Note historique: les Arméniens

Une nation originale, les Arméniens et l’Empire ottoman, le génocide, la diaspora, l’Arménie indépendante, Arméniens et Turcs aujourd’hui, références.


Le nombre des Français d’origine arménienne est estimé à 3 ou 400 000. Ce nombre seul justifie que notre site évoque cette communauté, même si la Franche-Comté n’est pas une région de forte concentration arménienne, comme l’est par exemple la région de Marseille. Il n’y a en Bourgogne-Franche-Comté qu’environ un millier de franco-arméniens.

1) Une nation très originale.

Vers l’an 600 avant Jésus-Christ, des peuples thraco-phrygiens passèrent des Balkans en Anatolie, y détruisirent l’empire hittite, et s’installèrent sur le territoire du royaume d’Ourartou, dans l’Est anatolien. De la fusion entre ces peuples et les Ourartéens sortit, pense-t-on, le peuple arménien.
Des royaumes arméniens indépendants existèrent, notamment au temps de Tigrane le Grand (vers moins 95) ; au temps de Tiridate III, qui fit de l’Arménie, en 301, avec l’aide de Saint Grégoire l’Illuminateur, le premier royaume chrétien de l’histoire ; au temps  d’Achot le Grand au IX° siècle.
Mais le sort géopolitique de la nation arménienne fut presque toujours d’être dépendante de l’un, ou de plusieurs, des grands empires qui l’ont toujours cernée : Mèdes, Perses, Grecs, Romains , Arabes, Byzantins, Turcs et à nouveau  Perses, Russes. A partir du XV° siècle, l’Etat où était incluse la quasi-totalité des terres de peuplement arménien fut l’empire ottoman : les Arméniens étaient sujets turcs.
La langue arménienne est un rameau isolé des langues indo-européennes. Elle a incorporé de nombreux apports persans, grecs, turcs.  Son alphabet, inventé en 404 par le moine Mesrop Machtots, est totalement original.
L’Eglise apostolique autocéphale arménienne appartient à l’ensemble des églises chrétiennes orientales, qui ne sont ni orthodoxes ni catholiques romaines. Elle a été et reste un des piliers de l’esprit national arménien.


2) Les Arméniens et l’empire ottoman

L’empire ottoman était un empire multiethnique. A son apogée, vers 1680, les Turcs y étaient nettement minoritaires par rapport aux Arabes du Moyen-Orient et aux peuples chrétiens des Balkans (Grecs, Serbes, Bulgares, Croates,  Roumains) et d’Anatolie (Grecs à l’Ouest, Arméniens à l’Est). Le sultan reconnaissait les communautés ethnico-religieuses (appelées en langue turque « millet »), qui pouvaient pratiquer assez librement leur culte.

Au XIX° siècle, l’Empire ottoman connut une terrible décadence, qui se traduisit par une perte continue de territoires. Les nationalités chrétiennes des Balkans (Grèce, Serbie, Roumanie, Bulgarie) conquirent une à une leur indépendance, avec le soutien intéressé des tsars de Russie, qui avançaient leurs pions dans les Balkans et le Caucase (Erivan conquise en 1828 sur la Perse).
Les Arméniens, tout en restant loyaux au sultan, ne pouvaient pas ne pas être influencés par ce « mouvement des nationalités ». Ils réclamèrent du pouvoir ottoman un meilleur respect de leurs droits, culturels et économiques. Les puissances européennes (Angleterre, France, Allemagne, Italie, Russie) soutenaient ces revendications. Certains Arméniens, minoritaires, rêvaient d’indépendance. La majorité se contentait prudemment de demander plus d’autonomie.
Chez les Turcs se développa , d’une manière hélas logique, un nationalisme turcomusulman méfiant ou hostile à l’égard des revendications des minorités chrétiennes qui, vers 1910, existaient encore dans ce qui restait de l’empire ottoman, c’est-à-dire les Grecs et les Arméniens d’Anatolie.
En 1895-96 eurent lieu une série de pogroms anti-arméniens , suscités par le sultan Abdul Hamid II. 200 000 Arméniens furent massacrés, 100 000 convertis de force, et 100 000 émigrèrent. Une répétition générale. Nouvelle alerte en 1909 : 20 000 Arméniens sont massacrés en Cilicie, dans la région d’Adana.


