Les travailleurs immigrés à Besançon, d’après le travail d’Aimée Bouilly en 1970

En 1970, Aimée Bouilly, étudiante à l’Université de Franche-Comté, rédige l’une des premières enquêtes sur les travailleurs immigrés en Franche-Comté et, plus précisément, au sein de la ville de Besançon.


Ce travail, minutieux et précurseur, s’appuie sur plusieurs supports. Tout d’abord des éléments statistiques constitués par les données démographiques de l’INSEE  de Dijon, le pourcentage d’immigrés dans la population active et leurs Catégories Socioprofessionnelles . Le second matériau, l’enquête sociale, permet de définir les conditions de vie des travailleurs immigrés.

Grâce à de nombreuses collaborations (Association d’Accueil aux Travailleurs Étrangers Migrants: A.A.T.E.M., animateurs au logement, à l’alphabétisation, Comité de Quartier de Planoise…), Aimée Bouilly établit les questionnaires qui seront diffusés au sein de la population active immigrée des quartiers d’Arènes et de Planoise à Besançon afin de « dégager les caractères socio-économiques propres aux étrangers, de mesurer la place qu’ils occupent dans les activités de notre ville, et de voir dans quelle mesure ils s’intègrent à la population bisontine » (p. 8 et 9 du mémoire d’Aimée Bouilly).

Ainsi, cette étude s’organise en deux grandes parties complémentaires qui reflètent les questionnements de l’auteur: pourquoi les étrangers viennent-ils en France? Comment vivent-ils leur nouvelle situation? Quelles sont les actions des services publics et de la population locale?
La première partie, économique, s’attache à la description des travailleurs immigrés, leur localisation dans le cadre bisontin et leurs activités productrices. La seconde partie, quant à elle, souligne les aspects sociaux du sujet en interrogeant les conditions de l’intégration des étrangers dans les structures sociales de la ville ainsi que les problèmes qui en résultent.


1) Les données de l’immigration
Après une première vague migratoire (XVIIIème et XIXème siècles) correspondant à une « immigration horlogère suisse » (p. 128), se succèdent les immigrations italienne, espagnole (du début du XXème siècle aux années 1960), puis portugaise et nord-africaine (dès 1950). Les étrangers constituent alors, en 1970, 5 à 6 % de la population bisontine. Parmi eux, nombreux sont les jeunes hommes, ruraux, ayant une faible connaissance de la langue française et peu préparés à affronter les rythmes de travail de l’industrie, la mécanisation et la société française (législation, modes de vie…). L’immigration, phénomène « récent » de l’histoire française, faisant face au manque de main-d’œuvre, s’inscrit dans la logique de l’essor industriel et voit se multiplier les migrants venus, essentiellement, des différents pays méditerranéens afin de trouver un emploi et un salaire.

Cette participation étrangère à la production bisontine devient alors importante et nécessaire. En effet, le secteur du bâtiment souffre d’une désaffection de la part des Français à cause de la mauvaise réputation des travaux demandés. Il n’est donc pas étonnant que 50 % des immigrés trouvent un emploi dans ce domaine. De même, l’industrie (Rosemont, Weill, Rhodia) emploie bon nombre de travailleurs immigrés même si l’offre y est moins importante. Néanmoins, dans ces deux cas, les étrangers sont destinés aux emplois les moins qualifiés (manœuvres, ouvriers spécialisés), c’est-à-dire les moins rémunérés. Aussi, leur promotion professionnelle reste très rare.

