En un temps où la télé et les radios locales n’existaient pas, la presse locale était la seule information de nos concitoyens. Il est donc important de voir quelle place elle accorde à tout ce qui concerne ceux qu’elle appelle les Nord-Africains
Puis, à partir de 1955, dans le contexte d’une guerre qui n’avoue pas son nom, les Algériens.
Rappelons qu’il existait à la Libération deux quotidiens à Besançon : La République et Le Comtois.
L’Est Républicain commence à s’implanter à Besançon à partir de 1951. Notre revue de presse n’a pas la prétention d’être exhaustive. Elle cherche à reconstituer une ambiance, à mettre l’accent sur la façon dont les Nord-Africains étaient perçus par les Bisontins.
1950 : Détour par Montbéliard
C’est en 1950 que la presse locale commence à parler des Nord-Africains. Et c’est à propos du Pays de Montbéliard qui ne relève pas de notre sujet, mais qui est un pôle de concentration plus important que Besançon.
Le 7 septembre Le Comtois publie un bref article
“Violente manifestation des Nord-Africains à Montbéliard”.
Il est fait état d’un « vent d’émeutes » suite à la saisie par la police de 750 exemplaires du journal l’Algérie libre. Un rassemblement a lieu devant le commissariat qui subit un « véritable siège »…
Le 8 septembre le journal revient plus longuement sur cette affaire sous le titre : « A propos des incidents provoqués par les Nord-Africains ». « Ils sont 2 500. Sept cents d’entre eux sont actuellement au chômage. Tous vivent dans des conditions d’hygiène lamentable… Les travailleurs sont parqués dans des locaux où ils sont jusqu’à 7 ou 8 couchant pêle-mêle… Ils se plaignent amèrement d’être traités en parias ». « Il serait souhaitable que l’inspection du travail surveille de très près les immigrations ».
Cet article provoquera une mise au point du directeur départemental du Travail, M. Delacour, qui sera conseiller municipal de Besançon dans l’équipe Minjoz une fois devenu retraité.
Le haut fonctionnaire conteste l’emploi du mot immigration : « Vous semblez oublier que les Nord-Africains sont des citoyens français qui ont le droit comme vous et moi de prendre le bateau à Alger pour se rendre à Marseille sans avoir l’autorisation de personne ». (On remarquera l’emploi de l’expression Nord-Africains pour parler des seuls Algériens).
Des précisions sont données sur les chiffres : 1 500 à 1 800 pour le Doubs, moitié dans le Pays de Montbéliard. Les chômeurs seraient de 100 à 200. On voit donc que les statistiques ne sont pas très précises.
En ce qui concerne le logement, un « contrôleur social Nord-Africains » a été affecté à Montbéliard. Il a imposé des améliorations à la société Peugeot : « les “anciens dortoirs” ont été transformés en petites chambres de 6 ou 7 au maximum ». Un « comité d’accueil de la main-d’œuvre nord-
africaine » vient d’être mis sur pied sous le triple patronage des ministères du Travail, de l’Intérieur, de la Santé.
Aucune référence n’est faite aux problèmes posés par l’exercice du culte musulman. Il est simplement indiqué qu’à Sochaux « une cantine nord-africaine a été ouverte » et qu’une « boucherie nord-africaine est en cours d’installation », ce qui traduit une volonté de prendre en compte les prescriptions rituelles de l’Islam. Nous avons donné les précisions sur le Pays de Montbéliard parce que les liens étaient nombreux entre Algériens qui se déplaçaient souvent entre le Nord Franche-Comté et Besançon.
1951 : Des conditions de vie dénoncées
Le 28 novembre 1951 Le Comtois sous le titre : « le problème des travailleurs Nord-Africains » rend compte d’une communication du préfet du Doubs concernant l’intervention des pouvoirs publics dans le Pays de Montbéliard pour améliorer les conditions de vie des travailleurs Nord-Africains. L’article est précédé d’un commentaire qui traduit une prise de conscience de graves injustices.
