasser. Et ils supportèrent très mal que de Gaulle, dans une conférence de presse tenue le 27 novembre 1967, présente le peuple juif, en une formule devenue aussitôt célèbre, comme « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Même Raymond Aron, commentateur serein et modéré, se dit blessé.

3) Troisième choc : le triomphe de la centralité de la Shoah, ce qu’on peut appeler le moment Lanzmann-Klarsfeld.
En 1978, l’avocat et historien Serge Klarsfeld publie son Mémorial de la Déportation des Juifs de France, recensement complet, convoi par convoi, des noms des Juifs déportés et assassinés.
En 1985 sort sur les écrans Shoah, œuvre monumentale (plus de 9 heures), bouleversante, habitée, de l’écrivain et journaliste Claude Lanzmann, constituée d’entretiens avec survivants et acteurs du massacre des Juifs, filmés en Pologne, Allemagne, Suisse, France, Etats-Unis, Israël, Grèce…Une œuvre immense.
Le choc en France est profond. Tous prennent maintenant mieux la pleine mesure de ce que fut la Shoah (mot hébreu qui signifie « anéantissement », et que le succès du film de Lanzmann impose assez vite). Films, travaux historiques, livres, articles, témoignages, romans deviennent plus nombreux sur ce thème. Auschwitz remplace Buchenwald comme symbole de la répression nazie. Les historiens français, juifs et non-juifs, accomplissent un travail considérable, plus discret, très efficace, sur ce que fut la politique juive de Vichy (ceci après le livre pionnier de Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944, publié en 1973) et sur la vie des Juifs de France en 1940-1944.

4) De ces trois chocs est sorti un judaïsme français transformé, plus dynamique et plus serein.
a) Un réveil identitaire toucha les Juifs français comme tous les groupes des sociétés occidentales dans ces décennies. La génération des enfants des rescapés de la Shoah avait adhéré passionnément au gauchisme, trotskiste ou maoïste, dans les années 60 (Alain Krivine, Benny Lévy, Robert Linhart, Pierre Goldmann, et, alors anarchiste, Daniel Cohn-Bendit). Une partie notable de ces militants réassuma ses racines juives dans les années 70-80, certains (Benny Lévy) allant jusqu’à revenir « de Mao à Moïse ».
Le Centre Pompidou accueillit en novembre 1978 avec un grand succès des Journées de la culture yiddish, puis en 1980 des Journées des cultures juives, méditerranéennes et orientales.
Ce réveil prenait la forme de la nostalgie et du retour sur les années noires (le romancier Patrick Modiano), de la réflexion historique et philosophique (Annie Kriegel, Alain Finkielkraut). Il pouvait aussi prendre la forme d’une rejudaïsation religieuse, favorisée par une pratique plus forte du judaïsme chez les Séfarades, et d’un essor important de l’enseignement privé juif (30 000 sur les 100 000 enfants juifs scolarisables).

b) Vichy assumé, la Shoah pleinement reconnue.
Deux phénomènes ont pu alors satisfaire les Juifs de France.D’une part le vieil antisémitisme français, vivace avant 1939, et qu’on peut classer à l’extrême-droite, recula continûment, sans disparaître : on en veut pour preuve le discrédit total du négationnisme dans le milieu des historiens, alors qu’il avait pu inquiéter un temps (Robert Faurisson et quelques autres ont bruyamment nié l’existence de la Shoah vers 1978-98). Les hommes politiques français d’origine juive, comme Laurent Fabius, Michel Debré, Nicolas Sarkozy, n’ont pas subi les attaques endurées par un Léon Blum avant la guerre.
D’autre part, la France, par son gouvernement, par sa justice, par ses historiens, a regardé en face les crimes commis par Vichy et les fonctionnaires qui en masse lui obéirent. Jacques Chirac, président de la République, a prononcé, commémorant la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, les mots qu’il fallait, plus clairs que les mots des présidents précédents: « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ».
Deux ans plus tard, en 1997-98, un procès enfin intenté à Maurice Papon, haut-fonctionnaire de Vichy devenu plus tard ministre sous la Ve République se termina par sa condamnation pour sa participation à la déportation des Juifs de Bordeaux.
Ce discours, ce procès, l’installation au Mémorial de la Shoah de Paris, en 2005, du Mur des noms (les 78 000 déportés assassinés), suivie de celle du Mur des Justes, au même endroit en 2006 : tout prouve que la France et ses Juifs ont su parvenir ensemble au même récit, douloureux mais enfin apaisé, concernant les années noires. Il n’y a plus de non-dit, plus de placard fermé. Ce fut pour les Français juifs, 50 ans après le drame, une profonde satisfaction et une source possible de sérénité.

