Un peuple d’Afrique sahélienne, installé dans la haute vallée du Sénégal, et qui compte 1 à 2 millions de membres. Ils sont partagés entre le Mali (région de Kayes), le Sénégal (région de Bakel) et la Mauritanie.
Qui sont-ils ?
Les Soninkés sont entourés par les Bambaras (dont ils parlent souvent la langue et auxquels ils sont souvent mêlés), les Toucouleurs, les Peuls (Foulbés) et les Diollas.
70 % des immigrants venus d’Afrique noire en France sont des Soninkés, surtout Maliens. Environ 60 % d’entre eux vivent en Île-de-France. On dit que la première ville soninké du monde n’est pas Kayes, mais Montreuil. Des noms devenus familiers en France sont généralement portés par des Soninkés ou des Bambaras : Diallo, Doukouré, Coulibaly, Camara, Fofana , Diagana, Konaté, Diabaté, Cissé…
Les Soninkés ont une très vieille tradition d’émigration, dans toute l’Afrique occidentale (Sénégal, Guinée, Haute-Volta, Côte d’Ivoire). Commerçants, grands voyageurs. Le colonisateur français les considérait comme les « Libanais de l’Afrique ». Ils ont aussi migré vers Marseille, Le Havre, Paris.
Les Soninkés ont plusieurs raisons de partir. Tout d’abord, l’émigration est chez eux une tradition. C’est aussi une nécessité, car la région (le Sahel) est très pauvre, et la sécheresse s’aggrave. C’est également une question de fierté : les hommes qui sont partis à l’étranger ont de meilleures chances de trouver une épouse. Enfin, bien sûr, au village, on voit l’argent qui arrive chaque mois ou chaque trimestre, la belle maison qui est construite par la famille de l’émigré, et cette relative aisance financière est une incitation à l’émigration.
Pourquoi les Soninkés partent-ils vers la France ? « On a été colonisés par la France, c’est en France que l’on doit aller. » De plus, la maîtrise de la langue française facilite un peu les choses.
Partir est une chance, pas un traumatisme.
Karim, 18ans : « Ici, je n’ai aucun espoir. L’émigration, c’est le bonheur pour toute la famille ».
Badara, 35 ans : « Là-bas, en deux ans, tu réussis ta vie : tu construis une maison, tu aides ta famille, tu emmènes tes parents à La Mecque et tu te maries »
Ousmane : « Pour beaucoup, l’alternative reste la même, c’est l’Europe ou la mort ».
Le flux d’émigration s’est gonflé vers 1990. Les chemins des filières vers l’Europe sont multiples : par la route via l’Algérie, la Libye, le Maroc, par bateau vers les Canaries, par avion vers Paris. Il faut payer 3000 € aux passeurs, quand il y en a. Faux papiers, faux visas sont la règle ; ou alors on détruit ses papiers (ainsi, le sans-papier ne dit pas de quel pays il est issu s’il se fait arrêter ; aucune ambassade étrangère n’accepte donc de le reprendre, et le retour forcé est impossible; le risque est cependant l’emprisonnement).
Il y a beaucoup d’échecs: au pire la mort en mer; généralement l’arrestation, le refoulement (du Maroc, de Libye, d’Espagne, de France); souvent aussi le retour spontané après des années de dur travail. Mais souvent, le refoulé repart, une fois, deux fois.
Les fonds envoyés vers le Mali sont considérables. Ils représentant l’équivalent de trois fois le budget annuel du Mali.
Dans les foyers de banlieue, on doit cotiser à de multiples caisses. Avec cet argent se construisent là-bas écoles, mosquées, dispensaires, puits…
Dans la région de Kayes, l’argent envoyé est supérieur au total de tous les crédits de coopération reçus du monde entier.
Les villages vidés de nombre de leurs hommes de 20-50 ans vivent au rythme de l’arrivée des fonds. Les jeunes restés là-bas sont habitués à cette situation d’assistanat et rêvent de partir à leur tour.
Le gouvernement malien est, comme celui des États voisins, partagé entre l’envie de retenir ces forces vives qui manquent au développement agricole et industriel du pays, et la peur de tarir cette manne énorme. De toute façon, il n’a pas les moyens de s’opposer au violent désir de départ des jeunes.
En France, les hommes maliens ont longtemps vécu en foyer. Il existe cinq grands foyers à Montreuil vers 1995-2000, où les structures du village étaient exactement reproduites.
Les Soninkés travaillent dans le nettoyage, le bâtiment, la restauration, la surveillance. De plus en plus, le regroupement familial a fonctionné : femmes et enfants sont venus, les pères de famille ont alors quitté les foyers.
La polygamie n’est pas négligeable : quelques milliers de familles. À Montreuil, sur 6 000 Maliens, 1 000 vivent dans une famille polygame. L’excision est encore assez souvent pratiquée au pays, au moment des vacances lorsque la famille retourne au Mali, mais elle ne l’est plus guère en France (répression judiciaire efficace).
Contribution de Pierre Kerleroux, automne 2008