Quelques jalons sur l’histoire de la Franche-Comté et de sa population

Le nom de FRANCHE-COMTE désigne une des vingt-deux régions françaises créées le 2 juin 1960, dans le cadre d’un découpage qui vient d’être modifié. Ce nom renvoie à celui d’une « province » entrée dans le royaume de France au XVIIe siècle, dont la dénomination officielle était « la comté de Bourgogne ».


L’identité territoriale de cette région a évolué depuis les temps les plus reculés, elle n’est que relative sur les marges, et chaque période, chaque institution ont apporté leur lot de distorsions à un ensemble qui n’a pas d’unité géographique. Si elle s’appuie sur la chaîne du Jura, elle ne la couvre pas totalement, de loin, et elle déborde largement sur d’autres ensembles.

La Franche-Comté est une entité politique, dont la pertinence a évolué au cours des âges, dans le détail de ses confins et par l’apport de territoires voisins. Pas plus que la France elle n’est un bloc immuable.


De l’antiquité à l’époque féodale

La Séquanie du temps des Celtes est un espace relativement indistinct situé entre les territoires tenus par les Helvètes à l’est et ceux de la Gaule à l’ouest. Jules César, en faisant la conquête des Gaules en 52 de notre ère, passe par Besançon et a laissé une description saisissante de cette capitale des peuples séquanes. L’occupation romaine en fait une province de l’empire, la « Grande province séquane », qui disparaît dans l’effondrement de la romanité sous les coups des « Barbares », et notamment des Burgondes.

Un peuplement divers et progressif

La forme des noms des villages évoque les époques du peuplement, ou tout au moins celles où les hommes ont trouvé bon de nommer les lieux où ils s’installent : la plupart des noms sont formés par un préfixe sur le nom d’un « possesseur », et se lisent « le domaine de untel ». Le type le plus récent, pour des hameaux ou des fermes isolés, est « chez machin ».

Les plaines de la Saône et du Jura comportent le plus de formes pour lesquelles nom et suffixe sont d’origine latine (pour simplifier, terminaisons en ay ou at) ; les Burgondes (terminaisons en ans ou ange) semblent occuper surtout la partie centrale, tandis que le nord et le nord-est connaissent davantage de noms d’origine mérovingienne (terminaisons en court). Au moyen-âge, beaucoup de noms comportent des noms de saints, souvent en complément d’un nom plus ancien.

De nombreux noms de village sont liés aux particularités du terrain et de la végétation, selon les langues anciennement utilisées ; la Franche-Comté est partagée entre les langages franco-provençaux au sud, les parlers d’oil dans une large partie nord et à l’est, les parlers de type lorrain dans les retombées vosgiennes.
Ainsi, le peuplement n’est pas homogène, et les parties montagneuses ont encore connu l’installation de colons par les seigneurs pendant le moyen-âge.

Dans une entité politique mouvante

Dans la Gaule –qui continue son histoire après les Romains- plusieurs royaumes se partagent les territoires, sous l’autorité de monarques, puis d’empereurs qui, à partir de Charlemagne, veulent rétablir l’unité de l’empire romain. L’ancienne Séquanie est ballotée dans les partages entre les Mérovingiens, après s’être trouvée un temps dans le royaume burgonde (fort étendu : il s’étendit jusque vers Arles), et avant de se trouver, lors de la formation des grands états au IXe siècle, dans l’empire germanique.

Besançon capitale religieuse

Les « pays » (en latin pagi, pluriel de pagus) président à l’organisation territoriale de la chrétienté dans la région. Ces divisions administratives, héritées de l’antiquité, subsistent à travers les divisions de l’archidiocèse de Besançon. Leurs noms se retrouvent dans des dénominations locales actuelles : Varais, Montagne, Amour ou Amaous, Ajoie…
Fixé à Besançon, l’archevêque garde à la ville le rôle d’une capitale régionale que le système féodal tend à estomper par ailleurs, mais sans qu’il y ait identité avec le territoire comtois.

Le diocèse de Besançon est beaucoup plus vaste que la Franche-Comté, qu’il dépasse largement à l’est ; il ne laisse à d’autres que peu de choses : le diocèse de Saint-Claude, formé au XVIIIe siècle par la sécularisation de l’abbaye, ne couvre que l’extrême sud-est de la région, avant de s’étendre après la Révolution à l’ensemble du département du Jura.