c) Le succès social et économique des Français juifs est à nouveau remarquable. Deux enquêtes de 1980 et 1990 montrent une présence dans tous les métiers, à tous les niveaux, avec importance d’une bourgeoisie plutôt intellectuelle que financière, et quasi-absence dans le prolétariat industriel. La présence de nombreux Français juifs parmi les gens en vue, dans le monde des affaires, de la médecine, de la culture, du journalisme, entre autres, est à la fois source de fierté, et source toujours possible, chez certains non-juifs, de jalousie et de généralisations fausses (juif=riche, vieux leit-motiv).

d) La communauté juive bisontine est en recul numérique (entre 1 200 et 2 000 personnes avant la 2e Guerre, environ 500 aujourd’hui), mais se montre active et ouverte, sous l’impulsion de ses responsables, comme Marc Dahan, universitaire, né en Algérie, président de l’AJMF (Amitié judéo-musulmane de France) et de Radio-Shalom Dijon-Besançon. Les offices de la synagogue se déroulent maintenant selon le rite séfarade. Un « Cercle féminin Denise Lorach » rassemble des femmes de la communauté autour d’activités caritatives.


X) LE RETOUR DU DANGER (depuis 2 000)

1) Deux phénomènes affectent la situation des Juifs de France depuis une quinzaine d’années, compromettant la sérénité à laquelle ils parvenaient, au point qu’on peut parler avec l’historien Michel Winock d’un « grand malaise » chez eux.
a. La paix entre Israël et les Palestiniens avait été approchée en 1993-1995 lors du processus de paix d’Oslo, sur la base d’un « deal » simple : la paix contre les territoires occupés depuis 1967 par Israël après sa victoire dans la guerre des Six jours (la Cisjordanie, appelée à devenir un Etat palestinien). Il y eut à nouveau espoir de paix sous le gouvernement israélien d’Ehud Barak (1999-2001). Mais l’assassinat d’Itzhak Rabin (père des accords d’Oslo) le 12 décembre 1995, le développement d’un terrorisme palestinien et les victoires électorales de la droite israélienne ont mis fin à cet espoir. Benjamin Netanyahou, premier ministre en 1996-1999 et depuis 2009, a accentué la politique d’implantation de colonies juives sur le territoire de la Cisjordanie (elles comptent 500 000 habitants), préparant ainsi une annexion qui fait le désespoir des Palestiniens, et favorise chez eux le terrorisme aveugle. Les intégrismes religieux, tant juif que musulman, se nourrissant l’un l’autre, attisent le conflit entre les deux nationalismes, judéo-israélien et palestinien.
Une partie des Juifs de France soutient inconditionnellement la politique de Netanyahou. Une autre partie la dénonce vivement. La majorité, troublée par cette impasse, maintient son soutien à l’existence d’Israël, indépendamment du problème des frontières.
b. L’immigration maghrébine et sub-saharienne vers la France est devenue importante depuis une quarantaine d’années. On évalue à 5 ou 6 millions le nombre des personnes de culture musulmane, françaises ou non, vivant en France. Le sentiment de solidarité avec la cause palestinienne est fort parmi elles. De ce sentiment explicable, qu’on appelle antisionisme, beaucoup d’entre elles glissent à un antisémitisme qui reprend tous les thèmes de l’antisémitisme classique (les Juifs sont riches, tout-puissants, ils dirigent le monde…), en ajoutant l’imputation que tous les Juifs du monde sont coresponsables de la politique de Netanyahou.