3) La 1ère guerre mondiale. Le génocide (1915-1916)

L’Empire turc, allié de l’Allemagne, entra en guerre en 1914 à ses côtés contre Angleterre, France et Russie. Les troupes russes entrèrent en Arménie turque ; elles comptaient des unités composées d’Arméniens de Russie.
Le gouvernement turc , notamment Talaat Pacha et Enver Pacha, profita de cette situation d’urgence nationale (préserver l’unité nationale contre une minorité présumée déloyale) pour entreprendre le règlement définitif de la question arménienne, par le massacre et la déportation.
Ce fut épouvantable. Le « travail », impulsé et coordonné par une « Organisation Spéciale » nichée au cœur de l’Etat turc, et accompli par les troupes et bandes turques et kurdes, dura de mai 1915 à la fin 1916. Les Arméniens étaient 1 800 000 dans l’empire ottoman. Yves Ternon évalue à 1 200 000 le nombre des victimes : 600 000 (surtout les homme) assassinés sur place, en Arménie turque, 600 000 (surtout femmes, enfants et vieillards) morts d’inanition ou tués lors de la déportation à pied vers la Syrie du Nord, où le camp de Deir es Zor, principal point d’aboutissement de cette marche de la mort, est resté pour les Arméniens un important lieu de mémoire, et de pélérinage

100 000 enfants furent enlevés, turcifiés et islamisés. 150 000 personnes survécurent à la déportation, dans des camps en Syrie ou cachées dans le pays. 150 000 autres, notamment à Istamboul et sur la côte ionienne (Smyrne), avaient été épargnées. (Toutefois, en septembre 1922, à la fin de la guerre gréco-turque d’Anatolie qui vit la victoire d’Atatürk, la communauté de Smyrne subit, en même temps que la communauté grecque, une expulsion accompagnée de violences et de meurtres).
Tous ces chiffres absolus sont controversés. Erik J. Zürcher (« Turkey, a modern history« , I.B. Mauris, 2004) évalue entre 600 000 et 800 000 le nombre des Arméniens tués. Mais les spécialistes s’accordent sur les pourcentages : entre la moitié et  les 2/3 des Arméniens ottomans ont été assassinés.
Selon l’ONU (Convention du 9 décembre 1948), pour qu’on puisse parler de génocide, il faut : 1) que la victime soit un groupe humain ; 2) que les membres de ce groupe aient été tués comme tels, cad en raison de leur appartenance au groupe ; 3) qu’il y ait eu intention d’anéantir ce groupe. Ce fut le cas en Turquie en 1915-16.


4) La diaspora

Une partie des survivants s’était regroupée en Syrie et au Liban, deux pays confiés à la France par la SDN en 1919. Avec  les victoires de Mustapha Kemal en Anatolie contre l’armée grecque disparut pour eux l’espoir de revenir dans leur terre natale. C’est pourquoi, entre 1922 et 1926, environ 60 000 Arméniens débarquèrent à Marseille. Une partie y resta, si bien que Marseille compte aujourd’hui environ 25 000 franco-arméniens.
Le reste migra peu à peu vers le Nord, vers Lyon et Paris, via le sillon rhodanien, où la présence arménienne reste forte (Valence, Romans, Vienne, Lyon). Dans la région parisienne, on peut citer Issy, Alfortville, Bagneux, Cachan.
Les autres pays d’accueil furent les Etats-Unis (peut-être 900 000 Arméniens aujourd’hui, surtout à Los Angeles), l’Argentine, la Syrie et le Liban. Les pays de l’ex-URSS comptent 1,5 millions d’Arméniens.
Sur les 6 à 7 millions d’Arméniens de 2009, une petite moitié vit dans l’ex-Arménie soviétique devenue indépendante en 1991 (29 800 km², à peu près la Belgique ; à comparer aux 300 000 km² de la « Grande Arménie » historique).
Le reste vit en diaspora. Ces trois autres millions sont généralement citoyens de leur  pays d’accueil, et très bien intégrés, ce qui n’empêche nullement un vif attachement à la culture et à l’histoire de la nation arménienne. C’est le cas en France. De Missak Manouchian (le résistant de l’Affiche Rouge) à Henri Verneuil (Achod Malakian) et Charles Aznavour (Shahnourh Aznavourian), nombreux sont les Franco-Arméniens présents dans la mémoire française.