A ces deux entités est venu s’ajouter en 1979 le diocèse de Belfort-Montbéliard, qui regroupe le territoire de l’ancienne principauté, dont la population était à grande majorité luthérienne avant l’industrialisation au début du XXe siècle, et le Territoire de Belfort, séparé de l’Alsace en 1871.

Les comtes de Bourgogne

La féodalité ignore les divisions territoriales précises et ne connaît que la hiérarchie entre les personnes. La transmission des biens se fait selon les règles ordinaires de l’héritage. Exception, le royaume de France : l’unité du pouvoir y est maintenue par l’instauration de la loi salique qui, interdisant aux femmes d’hériter du trône, évite un partage du royaume sous couvert de constitution de dot et le maintient dans les lignées d’une même famille.

Ainsi, la comté de Bourgogne, qui naît au IXe siècle avec les descendants de Maïeul de Narbonne, se transmit en dot par les femmes. Elle échut aux XIVe-XVe siècles aux Grands Ducs de Bourgogne.

Après la mort de Charles le Téméraire (1477), si le duché de Bourgogne devient français (traité de Senlis, 1482), la comté revient à l’empereur Maximilien d’Autriche, héritier du fait de sa femme Marie de Bourgogne, fille unique de Charles le Téméraire. Elle passe ensuite à son fils Philippe le Beau (1482), puis à son petit-fils Charles-Quint (1506), roi d’Espagne par sa mère, qui, devenu à son tour empereur (1519), unit pour un temps sous la férule des Habsbourg des domaines espagnols et des possessions autrichiennes.

A son abdication (1558), cependant, un partage se fait entre son fils Philippe II (Espagne, Pays-Bas, Comté) et son frère Ferdinand 1er (Autriche, Bohême, Hongrie, et dignité impériale). La Comté passe donc, pour plus d’un siècle, sous l’autorité de la couronne d’Espagne, jusqu’à ce que Louis XIV, la dot de sa femme Marie-Thérèse d’Autriche, fille de feu Philippe III d’Espagne, n’ayant jamais été payée, fasse valoir son « droit de dévolution ». Il conquit la Comté en deux temps : 1668 (mais il la rendit la même année), puis, à l’issue d’une rude conquête, en 1674. Elle devint officiellement française en 1678 (Traité de Nimègue).

Cette succession des comtes de Bourgogne d’une dynastie à l’autre n’avait pas modifié le statut de la province, même si les souverains successifs avaient cherché à améliorer l’administration locale en créant des institutions proches de ce qu’ils connaissaient ailleurs. Les Habsbourg d’Autriche, puis d’Espagne, déléguaient en effet le gouvernement de leurs possessions septentrionales à un « régent », installé dans l’actuelle Belgique, ce qui faisait de la Franche-Comté une province plus flamande qu’espagnole. Par ailleurs les Comtois ont été parfois nombreux à la cour des Habsbourg (Flandres, puis Espagne) ; les plus emblématiques ont été les Granvelle, le père Nicolas chancelier d’Autriche et le fils Antoine cardinal, vice-roi de Naples, qui ont conservé des liens très étroits avec leur pays d’origine : la Franche-Comté ou Besançon.

D’un point de vue géopolitique, la Franche-Comté joua un rôle de passage, de relais entre les Etats Habsbourg du sud (Espagne, Milanais et Naples en Italie) et ceux du nord (les actuelles Belgique et Hollande). Elle est sur le trajet Italie-Flandres appelé « el camino espanol ».


L’annexion au royaume de France

Un aboutissement

Bien des tentatives pour annexer la Comté avaient été faites par la France avant 1674-1678. Par Louis XI, après la mort de Charles le Téméraire en 1477, mais le mariage avec Anne de Bretagne a paru préférable. Par Henri IV, qui conquiert le pays en 1595 et met notamment Arbois à sac, ce qui lui vaut d’emporter une abondante cave de vins jurassiens, prise de guerre dont il a fait profiter ses amis… Par Louis XIII et Richelieu qui, profitant des troubles de la guerre de Trente ans en Allemagne, lancent sur le pays des mercenaires dirigés par Gustave-Adolphe de Suède. La Franche-Comté reste à son souverain, mais est ruinée, presque autant que certaines régions d’Allemagne. Elle perd la moitié de sa population et fait appel à l’immigration pour se repeupler ; les colons savoyards sont les plus souvent cités, mais il en vient de toute l’Europe.