2) Assassinats et agressions antisémites sont apparus, et inquiètent et indignent l’opinion française. Des attentats avaient eu lieu en 1980 (synagogue de la rue Copernic) et 1982 (rue des Rosiers) ; ils étaient l’œuvre de groupes palestiniens venus en France.
Les crimes récents et actuels, eux, sont l’œuvre de jeunes vivant en France, Français ou étrangers, qui ont basculé, seuls ou en groupe, dans l’islamisme djihadiste, et ciblent souvent les Juifs de France. Après le martyre infligé à Ilan Halimi par Youssouf Fofana en janvier-février 2006 (crime antisémite sans base politico-religieuse), il y eut les meurtres perpétrés par Mohammed Merah en mars 2012 (3 militaires, puis 4 Juifs de l’école Otzar Hatorah de Toulouse, dont une fillette de 8 ans), puis l’assassinat par Amedy Coulibaly, le 9 janvier 2015, de 4 clients de l’Hyper casher de Vincennes. Le 11 janvier 2016, un professeur d’école juive portant kippa était agressé à l’arme blanche par un jeune Turc, à Marseille, « au nom d’Allah et de Daech ».
Les autorités religieuses de l’islam de France condamnent très fermement tous ces crimes, mais ne peuvent enrayer les progrès du djihadisme dans une partie de la jeunesse.

3) Aliyah ? Profond attachement de ses Juifs à la France, et solidarité chaleureuse de la masse des Français et des pouvoirs publics, d’une part ; mais d’autre part indignation et inquiétude devant la montée d’une nouvelle haine antisémite qui mêle les vieux thèmes et un antisionisme dévoyé, qui tue, qui fait peur. Les Juifs de France sont partagés entre ces sentiments et constatations.
L’Etat d’Israël et le judaïsme américain noircissent le tableau d’une France ravagée par l’antisémitisme. Israël, qui a toujours regretté la faiblesse de ce flux, appelle les Juifs de France à faire leur aliyah, c’est-à-dire à émigrer vers l’Etat juif. Est-ce avec succès ?
Le nombre des émigrants français juifs vers Israël était dans les années 2 000 d’environ 2 à 3 000 par an, avec une tendance à la baisse. Il a bondi en 2014 à plus de 7 000. Le phénomène est donc réel. Il faut le relativiser : il y a des retours. Et la communauté juive française reste la 3e du monde, avec environ 475 000 personnes, derrière Israël (plus de 6 millions) et les Etats-Unis (5,7 millions), et devant le Canada (380 000), la Grande-Bretagne (300 000), la Russie (230 000).
La montée de l’inquiétude explique que le vote des Juifs (longtemps orienté à gauche du temps que l’antisémitisme fleurissait à droite) ait sensiblement évolué vers la droite, jugée plus apte à affronter l’insécurité, depuis une quinzaine d’années. On ne peut cependant aller jusqu’à parler d’un vote juif homogène puisque, au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012, selon l’IFOP, les quatre candidats de gauche totalisaient 36,5% du vote des Juifs (ensemble des Français : 43,5%).


CONCLUSION

Expulsions du moyen-âge, affaire Dreyfus, la Shoah. Malgré ces drames, les Juifs ont trouvé leur place dans la société française, ont pu y connaître liberté, égalité et, pour une assez bonne partie d’entre eux, des succès couronnant énergie et talents. Le vieil antisémitisme a reculé fortement. Le surgissement d’un nouvel antisémitisme meurtrier ne devrait pas prévaloir contre ces acquis.
Rappelons en conclusion, contre le fantasme d’un bloc juif français homogène, qui nourrit l’antisémitisme, une idée qu’exprimait en 1998 l’historienne Annette Wieviorka : « la communauté juive organisée n’a probablement jamais été aussi atomisée qu’aujourd’hui. Ni Israël, ni la mémoire du génocide, ni la religion ne sont des ciments suffisants pour créer une identité dans laquelle tous se reconnaîtraient ». Ce jugement a presque 20 ans. Certains l’estimeront toujours valide. D’autres, constatant la montée des crimes antisémites et se souvenant de la fameuse phrase de Sartre selon laquelle « c’est l’antisémite qui fait le Juif », l’estimeront caduc.