« Où sont pour les Nord-Africains les heureux jours de la Libération »
« Où sont pour les Nord-Africains les heureux jours de la Libération où on acclamait à tout rompre la belle, la vaillante armée d’Afrique…
On les a souvent parqués, on les a laissés mourir de faim, de froid, de misère. La misère, c’est rôder dans la rue et coucher sous les ponts, avec plus que jamais la police à ses trousses.
Si les Marocains et les Tunisiens jouissant d’un régime spécial (protectorat) pouvaient gagner la métropole et bénéficiaient en général d’une plus grande sympathie, les Algériens eux, étaient légalement Français. Aucune loi, aucun texte, aucun décret ne pouvait à aucun prix leur interdire de descendre du bateau ou de l’avion. Une fois en France, on connaît le drame… »
« Ils ne mangent que du pain et boivent de l’eau »L’article paru dans Le Comtois du 8 décembre 1951 est celui qui est le plus précis au sujet des conditions de vie. Rien n’est dit sur ce qui a provoqué la prise de conscience des pouvoirs publics au plus haut niveau (rapport au préfet des services du travail ? de la santé ? intervention des personnes – très rares sans doute – qui auraient dénoncé une situation inadmissible ?).
Toujours est-il que le plus haut représentant de l’Etat se déplace lui-même et que des mesures concrètes sont prises, même si elles sont de portée modeste.
« Une vive émotion a été provoquée par les lamentables conditions de vie des ouvriers nord-africains travaillant actuellement sur les voies ferrées.
Au mois d’août 1951 la Compagnie continentale des travaux publics a été chargée d’effectuer d’importants travaux sur les voies. Elle a engagé pour cela, outre un certain nombre d’ouvriers métropolitains, une soixantaine d’Algériens.
Les Nord-Africains ont pour habitude de consacrer à leur nourriture, à leur logement, à leur entretien une infime partie de leur salaire et d’envoyer le reste en Afrique du Nord, où les sommes s’accumulent et permettront au retour d’acquérir des terres et du bétail. Ils expédient les trois quarts de leur salaire et vivent avec le reste.
Le logement, ils ne le conçoivent que gratuit. La Compagnie a fourni des baraques, appartenant
à la SNCF et situées sur l’ancienne gare de triage à la Butte.
Le froid est venu. On a installé dans chaque baraque un poêle… Pour ne pas acheter de combustible, ils ont brûlé les planches et même les paillasses, si bien qu’ils couchent actuellement sur la terre. Pour la même raison d’économie ils ne mangent que du pain et boivent de l’eau.
A l’origine, ils étaient environ 60, mais beaucoup de leurs coreligionnaires, employés dans d’au-
tres entreprises et eux-mêmes sans abri, vinrent les rejoindre ».
Alerté par cette situation le préfet, accompagné de responsables des services de santé, du travail, de la Croix-Rouge, etc. vient sur les lieux.
« On ne peut s’empêcher d’être ému par la situation de ces malheureux accroupis autour d’un brasero qui crache sa fumée dans la baraque où l’air devient ainsi irrespirable.
La sous-alimentation a facilité le développement des affections pulmonaires et quatre en sont atteints. Un cinquième a une épaule démise. Aucun d’eux, cependant, ne consentait à se laisser soigner, et naturellement moins encore à être, hospitalisé. M. le Préfet prit alors une décision énergique. Une ambulance fut appelée. On y déposa les cinq malades et malgré leurs protestations on les conduisit à l’hôpital … Des mesures ont également été prises pour le logement. Une baraque en ciment qui se trouve sur un terrain SNCF à la Mouillère va être aménagée. L’autorité militaire a très obligeamment offert de fournir 40 lits en fer et 80 paillasses. Mais ce n’est là qu’une solution provisoire car il existe à Besançon 150 autres Nord-Africains employés par d’autres entreprises et qui couchent on ne sait où. Il n’est pas douteux qu’ils envahiront prochainement les baraques évacuées de la Butte et un nouveau problème se posera ».