De l’empire à la France

Terre d’Empire, la Franche-Comté était une possession parmi d’autres de personnages aux titres multiples, et non la composante d’un Etat. Charles-Quint était « roi des Espagnes (Aragon, Castille…), duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant et de Lembourg, comte de Flandres, d’Artois, de Bourgogne, de Haynaut, de Hollande, de Zélande et de Namur, marquis du Saint Empire, seigneur de Frize, de Salins et de Malines… » (extrait de sa titulature de 1534). Les armoiries du souverain comportent des références aux blasons de toutes ces possessions, plaçant au centre, selon les circonstances, celles du pays concerné.

Le roi de France, en revanche, ne s’affiche que roi de France et de Navarre, et ses armoiries accolent seulement celles des deux royaumes. La Franche-Comté, entrée dans le giron français, perd son titre et ses armoiries ; Louis XIV lui en assigne de nouvelles, à la place de celles que se transmettaient les comtes depuis le moyen âge.
A travers ses souverains successifs, la comté de Bourgogne avait conservé une administration autonome, copiée au XIVe siècle sur le modèle du duché. Après la conquête, les institutions françaises sont installées. Le Parlement fixé à Besançon n’est pas, dans ses prérogatives, l’héritier de celui de Dole, qui avait été souverain sur la région, et n’a plus qu’une fonction judiciaire.

L’administration française est représentée par l’intendant et ses subdélégués, dont les ressorts ne répondent que partiellement aux anciens 14 bailliages « secondaires ». Les trois grands bailliages mis en place au XVe siècle (désignés par leur position géographique respective : Amont, Aval et Milieu) disparaissent de fait.

Une nouvelle géographie

Les prétentions du roi de France ne s’arrêtaient pas à la comté de Bourgogne proprement dite.
Besançon, ville libre impériale depuis 1290, dépendait directement de l’empereur d’Allemagne ; la commune était gérée par un « Magistrat », dont les membres sont élus parmi les « citoyens ». Elle n’a été unie à la comté qu’en 1664, par un échange entre l’empire et l’Espagne. Progressivement, la ville prend le rôle logique de capitale comtoise, en payant au prix fort le transfert notamment du parlement et de l’université. Ses fortifications sont remodelées par Vauban, qui agrandit la Citadelle.

Dans le nord, Louis XIV s’empare du pays de Montbéliard, principauté dont le comte est en Allemagne duc de Wurtemberg. Le comté de Montbéliard (la ville et quelques villages autour) est ensuite restitué à son possesseur et restera principauté autonome jusqu’en 1793, mais plusieurs possessions (les quatre Terres : Héricourt, Châtelot, Granges et Clémont) sont conservées par la France, et rattachées à la comté. La Réforme était passée par là : le catholicisme fut réintroduit progressivement, par la force au besoin, dans ces seigneuries.
Le nord et nord-est de la province, parsemé d’enclaves de part et d’autres, sur lesquelles planaient bien des hésitations (terres dites « en surséances » quant à l’appartenance), est remodelé en 1704 entre Champagne, Bourgogne, Lorraine et Franche-Comté. Ces aménagements territoriaux viennent ajuster la cohérence du territoire, après l’intégration successive des terres ecclésiastiques jadis souveraines de Luxeuil, Lure, Saint-Claude…


Une région française

La Révolution française achève l’intégration de l’ancienne province dans le giron français.