Pierre Kerleroux, février 2016


BIBLIOGRAPHIE SUR LES JUIFS DE FRANCE

1) Ouvrages généraux
 Elie BarnaviHistoire Universelle des Juifs, Hachette, 1992, 299 pages
• Bernhard BlumenkranzHistoire des Juifs en France, Privat, 1972, 478 pages. Reste une référence.
• Esther BenbassaHistoire des Juifs de France, Le Seuil, 1997, 373 pages
• Philippe BourdrelHistoire des Juifs de France, Albin Michel, deux tomes (I Des origines à la Shoah, 2003, 454 pages, II De la Shoah à nos jours, 2004, 454 pages).
 Patrick Girard, Pour le meilleur et pour le pire, Vingt siècles d’histoire juive en France, éditions Bibliophane, 1985, 528 pages. Beaucoup de citations intéressantes intégrées dans le texte
• Revue L’HistoireJuifs de France, série Collections, n°10, janvier-mars 2001. 19 articles, de la Gaule à l’an 2000, par les meilleurs spécialistes.

2) XIXe-XXe siècles
• Jean-Jacques Becker et Annette Wieviorka (dir.), Les Juifs de France de la Révolution à nos jours, éditions Liana Levi, 1998, 445 pages. Une série d’excellentes mises au point, par sept auteurs.
• Michel WinockLa France et les Juifs. De 1789 à nos jours, Le Seuil, collection l’Univers historique, 2004, 409 pages. Série d’excellentes mises au point, par un seul auteur.
• Pierre BirnbaumLes Fous de la République, histoire politique des Juifs d’Etat de Gambetta à Vichy, Fayard, 1992, 512 pages.
• Edgar MorinVidal et les siens, Seuil, 1989, 374 pages. Un bel hommage du sociologue à son père, Juif de Salonique, qui est aussi une histoire des Séfarades.

3) L’antisémitisme et la Shoah
 Carol IancuLes mythes fondateurs de l’antisémitisme de l’Antiquité à nos jours, Privat, 2004, 190 pages.
 André KaspiLes Juifs pendant l’occupation, Le Seuil, 1991, 420 pages.
• Claude Lévy et Paul TillardLa Grande Rafle du Vel d’Hiv, Robert Laffont, 1967, rééd. 1992.
• Serge KlarsfeldVichy-Auschwitz, Fayard, deux tomes, 1983 et 1985.
• Jean-Marie BorzeixJeudi Saint, Stock, 2001. Un village du Limousin en 1944, des Juifs, les Allemands, les villageois. Un beau livre.

4) Aujourd’hui
• Michèle ManceauxHistoire d’un adjectif, Stock, 2003, 297 pages. Le témoignage d’une journaliste, suivi de la réponse de dix personnalités à la question « Qu’est-ce pour vous qu’être juif ? ». Passionnant.
 Annie Kriegel, Réflexion sur les questions juives, Hachette collection Pluriel, 1984, 633 pages. Un recueil d’articles d’une grande historienne : réflexion historique et analyse géopolitique.
• Michel WieviorkaLa Tentation antisémite. Haine des Juifs dans la France d’aujourd’hui, Robert Laffont, 2005, 452 pages. Les résultats d’une enquête de terrain menée en France pendant deux ans par 13 sociologues.

5) Sur Internet
• Des bons articles généraux de Wikipedia : Histoire des Juifs en FranceListe des toponymes juifs en FranceLe « portail judaïsme » donne la liste des très nombreux articles sur le judaïsme, en signalant les meilleurs.
• En particulier, de bons articles sur le judaïsme bisontin : Histoire des Juifs à Besançonle cimetière juif de Besançonla Synagogue de Besançon (dus à Toufik de Planoise).
• Le site du MHI (Musée d’histoire de l’immigration) : des notes de Nancy Green sur les Juifs d’Europe centrale et orientale, sur la confection parisienne.
• Sur notre site, plusieurs contributions existent déjà.

6) Sur le judaïsme
 Charles SzlakmannLe Judaïsme pour débutants, 2 volumes, La Découverte-Poche, 2006, 380 pages.
 Id., Le patrimoine juif en France, Editions Ouest-France, 2013, 144 pages.
Deux ouvrages d’un bon spécialiste, sur la religion, et sur le patrimoine religieux (nombreuses photos).

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