1952 : Une série remarquable d’articles de portée nationale dans Le Comtois
Le 8 février 1952 Le Comtois inaugure une enquête consacrée aux « Nord-Africains en France » qui comportera pas moins de 8 longs articles. L’auteur Michel Collinet était un militant syndicaliste enseignant qui a publié notamment un « Essai sur la condition ouvrière (1900-1950) ». Il décrit une situation globale sans évoquer les dimensions locales de la question traitée. Voici la série des titres :
• 8 février : « Le drame des Nord-Africains transplantés, c’est qu’il n’a pas de toit et pas toujours du travail ».
• 9 février : « C’est la famine qui pousse les Nord-Africains vers la métropole ».
• 11 février : « Entre le travail et la déchéance ». Sous titre : « le Nord-Africain, même quand il travaille, reste dans cette marge où le prolétaire et le gueux se confondent ».
• 12 février : « La nuit d’un clandestin ». Sous titre : « Sans argent, sans papiers, c’est chez un compatriote que le Nord-Africain trouvera le plus souvent une paillasse et un bol de soupe ».
• 13 février : « Les privilèges de la misère » : Sous titre : « Lorsque le Nord-Africain réussit à obtenir un emploi stable et un foyer, il ne veut plus retourner dans son pays ».
• 14 février : « La tuberculose décime les travailleurs algériens ». Sous titre : « Promiscuité, sous-alimentation, travail malsain ».
• 15 février : « Le travailleur Nord-Africain n’est pas protégé contre la tuberculose ». Sous titre :
« Insuffisance de la prévention et des soins de convalescence font de l’Algérien de la métropole une proie facile pour le fléau ».
• 16 février : « Problème n° 1 : créer des écoles en Afrique du Nord ». Sous titre : « Moins de 10 % des enfants d’Algérie bénéficient de l’instruction primaire ». « Et le travailleur Nord-Africain illettré ne peut recevoir aucune formation professionnelle ».
Quand on sait que les quotidiens de l’époque n’avaient que 6 ou 8 pages, il est remarquable de constater que Le Comtois ait consacré d’aussi longs articles, occupant un tiers de page, avec des titres, couvrant trois colonnes sur six, à une étude
exhaustive d’un problème auquel très peu de gens s’intéressaient.
Une intervention de Jean Minjoz»
Le 31 mars Le Comtois publie une réponse du préfet à une lettre de Jean Minjoz qui lui avait demandé
« des éclaircissements sur les conditions de travail et le logement des Nord-Africains employés à Besançon par l’Entreprise continentale de travaux publics ».
Le préfet indique qu’il a obtenu la mise à disposition des ouvriers « d’un local en dur et des wagons désaffectés dans l’enceinte de la Mouillère en attendant la construction d’un centre d’accueil ».
Où loger le Centre d’accueil des Nord-Africains ?
Le 30 juillet 1952 La République rend compte des débats du conseil municipal. Il est clair que si tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut faire quelque chose, les élus se heurtent à des réticences des habitants des quartiers où une implantation est projetée.
« Plusieurs conseillers précisent que la population est effrayée, sans raison précise, de l’établissement de ce centre d’hébergement. Cet état d’esprit est un peu injustifié.
Le conseil demande que les services municipaux étudient la question et offrent un terrain… »
« Le conseil a voté récemment l’achat d’un baraquement devant être installé quelque part à Besançon afin de servir de Centre d’accueil aux Nord-Africains. La question principale est de savoir s’il existe un emplacement propice, or on n’en voit guère et un projet a déjà suscité de vives réclamations de la part des habitants du quartier choisi ».
Novembre 1952 : On travaille ferme à la construction d’un centre d’accueil
Sous ce titre Le Comtois fait état des travaux en cours. Il estime que les Algériens considèrent comme « l’entrée dans un paradis, l’occupation du baraquement de la gare de triage » et affirme
« qu’il est juste de se préoccuper du sort de ceux qui ont versé l’impôt du sang à la France ».