Une « civilisation » française

Ce n’est pas à dire que, par son mode de vie, la Franche-Comté n’était pas déjà un espace français. Même à Montbéliard, on n’a jamais parlé allemand que dans la correspondance avec les institutions de Stuttgart ; le Territoire de Belfort, après la défaite de 1871, correspond globalement à l’Alsace francophone.
Certes, les Comtois, plus que d’autres Français, semblent avoir honte de leur accent, ou du moins certains Français n’hésitent pas à les brocarder à ce sujet : Victor Hugo, dans Choses vues, relève que Proudhon, comme Nodier, a tendance à mettre des accents circonflexes sur tous les a ; Jules Vallès, dans L’Insurgé, prête à Courbet un accent que jamais un Comtois n’a pu avoir tant il est caricatural…

Les particularités comtoises relèvent de celles du terroir, comme partout ailleurs, diffusant les types qui conviennent au mieux quand il s’agit de l’habitat proprement dit, qui plaisent le plus pour les constructions de prestige.

Les grosses fermes isolées des Montagnons, avec leur tué, sont adaptées aux conditions tant économiques que climatiques ; elles s’opposent aux maisons des villages- rues de la plaine, parfois de structure quasi-urbaine.
La diffusion d’un modèle architectural, comme le clocher comtois (que l’on dit curieusement à l’impériale), est née du mimétisme qui reproduit au XVIIIe siècle , dans le diocèse de Besançon, le gauchissement Louis XV d’un toit à quatre pans.

Les départements

Le découpage de la France en départements (que l’on attribue à un Comtois, Bureaux de Pusy) a le grand avantage de ne pas reprendre des noms qui rappellent l’ancien régime.

La position centrale de Besançon pose cependant problème, et la ville se trouve décentrée dans le département du Doubs.

Les limites entre les départements ne suivent pas absolument les anciennes divisions, et les trois départements ne rappellent que grossièrement les anciens bailliages principaux. Dans le détail, nombreuses sont les « rectifications de frontière », estompant des tracés parfois très complexes et supprimant les enclaves : exception originale, la commune de Chêne-Sec, dans le Jura, enclavée en trois morceaux dans la même commune de Saône-et-Loire ; mais Chaussin dans le Jura et Conflans en Haute-Saône quittent la Bourgogne ; Aromas passe de la Bresse dans le Jura et Coligny de la Franche-Comté dans l’Ain.

L’annexion de plusieurs terres étrangères par la France en 1793, notamment en Suisse, amène la création du département du Mont-Terrible, avec pour préfecture Delémont et sous-préfectures Porrentruy et Montbéliard. Montbéliard seul restera français, dans le département du Haut-Rhin d’abord, puis du Doubs (dans l’arrondissement de Saint-Hippolyte avant d’en devenir le siège en 1810).

Dernier avatar de la région, la constitution, après la défaite de 1871, d’un territoire regroupant les communes alsaciennes laissées à la France par le traité de Francfort. Le statut de territoire (comme dans certaines ex-colonies) avait été choisi pour marquer une solution provisoire, dans l’attente du « retour des provinces perdues » ; mais les habitudes administratives prises par rapport aux administrations de la Haute-Saône et du Doubs ont été suffisamment fortes pour que les habitants du Territoire refusent de retourner à l’Alsace après la victoire de 1918 : en 1923, c’est un département de plein exercice qui est créé avec pour nom « Territoire de Belfort ».

Certes, l’Alsthom, devenue Alstom, est d’origine alsacienne : elle est née de la fusion de la Société alsacienne de constructions mécaniques et de Thomson, la SACM émigrée de Mulhouse à Belfort après l’annexion de l’Alsace, mais la signification du nom d’origine s’est rapidement perdue. Et les brasseries strasbourgeoises ont tenté d’interdire à celles de Belfort de qualifier leurs produits de « bières d’Alsace » : un procès leur a donné tort dans les années 30, en reconnaissant que Belfort était « l’Alsace restée française ». Le jaune et bleu qui sont les couleurs du FC Sochaux, créé en 1928 dans le cadre de l’entreprise Peugeot, renvoient à la Franche-Comté.


Une économie diversifiée

Quand Victor Hugo, dans Les Misérables, met dans la bouche de l’évêque de Digne s’adressant à Jean Valjean une description de la Franche-Comté, il évoque deux aspects : la métallurgie et la fromagerie.

Le minerai de fer et la petite métallurgie

L’industrie métallurgique de cette région (locomotives, automobiles et quincaillerie en général) n’est pas liée aux productions traditionnelles de la Franche-Comté.