5) L’Arménie indépendante.

a) Il y eut une Arménie indépendante, brièvement, de 1917 à 1921, au moment de l’effondrement des empires russe et ottoman.
b) Incorporée à l’URSS en 1921, elle en fit partie jusqu’en 1991. Elle en fut de 1936 à 1991 l’une des 15 Républiques constitutives .
Vassalisée comme les autres territoires par le centralisme bolchevik et stalinien, l’Arménie soviétique n’en connu pas moins alors un réel essor culturel, et représenta une référence pour une partie de la diaspora.
c) septembre 1991 : l’Arménie retrouve son indépendance, au moment de l’éclatement de l’empire soviétique.
Le pays est pauvre, enclavé. Il est en très mauvais termes avec ses voisins d’Azerbaïdjan, turcophones et musulmans (conflit du Haut-Karabakh), et avec la Turquie. Les relations sont bonnes avec la Russie, avec l’Occident, assez bonnes avec l’Iran, correctes sans plus avec la Géorgie (à cause entre autres de la Javakhétie, région de Géorgie, limitrophe de l’Arménie, peuplée de 200 000 Arméniens).
L’Arménie abrite une petite minorité de quelques dizaines de milliers de Kurdes. La plupart appartiennent à la secte des Yézidis, qui professe un syncrétisme d’éléments zoroastriens, manichéens, juifs, chrétiens nestoriens et musulmans. Cette secte est présente en Irak, où elle est victime, comme les chrétiens, d’attentats perpétrés par la mouvance intégriste sunnite. Elle ne subit pas de discriminations légales en Arménie. Certains Yézidis émigrent vers Allemagne et France.


6) Arméniens et Turcs aujourd’hui.

Le souvenir du génocide reste brûlant dans les communautés arméniennes du monde entier. Elles demandent aux instances internationales, aux gouvernements, au gouvernement turc notamment, la reconnaissance du génocide de 1915-16. Beaucoup de Parlements ont voté cette reconnaissance, entre autres  aux Etats-Unis, en Russie, au Liban, en France (loi du 29 janvier 2001), aux Pays-Bas. Le Parlement européen a aussi voté en ce sens en 1987.  L’Allemagne, la Grande-Bretagne, Israël reconnaissent les massacres, sans utiliser le mot génocide
Les gouvernements turcs qui se sont succédé depuis la chute de l’empire et l’avénement de la République ont toujours violemment refusé toute reconnaissance du génocide de 1915-16 . Ils ont choisi le négationnisme. Leurs arguments ont varié. Nous les résumons ici , en tentant de ne pas trahir la pensée de ceux qui les expriment:  «  il y a bien eu des bavures lors des déplacements de population arménienne, mais ils ont été l’œuvre d’irréguliers ; ces déplacements étaient tout à fait justifiés par la déloyauté des Arméniens ; il y a bien eu des massacres, mais il y en a eu aussi dans l’autre sens ; il n’y a jamais eu d’intention génocidaire, aucun document ne le prouve ; beaucoup d’Arméniens ont survécu ; beaucoup de Turcs ont aidé et sauvé des Arméniens » ( personne ne conteste qu’il y a eu , en effet, des « Justes » parmi les Turcs).

Résumons le point de vue dominant jusqu’ici dans la population turque: « Il n’y a pas eu de plan génocidaire. Et si les Arméniens ont été un peu massacrés, ils l’ont bien cherché ».

La vérité avance peu à peu en Turquie même.

L’assassinat du journaliste turc arménien Hrant Dink , apôtre de la réconciliation, le 19 janvier 2007, par des éléments ultranationalistes peut-être liés à l’appareil d’état, a provoqué une vague d’indignation. 100 000 Turcs ont défilé lors de ses obsèques en scandant « Nous sommes tous des Arméniens ! ».