Des précisions sont données.
« L’hiver dernier, c’est dans des wagons à bestiaux que les Algériens se réfugiaient. Autour du feu que quelques cheminots avaient allumé, place leur était faite. Mais comme de grands enfants intimidés par la présence de blancs dont pourtant ils sont les compatriotes, les Algériens continuaient à grelotter dans l’ombre et le froid plutôt que de s’approcher du feu.
La baraque en bois fait 18 mètres de long, six de large, soit 100 m2. « Elle est assez haute pour permettre des couchettes superposées… On ne prévoit pas d’imposer un loyer. Ouvrir ce centre, c’est peut être une façon d’expurger la ville d’éléments que l’on juge à tort indésirables. Mais ce n’est pas en obligeant l’Algérien à vivre en marge de la société française qu’on lui permettra de mieux s’adapter à nos usages et de rendre les services qu’une France plus généreuse est en droit d’attendre de lui ».
1955 : Dans un contexte de guerre, la tension monte
« A Besançon les Nord-Africains témoignent d’une regrettable agressivité »
Tel est le titre du Comtois du 18 juillet 1955. Il est clair que l’insurrection déclenchée à la Toussaint 1954 a des répercussions dans la métropole : les divisions des Algériens entre les mouvements nationalistes rivaux provoquent des incidents tandis que les métropolitains s’inquiètent du sort de nos soldats et de la population d’origine européenne outre-Méditerranée.
Voici un extrait significatif de l’article :
« Jusqu’à présent les Nord-Africains logeant soit dans les casemates de Battant, soit à la Tour Carrée, hébergés par différents organismes municipaux, privés ou confessionnels n’avaient pas donné trop de soucis aux services de sécurité.
Mais voici que, soudainement, à l’instar des centres industriels importants, où la main-d’œuvre nord-africaine, quelquefois poussée par certaines agitations politiques, attaque manifestement les pouvoirs publics, les arabes témoignent d’une agressivité intempestive.
D’ores et déjà, nous espérons que des sanctions sévères seront prises à l’encontre des brebis galeuses que la majorité honnête des originaires d’Afrique du Nord réprouve vigoureusement. »
Le 23 août La République évoque une « véritable bataille rangée entre Nord-Africains à Besançon ».
Il est question de 150 participants « Les antagonistes utilisèrent couteaux et gourdins »… « La véritable cause des affrontements serait une rivalité existant entre membres de tribus différentes ».
Le lendemain le journal publie un article dont voici le titre :
Il est question de « nombreuses agressions » de la part de Nord-Africains dont des habitants de Battant sont les victimes.
Il est précisé qu’une délégation de 40 commerçants et habitants du quartier « est allée présenter ses doléances à la Préfecture » demandant que « les Nord-Africains soient logés dans un endroit moins populaire ». Conclusion du journal : « Nous ne voulons pas que soient mêlés à ces histoires les très nombreux Nord-Africains honnêtes et consciencieux travailleurs dont les chefs d’entreprise n’ont qu’à se louer. Paix aux paisibles ! Châtiments pour les méchants ! »
Sous ce titre, Le Comtois du 6 septembre évoque une spectaculaire intervention de la police faisant suite à la « répétition d’incidents qui avait déclenché une sorte de psychose, la ville baignait dans une atmosphère de peur généralisée ».
Cinq « îlots » furent cernés :
• Tour Carrée et casemates voisines
• Tour de la Pelote et casemates chemin du Fort Griffon et de Grand Charmont
• Rues de Vignier et Marulaz
• Baraquement des Ponts et Chaussées à Tarragnoz
• Baraquement de la gare de triage 600 « français musulmans » furent contrôlés. Une centaine de « suspects » furent transférés à l’Hôtel de Police pour interrogatoire. Il s’agissait de neutraliser un « noyau d’agitateurs » et de « racketteurs » prélevant des cotisations de soutien aux insurgés nationalistes en Algérie.