La sidérurgie a été la force de l’économie comtoise depuis le moyen-âge ; l’essentiel de la fonte produite était vendue sur les grandes foires spécialisées, à Châlon-sur-Saône ou Beaucaire. Mais l’exploitation du minerai local a cessé quand le coke a remplacé le charbon de bois (c’est la « révolution industrielle »). La quarantaine de hauts fourneaux qui existaient en Haute-Saône se sont transformés après 1850 en fonderies, produisant toutes les mêmes produits (des cuisinières, des poids), et disparaissent dans les années 1960.

Seules de grosses entreprises ont subsisté : Fraisans, grâce au canal du Rhône au Rhin, Audincourt…, produisant des tôles et des appareils de chauffage, du rail et de la poutrelle, devenant des industries à forte densité de main d’œuvre.

La production de quincaillerie (puis d’automobiles !) du pays de Montbéliard, avec les dynasties Peugeot et Japy, appartient à un autre espace économique, plus proche dans ses origines des ateliers de taillanderie répartis dans la montagne : fabriques de faux, comme dans la région de Pontarlier et Nans-sous-Sainte-Anne, ou de clous, notamment.

L’horlogerie, de part et d’autre de la frontière franco-suisse, développe dans le Jura une production de gros module (horloges du type Comtoise), dans le Haut-Doubs et Montbéliard des modèles de pendules ou de réveils (L’Epée, Japy). A Besançon, l’industrie de la montre est importée en 1793 par un négociant et des horlogers neufchâtelois, Laurent Mégevand, né à Genève mais installé au Locle (comté de Neuchâtel) et les frères Trott, réfugiés politiques ; la « colonie suisse », bientôt mêlée à d’autres populations, maintient son activité dans la ville à travers « la » manufacture, ensemble d’ateliers spécialisés liés dans le système de l’établissage.

Le fromage et les fruitières

La fruitière –institution réputée propre à la Franche-Comté- c’est la réunion de producteurs réalisant ensemble un même produit.

Pour ce qui est du lait, le fromage « de type gruyère » ne peut être réalisé qu’à partir du produit d’un troupeau relativement important. Si le propriétaire d’un gros troupeau peut travailler seul, la traite du jour du troupeau de tout un village doit être réunie pour produire un fromage quand il y a plusieurs petits propriétaires.
Le comté est le résultat d’une évolution du type gruyère ; d’autres productions viennent s’y joindre, liées aux conditions de fabrication en fruitière ou hors fruitière : morbier, septmoncel (ou bleu de Gex), sans compter la cancoillotte, spécialité de plaine dont la fabrication a aussi pour principe une transformation provisoire dans le but d’une conservation impossible pour le lait cru.

Le principe de la fruitière, et le mot, se retrouvent dans les vignobles jurassiens. A Besançon, l’important vignoble est le fait de grands propriétaires, qui disposent du matériel adapté à la taille de leur exploitation ; ils emploient des vignerons dont le type est le Barbizier râleur. Les petits vignerons-propriétaires, en revanche, sont nombreux au XIXe siècle dans le Jura et doivent se regrouper pour disposer des moyens techniques assurant la vinifaction de leurs produits ; c’est la coopérative vinicole.

Le travail à domicile ou en petites unités, selon le même modèle que la fabrication de la montre à Besançon, a marqué toute une région et de nombreux produits, notamment dans le sud-est du Jura, autour de Saint-Claude, avec la pipe et le tournage sur bois, la fabrication des branches de lunettes, le polissage des pierres…
On sait combien ces principes de collaboration ont été présentés soit pour expliquer la pensée des Fourier (1772-1837) et des Proudhon (1819-1866), soit comme un résultat de leurs théories. On a beaucoup mis en avant la présence en Comté de théoriciens socialistes, notamment avec les fouriéristes Muiron, Considérant, Gagneur et bien d’autres… quitte à évoquer leurs théories à propos de tout ce qui paraît sortir du commun dans l’organisation du travail, comme la saline d’Arc-et-Senans, comme lors de l’affaire Lip en 1973.
Fromages et vins de Franche-Comté, de même que certains produits issus de la filière porcine (saucisses de Morteau et de Montbéliard) bénéficient d’appellations d’origine, qui sont la reconnaissance de leurs qualités et ont des répercussions sur tout un pan de l’économie, notamment pour l’élevage laitier. L’excellent bresi (jambon fumé de bœuf) n’est pas, lui, labellisé.


