« Nos traces au pays s’effacent par la longue absence. Je suis sur un pont cassé. J’ai quitté une rive sans pouvoir joindre l’autre bout, car ici je ne suis pas reconnue. Ceux qui sont restés croient que je suis arrivée … »
…Madame Harris découvre Besançon en juillet 2002, munie d’une bourse de la France, pour un stage de 2 mois au CLA. A Monrovia, au Libéria , pays anglophone, elle enseigne le français langue étrangère, langue qu’elle a apprise en Guinée où son père avait rejoint l’armée française et combattu en Indochine. Le Libéria connaît depuis 1989 une guerre civile qui a fait de nombreuses victimes, au nombre desquelles son mari, assassiné en 1992.
Au bout de 2 semaines de stage, un appel de sa sœur l’avertit que sa maison a été brûlée en pleine nuit, 2 de ses frères tués, ses enfants dispersés. Elle l’enjoint de rester en France, sa vie est en danger, elle veillera avec sa mère sur ses 6 enfants.
Pauline demande donc l’asile politique, et à l’issue de son stage, elle est hébergée dans un centre d’accueil, percevant 90 € par mois. « Je gardais 10 € pour moi comme argent de poche, j’envoyais le reste au pays ».
Venue pour 2 mois, elle restera à Besançon.
En 2004 elle obtient enfin ses papiers de réfugiée politique et sa carte de séjour de 10 ans. Comprenant qu’une partie de sa vie se passera désormais à Besançon, et désireuse de s’intégrer au plus vite, elle s’inscrit à l’IUT où elle passe une licence professionnelle de conduite de projets internationaux de co-développement. Dans ce cadre, un stage de 3 mois l’emmènera en Mauritanie pour participer à un programme de lutte contre la mendicité.
Ne trouvant aucun travail correspondant à ses compétences, elle ouvre, avec son compagnon rencontré au sein de la toute petite communauté libérienne de Besançon, un magasin de produits exotiques au centre St Pierre, qui fonctionnera bien de 2004 à 2007, jusqu’à un cambriolage fatal, les assurances n’ayant rien remboursé !
Professeur à Monrovia, femme de ménage à Besançon.
Madame Harris a fait quelques petits boulots fournis par Intermed et vient de terminer un contrat d’avenir de 2 ans comme femme de ménage pour Besançon Habitat, où il lui est arrivé d’avoir été insultée, mais dit-elle avec philosophie et humour : « le balai ne voit pas ça ! »
Maintenant elle touche le chômage et se désole d’être assistée. « En France, on donne les sous et on dit aux gens : asseyez-vous ! Pourquoi ne pas utiliser nos compétences ? On nous donne le RSA, on veut redonner nous aussi ! »
La famille : « je suis le tronc, vous êtes les branches. »
En 2006, ses 3 plus jeunes enfants mineurs ont pu venir la rejoindre dans le cadre du regroupement familial. L’aînée a eu du mal à s’habituer : « en France on a tout, mais personne à qui parler ! ». Elle a trouvé sa place depuis qu’elle s’est formée pour être auxiliaire de vie, elle travaille maintenant à l’ASSAD. Ses 2 jeunes frères sont scolarisés au collège Diderot et aiment la vie en France.
« L’éducation, c’est la richesse qu’un parent peut donner à son enfant. »
L’ACAB, association de la culture africaine de Besançon.
Malgré toutes ces épreuves, Pauline et son compagnon agissent, et en 2002 ils créent l’ ACAB : association de la culture africaine de Besançon, domiciliée à la maison de l’étudiant à la Bouloie. Ils organisent des soirées culturelles dans les maisons pour tous, proposent des soirées autour de la cuisine et de la danse africaine avec les étudiants, participent à d’autres manifestations comme la soirée des enfants d’Algérie, la fête africaine à Saône, et en 2005 au festival de cinéma organisé par APACA . En dernier lieu elle a organisé un défilé de mode à Marnay.
Elle déplore le manque de moyens pour son association, ne pouvant faire payer les étudiants lorsqu’ils participent à une soirée. L’ACAB suit aussi des projets pour les femmes en Guinée et au Libéria.
« L’Afrique ne peut pas avancer sans les femmes. »
Féministe active, elle est convaincue que la femme est le pilier de l’Afrique.
Le Libéria est le premier pays d’Afrique a avoir élu, en 2006, une femme présidente de la république : Ellen Johnson Sirleaf.
« Si une personne ou une institution veut aider l’Afrique, elle DOIT passer par les femmes, elles ont compris, elles, avec leur dévouement et leur dignité ».
Pauline suit donc la construction d’une clinique près de Monrovia, et dès qu’elle le peut, elle envoie de l’argent pour soutenir ce projet, encadré par sa sœur, son mari et des anciens élèves de ce village.
La vie associative.
Elle a aussi un avis bien précis sur toutes ces associations tenues par les blancs pour aider l’Afrique. « Ils ne peuvent pas connaître l’Afrique comme nous qui y sommes nés ; les français qui y ont vécu savent des choses, mais pas tout, 90 % croient qu’ils connaissent mieux que nous l’Afrique ! »
Comment faire alors, Pauline ?
« Les blancs ont les moyens, mais ça ne sert à rien d’y aller ! Avec une carte de téléphone, on fait plus qu’avec un billet d’avion, c’est un voyage inutile, on gaspille l’argent pour voir la surface des choses. Donnons le prix du billet aux femmes, elles savent à quelles portes frapper, elles n’ont pas d’hôtel à payer, elles connaissent tout le monde, cet argent servirait vraiment à quelque chose ! ».
Et à Besançon, où il y a beaucoup d’associations africaines ?
« Certains pays restent entre eux, d’autres non, chaque association a des projets, mais peu ou pas de moyens pour les réaliser. Il faudrait essayer de créer la rencontre entre elles, il faut une personne neutre pour nous fédérer, nous sommes méfiants, il faut nous rassurer. Il faut que la Ville trouve les bonnes personnes pour fédérer ces forces étrangères, cela rejaillira sur Besançon, et nous on pourra redonner ce que l’on nous donne avec le RSA. Comme a dit Sékou Touré* : l’homme qu’il faut, à la place qu’il faut. » .
Enfin, sur la place des étrangers en France :
« Ici, vous ne connaissez pas l’étranger. On dit chez moi : si vous ne connaissez pas la personne, donnez-lui le maximum de respect, parce que vous ne savez pas qui elle est, elle a peut-être une richesse à vous donner, et vous allez gagner en recevant ! » .
Et Pauline de conclure :
« Voilà, je propose cette idée : il faut tout faire pour que les associations africaines noires puissent se rencontrer, pour voir s’il y a possibilité de se fédérer, peut-être avec ce site migrations à Besançon? ».
* Sékou Touré : (1922-1984) Il fut le premier président de la République de Guinée, de l’indépendance en 1958 à 1984.
Entretien avec Madame Pauline Harris à son domicile. Propos recueillis par Geneviève Cailleteau le 13 novembre 2009
Monrovia, Libéria
Besançon, France