Devant l’évidence du génocide, reconnue par la quasi-totalité des historiens du monde, un nombre croissant d’intellectuels turcs demande à la nation turque d’assumer cette part honteuse de son passé. La France l’a fait : Jacques Chirac a dit en 1995 les mots qu’il fallait à propos de la Rafle du Vel d’Hiv de 1942,  et la France d’aujourd’hui s’en est trouvée non pas abaissée, mais grandie.
Une pétition lancée le 15 décembre 2008 par l’économiste Ahmet Insel, le professeur de sciences politiques Baskin Oran, le spécialiste des questions européennes Cengiz Aktar et le chroniqueur Ali Baymaroglu a été signée par des milliers de citoyens turcs. Elle dit : « ma conscience ne peut pas accepter que l’on reste indifférent et que l’on nie la « Grande catastrophe » subie par les Arméniens ottomans en 1915. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens. Je leur demande pardon ».
La grande nation turque a tout à gagner à répondre à l’appel lancé par les quatre courageux (ils risquent leur vie) promoteurs de cette pétition. Ceux-ci peuvent se prévaloir de l’avis de Mustapha Kemal Atatürk , qui a parlé publiquement des massacres d’Arméniens comme d’ « un acte honteux ». Certes, ils n’écrivent pas le mot « génocide » ; mais leur texte est une étape importante dans la prise de conscience turque.

Pierre Kerleroux (agrégé d’histoire, ENS Ulm, ancien professeur de lycée et maître de conférences honoraire, Sciences Po Paris),  mars 2009


REFERENCES

Bibliographie

  • Annie et Jean-Pierre Mahé,  « L’Arménie à l’épreuve des siècles », collection Découvertes, Gallimard, 2005, 159 pages.
  • Robert Mantran, « Histoire de l’Empire ottoman », Fayard, 1990, 810 pages.
  • Gérard Dédeyan, « Histoire du peuple arménien », Privat, 1982, nouvelle édition 2007, 1 008 pages.
  • Yves Ternon, « Les Arméniens. Histoire d’un Génocide », Le Seuil, collection Points-Histoire, nouvelle édition 1996, 437 pages.
  • Taner Akçam, « Un Acte honteux. Le génocide arménien et la question de la responsabilité turque », Denoël, 2008, 490 pages.
  • Gilbert Sinoué, « Erevan », roman, Flammarion, 2008, 353 pages.
  • Cyril Le Tallec, « La Communauté arménienne de France, 1920-1950 », L’Harmattan, 2001, 217 pages.
  • Martine Hovanessian, « Présence arménienne en France, une migration en exil », article dans la revue « Historiens et Géographes » de juillet-août 2003, n° 383, pp.359-372.
  • Revue « Hommes et Migrations », n° 1265, janvier-février 2007, « Diaspora arménienne et territorialités », dossier coordonné par Martine Hovanessian.
    Revue « L’Histoire » n°341, avril 2009, pp. 8-21
  • Henri Verneuil, « Mayrig », Laffont, 1985. Les souvenirs du célèbre cinéaste. Né Achod Malakian, il  débarque à Marseille en 1924, à 4 ans.
  • Fethiyé Cetin, « Le livre de ma grand-mère », L’Aube, 2006, 142 pages. L’auteur est une avocate turque. Sa grand-mère, très âgée, lui révèle qu’elle est arménienne et chrétienne.

Bandes dessinées

Paolo Cossi, « Medz Yeghern. Le Grand mal », Dargaud, 2009.
Guy Vidal, Florenci Clavé, « Sang d’Arménie », Dargaud, 1986

Sites Internet

  • site de la CNHI (Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration) (www.histoire-immigration.fr), notamment à propos de l’exposition de 2006 sur « Les Arméniens au Proche-Orient et en France 1917-1945 ».
  • Site de l’ECEHG-INRP (Enjeux contemporains de l’enseignement de l’histoire-géographie/Institut national de la recherche pédagogique) : http://ecehg.inrp.fr/ECEHG , notamment les pages sur « enseigner les sujets controversés ».
  • Site du Centre du patrimoine arménien de Valence : www.patrimoinearmenien.org .
  • L’excellent site de l’Association culturelle  arménienne de Marne-la-Vallée, www.Acam-france.org , avec notamment une bibliographie critique précise de 1 373 ouvrages de 729 auteurs.
  • Le « site des Amis de la Turquie », www.tetedeturc.com . Les arguments des Turcs qui refusent la qualification de génocide . Un site de combat.

Films
Laurence Jourdan, « Le génocide arménien », Compagnie des Phares et Balises/Arte, 2005, 105 minutes.
Henri Verneuil : deux films, « Mayrig » (1992) et « 588 rue Paradis » (1993).

Association
Amicale des Arméniens de Bourgogne et Franche-Comté, 10 rue Au Bouchet, 21000 Dijon.

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