Une nouvelle Franche-Comté ?

Un nouveau découpage administratif de la France est devenu nécessaire au milieu du XXe siècle : les départements sont regroupés en « Régions de programme » en 1956, puis « Circonscriptions d’action régionale », enfin en Régions. La Région Franche-Comté, en regroupant les « quatre départements comtois » (Doubs, Jura, Haute-Saône et territoire de Belfort) et en prenant le nom de l’ancienne province, ressuscite une entité ancienne, dans laquelle beaucoup d’habitants se reconnaissent sans toujours saisir ce qui revient à l’histoire et au présent.

La préfecture de région, installée dans les bâtiments de l’ancienne intendance de Franche-Comté, occupe l’un des plus beaux bâtiments administratifs construits à cet effet.
On prête à Edgar Faure (1908-1988) la volonté d’avoir conservé l’ensemble comtois dans ce découpage de la France en régions : « La Fransse-Comté –disait-il avec son zozottement, en montrant son crâne fort dégarni- ça décoiffe ! ». Ce languedocien parachuté en Franche-Comté et député, puis sénateur du Jura depuis 1946, député puis sénateur du Doubs à partir de 1967, fut président du Conseil régional de 1974 à sa mort.

Le puzzle administratif

Il faudrait encore se pencher sur ce que sont les ressorts secondaires (suppression de plusieurs sous-préfectures, notamment Baume-les-Dames et Gray en 1926) et ceux des autres administrations, dont les territoires d’application se chevauchent le plus souvent : éducation, justice, ponts et chaussées, armée, eaux et forêts, évêchés, chambres économiques…
Et il reste que la Franche-Comté ne formerait vraiment une entité homogène que si, à côté des rapports administratifs, il existait un lien entre ses composantes. Or le lecteur de L’Est républicain, dans le Doubs, la Haute-Saône ou le Territoire de Belfort, pourrait se sentir plus lorrain que comtois. Celui du Progrès, dans le Jura, n’a sans doute pas beaucoup d’informations sur ce qui se passe à Besançon. Et celui qui regarde les émissions régionales télévisées sur FR3 Franche-Comté (devenu FR3 Bourgogne-Franche-Comté) se sentira, en-dehors des bulletins d’information, certainement bien plus proche de la Bourgogne que de Dijon.

*

Entité historique, la Franche-Comté a subi les transformations inhérentes à l’histoire qui marche. Il serait vain de se demander si ses limites doivent être celles des structures féodales du XIIIe siècle, celles de l’époque « espagnole » ou « autrichienne », ou si elles doivent se reporter à une autre période. La Révolution française, si besoin était, a conforté l’intégration à la France de cette région dont les parlers, les coutumes, les mentalités étaient bel et bien françaises. Ces vicissitudes sont celles que l’évolution, parfois brutale, lente le plus souvent, a créées pour aboutir à ce qu’elle est aujourd’hui, pour évoluer encore et s’adapter à ce qui sera nécessaire demain.


La population franc-comtoise : les apports récents

Au fond gallo-romain, renforcé au fil des siècles par des apports des régions voisines, notamment après la terrible guerre de Dix ans (1636-1646), s’ajouta à partir de la Révolution industrielle et jusqu’en 1939 une suite croissante d’autres apports migratoires : suisses, alsaciens, italiens, polonais, espagnols, bien connus et bien étudiés. Qu’en fut-il après 1945 ?

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’immigration est faible en Franche-Comté, malgré la demande en main d’œuvre pour la reconstruction et l’industrie. La population rurale surnuméraire, à cause de la modernisation de l’agriculture et du maintien des grandes familles, en particulier dans le très catholique Haut-Doubs, est quasi-suffisante pour répondre aux besoins. Cette immigration est essentiellement européenne, et d’origine proche : suisse, italienne du nord (Alpes bergamasques en particulier) ; on note cependant un début d’immigration algérienne, certains soldats ayant participé à la libération de la France y restent, en particulier à Besançon. Ce sont très majoritairement des hommes travaillant dans les industries du nord de la Franche-Comté (Montbéliard et Belfort) et secondairement dans le bâtiment et les travaux publics.