Le 8 septembre, nouveau gros titre « Seconde opération de ratissage déclenchée dans le Doubs ». Quatre « agitateurs notoires » sont expédiés à Alger par « avion cellulaire » étant inculpés d’attentat à la Sûreté intérieure de l’Etat.
Un fait divers révélateur
Le 23 novembre 1955 Le Comtois publie un article au titre sensationnel :
Le compte rendu expliquait qu’un Jurassien se rendant à son travail « remarqua une voiture engagée dans un pré et, à côté, un homme à demi assommé qui rampait sans pouvoir se lever ». La gendarmerie d’Arbois alertée recueillit le témoignage du blessé. Il déclara que deux Nord-Africains sous la menace d’un pistolet l’avaient agressé alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture rue des Chaprais. « Les deux individus intimèrent au chauffeur l’ordre de les conduire à Lyon. Mais en cours de route ils le forcèrent à quitter la grande route pour prendre un modeste chemin.
A l’arrivée dans un endroit désert, ordre fut donné de stopper la voiture, et le conducteur fut alors tabassé et détroussé d’une importante somme d’argent qu’il détenait ».
Le lendemain 24 novembre, coup de théâtre.
Que s’était-il passé ? Le journal explique que la prétendue victime d’une sauvage agression avait en réalité passé une nuit à jouer aux cartes avec des amis sans prévenir son épouse de cette absence. Craignant d’être fort mal reçu à son retour au domicile conjugal M. X, à la recherche d’un alibi, monta de toutes pièces une mise en scène. Il se rendit près d’Arbois, stoppa sa voiture, sortit, se frotta à des ronces qui lui griffèrent le visage et se posta au bord de la route pour attendre du secours…
La gendarmerie ne mit que peu de temps à démonter le stratagème. Convaincue d’incohérences dans ses explications, la pseudo-victime passa aux aveux… Entre temps, une quarantaine de gendarmes de plusieurs brigades avaient été mobilisés pour rechercher les pseudo-agresseurs.
La soi-disant victime fut inculpée « d’outrages à agents de la force publique »…
1956 : D’un fait divers révélateur à l’inauguration du Centre d’accueil
Les quelques lignes suivantes publiées par Le Comtois du 13 avril 1956 sont révélatrices.
« Le cadavre d’un Nord-Africain est découvert dans une casemate de Charmont. Ce Français musulman est mort d’un violent coup donné sur le crâne. La mort remonterait à un an ».
Ainsi, un homme pouvait disparaître sans que cela suscite enquête et recherches. C’est par hasard qu’un corps non identifié est découvert…
Enfin, le travail patient des bénévoles qui ont œuvré pour la réalisation du centre d’hébergement arrive à son terme.
Le bâtiment de l’avenue Clémenceau peut loger 250 travailleurs. Parlant au nom de l’association d’accueil l’abbé Chays déclare : « ce jour, nous l’attendions depuis 5 ans. Enfin, le scandale des casemates est terminé où rien n’y manquait : le froid, la boue, l’obscurité, la vermine ».
« Au nom de ses camarades nord-africains, M. Hamiar se fit l’interprète de la gratitude des bénéficiaires de cette réalisation ». Enfin, Jean Minjoz annonça que « dimanche prochain serait servi aux Nord-Africains de Besançon un couscous offert par la Ville ».
Le 3 septembre La République avait publié un article intitulé « Opération feu de joie au haut de Battant ». Il s’agissait de la destruction, décidée par la municipalité, du baraquement installé en haut de Battant et qui avait servi d’abri aux Nord-Africains avant l’ouverture du Centre.
Le reportage précise que « le feu fit sortir d’énormes rats », ce qui en dit long sur l’état des lieux où vivaient des dizaines d’hommes avant leur relogement.
Il est juste de rappeler que parmi ceux qui avaient œuvré pour la construction du Centre, nombreux étaient les militants qui n’entendaient pas seulement faire une bonne action, mais qui voulaient lutter contre un système d’exploitation particulièrement injuste.