Cependant, ces arrivées posent des problèmes concrets dont le premier est celui du logement. Peu d’entreprises ont construit des foyers d’hébergement pour leurs travailleurs immigrés (Lhéritier, Simplot, Rosemont). C’est alors l’association privée A.A.T.E.M. fondée lors de l’hiver 1953-54 par Jean Carbonare, Henri Huot et l’abbé Chays qui assure la construction du premier foyer de travailleurs, bientôt rejoints par la Mairie de Besançon, les associations confessionnelles et le Ministère des Affaires sociales (foyer rue Clémenceau, foyer de Founottes, cité familiale des Montarmots, Amitié I et II…). Ces infrastructures logèrent, dans des conditions décentes, un millier de travailleurs immigrés et leurs familles (dont la plupart sont Algériens). De plus, les immigrés peuvent obtenir des logements dans les immeubles des nouveaux quartiers tel que Planoise. Malgré tout, ces mesures sont insuffisantes et encore beaucoup de travailleurs étrangers logent dans des immeubles vétustes voire insalubres; c’est le cas du quartier d’Arènes qui regroupe une forte concentration d’étrangers.


2) Les problèmes de l’intégration des immigrés dans la société d’accueil
De la même façon, ces conditions d’accueil participent aux problèmes de l’intégration des migrants dans la société française. L’intégration passe par l’économie bien sûr, par l’adaptation au travail, mais aussi par l’intégration sociale, l’adaptation à la vie quotidienne dans un nouveau milieu.

L’auteur remarque que la « participation des immigrés aux échanges sociaux et culturels de notre ville est faible » (p. 82). Les relations sociales des immigrés semblent alors closes sur elles-mêmes mais il existe plusieurs facteurs favorisant l’intégration des travailleurs immigrés. L’alphabétisation est un moyen de remédier à la barrière du langage qui touche notamment les immigrés nord-africains dont la langue maternelle reste éloignée des langues latines. Ces cours sont assurés par l’A.A.T.E.M., des bénévoles et par la mairie, dans les quartiers.

La vie de quartier, justement, est également un facteur de l’intégration des familles et célibataires étrangers. À travers l’exemple de deux quartiers, Aimée Bouilly montre que les lieux de vie sont une base importante à l’implantation des immigrés. Une cité nouvelle comme Planoise est plus favorable à l’intégration sociale; les étrangers y sont mélangés aux Français et y vivent dans les mêmes conditions. Au contraire, dans le quartier d’Arènes, les immigrés sont relégués dans des immeubles en mauvais état, dans les secteurs les plus dégradés. Les échanges avec les Français sont limités et l’intégration difficile. Dans les autres cités familiales de la ville, l’intégration est plus aisée pour une famille sédentaire dont les enfants sont scolarisés que pour des célibataires qui cherchent des repères connus auprès de leur communauté d’origine.

Enfin, le premier facteur d’inégalité des chances devant l’intégration sociale des travailleurs étrangers reste les différences d’origine culturelle. Selon les résultats des questionnaires et les enquêtes menées, l’intégration est plus facile pour les Espagnols, les Italiens et les Portugais aidés par la parenté des langues, les similitudes des modes de vie, la religion. L’opinion publique est plus partagée en ce qui concerne les Algériens à cause des différences plus grandes et de l’histoire commune conflictuelle.

Loin de toute systématisation, nous voyons que les travailleurs immigrés à Besançon dans ce début des années 1970 sont confrontés à des situations similaires dans le fond (langue, logement, intégration…) mais différentes sur la forme (durée et nature du séjour, stabilité familiale, présence ou non d’enfants, efforts face aux changements imposés par l’intégration, sociabilité et affinités culturelles). Malgré toutes ces difficultés, Aimée Bouilly souhaite, en guise de conclusion, que la ville développe et poursuive une action déjà bien initiée en faveur des travailleurs immigrés.

Résumé réalisé par Clarisse CATY
Diplômée du Master 2 en Histoire contemporaine et licenciée de Philosophie, Université de Besançon


Le mémoire d’Aimée BOUILLY : « les travailleurs immigrés à Besançon », diplôme de maîtrise de Géographie de la faculté des lettres de Besançon, octobre 1970, est disponible à la Bibliothèque Universitaire de Besançon.

Votre navigateur est dépassé !

Mettez à jour votre navigateur pour voir ce site internet correctement. Mettre à jour mon navigateur

×