Pour ce qui est de l’évolution de l’immigration en Franche-Comté, on peut distinguer 4 phases entre 1945 et le début du XXIe siècle.

Pendant la première phase, de 1945 à 1954, la population étrangère stagne en-dessous de 25 000 personnes, malgré l’arrivée, au début des années 50, de petits contingents italiens et de quelques Algériens, presque uniquement des hommes, qui vivent dans des conditions matérielles très difficiles. Au recensement de 1954, le taux de population migrante en Franche-Comté reste largement inférieur à celui de 1936. Il s’agit de travailleurs pour l’industrie et le BTP. Les familles sont très peu nombreuses.

La seconde phase (1954-1975) voit une augmentation considérable du nombre d’immigrés, due à la forte demande des industries du nord de la province : en une vingtaine d’années, ce nombre passe de 25 000 à 76 000, soit une multiplication par 3. Ceci est le fait d’une succession de vagues migratoires à partir du milieu des années 50 : Italiens (1954-1960), Espagnols (1959-1965), Algériens (1954-1973), Portugais (1961-1974), puis Marocains (1968-1983) et enfin Turcs (1970-1983). Cette migration est encore, même si le nombre de familles commence à croître à la fin des années 60, essentiellement une migration d’hommes seuls.

La troisième phase (1975-1997) voit une diminution de la population immigrée en Franche-Comté, de 76 000 à 66 000, malgré la maintien, au début de la période, d’une immigration marocaine et turque. La répartition par nationalités se modifie : le nombre d’Européens diminue (décès de vieux migrants espagnols ou italiens, retour au pays de migrants portugais en raison de la crise automobile, et de la fin de la dictature avec la Révolution des œillets le 25 avril 1974), mais celui des Maghrébins, en particulier des Marocains, augmente, ainsi que celui des Turcs. L’arrêt officiel de l’immigration, en 1974, du fait de la crise économique, est responsable de cette nouvelle situation, marquée par une forte diminution du nombre d’entrées de travailleurs, par la stabilisation des immigrés déjà présents, et par l’accroissement de l’installation des familles, par le biais de la politique de regroupement familial. La fin de la période est marquée par une profonde évolution de cette population, qui est durement frappée par les mutations industrielles, avec pour première conséquence une explosion du chômage et une mal-vie qui déstructurent les individus et les familles.

La quatrième phase, qui commence à l’extrême fin du siècle et se poursuit encore aujourd’hui, voit à nouveau un accroissement, faible certes mais constant, de la population migrante en Franche-Comté. Elle a retrouvé vers 2008 son niveau de 1975. Si des migrations traditionnelles perdurent (Maghreb, Turquie), de nouvelles apparaissent, en provenance des Balkans et du Caucase, et l’on voit revenir nos voisins suisses. On constate aussi une augmentation du nombre d’étudiants étrangers, si bien qu’en ce début du XXIe siècle, on compte plus d’une centaine de nationalités différentes en Franche-Comté. Enfin, pendant cette dernière phase, les femmes migrent plus que les hommes.

On observe en 2014 que les flux d’immigrants en situation de stabilité (regroupement familial, visas obtenus, étudiants) ne se modifient pas, ni en chiffres (2614 pour la Franche-Comté, dont 911 étudiants, chiffres de 2014 ), ni pour ce qui est des pays d’origine (Maghreb notamment). En revanche, les flux de migrants aspirant à obtenir de l’OFPRA le statut de réfugiés ont augmenté de façon très importante, comme dans toute la France, depuis 2012-2013, pour s’établir en 2014 à 875. Ils sont issus essentiellement du Kosovo, d’Albanie, pays pourtant déclarés sûrs par le Quai d’Orsay. Apparaissent aussi des pays de lourde dictature, ou en crise grave, comme la Syrie, l’Irak, l’Erythrée, la Somalie, le Soudan. ».

Frannçois LASSUS
Ingénieur d’études (UFC)
Avec le concours de Jean-Paul BRUCKERT, Jacques FONTAINE, Pierre KERLEROUX

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