1957 : Le Nouvel An au Centre nord-africain
Le 2 janvier Le Comtois publie le bref symbolique article suivant sous le titre « le Nouvel An au Centre nord-africain » : « Le Nouvel An au centre nord-africain selon une tradition maintenant établie et qui remonte au 1er janvier 1954. M. Minjoz, maire de Besançon, a présenté les voeux du Conseil Municipal et de la Municipalité aux travailleurs nord-africains.
Cette cérémonie consistait en une tournée aux différents points d’hébergement :
• Tour Carrée,
• Baraquements des Ponts et Chaussées,
• Casemate de Tarragnoz,
• Casemate du triage
• et Centre d’accueil.
Après quoi, il a offert le thé de l’amitié. »
Ainsi, au matin du 1er janvier, alors que beaucoup de Bisontins dormaient encore s’étant couchés tard après le réveillon, leur délégation d’élus allait souhaiter la bonne année aux Nord-Africains qui n’étaient pas tous logés au Centre d’accueil.
Cette sympathique tradition est sans doute née à l’initiative de l’adjoint Huot.
Elle s’est poursuivie jusqu’à la fermeture du Centre d’accueil en 1989. Notons qu’en 1957 Jean Minjoz était député-maire mais aussi membre du gouvernement en qualité de Secrétaire d’Etat au Travail et à la Sécurité sociale.
Après 1958, année 1962 : l’année de l’indépendance
Cette année est celle des accords d’Evian et de l’indépendance. Dans la phase ultime des négociations les tensions s’exaspèrent, comme le démontre cet article paru dans l’Est Républicain du 27 janvier 1962.
Quatre jours plus tard, nouveau titre « En décapitant l’organisation bisontine FLN la police aura évité deux assassinats ».
En février, la répression s’intensifie. Titre du 16
« 17 Nord-Africains de la région de Sochaux, Belfort, Besançon, condamnés à Dijon pour atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Le 18 mars 1962, les accords d’Evian sont signés. Des initiatives sont prises pour tisser des liens entre les deux rives de la Méditerranée.
Le 18 mai, annonce de la création à Besançon d’un « Front de solidarité et d’amitié ». Il a pour but de « venir en aide aux musulmans d’Algérie ». Son siège est à la Cité universitaire.
Le 4 juillet, l’Algérie est devenue indépendante. C’est un franc-comtois, M. Jean Marcel Jeanneney qui est nommé premier ambassadeur de France auprès de la Nouvelle République.
200 algériens se réunissent au Centre nord-africain, avenue Clémenceau pour célébrer l’événement.
Le bâtiment est décoré de guirlandes aux couleurs du nouvel Etat. Ce jour-là, nombre de travailleurs ne sont pas allés au boulot. L’un d’eux déclare : « c’est comme vous pour le 14 juillet ».
Parallèlement se pose le problème des harkis.
Les relations entre la France et l’Algérie mettront un certain temps à se normaliser. Le Consulat du nouvel Etat est ouvert à Besançon en 1969. Chaque année une réception est organisée pour la Fête nationale du nouvel Etat. Toutes les autorités de la Ville y sont invitées. Mais, dans les premières années, les notables n’acceptent pas (à l’exception de l’archevêque) d’être photographiés par la presse, car l’opinion demeure traumatisée par les événements récents. Et le jour retenu commémore le début de la rébellion à la Toussaint 1954, marqué par des victimes civiles européennes. Le choix de la date heurte les rapatriés. On sait aussi que du côté des Anciens Combattants d’Algérie, des polémiques très vives et non encore éteintes opposent les associations au sujet du jour à retenir pour marquer le souvenir des soldats français victimes du conflit (ils furent 249 dans le Doubs).
Extrait de « les Nord-Africains à Besançon », Dossier réalisé par Fatima Demougeot, Colette Isabey, Louis Martin, Joseph Pinard, Ville de Besançon juin 2007