Nous avons rencontré Khedafi Djelkhir au Service municipal des Sports, à Planoise, le 20 janvier 2009.
Le champion bisontin nous a parlé avec simplicité de la boxe et des leçons de vie que ce sport lui inspire.
Khedafi Djelkhir, né à Besançon, a été vice-champion olympique de boxe aux Jeux olympiques de Pékin en 2008, dans la catégorie poids plumes (57 kg).
Je suis né à Besançon, et je pratique la boxe depuis douze ans. Mon entraîneur depuis toujours est Wahib Nasri, qui est un ami de ma famille. Je suis né de parents étrangers, algériens. Ils sont issus de l’immigration. Mais leurs enfants sont nés sur le sol français. Je me considère comme Français, et aujourd’hui je trouve ça vexant quand on me demande « De quelle nationalité es-tu ? » Qu’on me dise « De quelle origine es-tu ? », je veux bien, mais aujourd’hui je ne pense pas être quelqu’un d’étranger , je sais m’exprimer en français, j’ai étudié en France, je remplis tous les critères pour être français. J’ai boxé pour la France, je boxe pour la France… C’est un peu frustrant qu’on me demande de quelle nationalité je suis. On ne demande pas à un « Pierre » ou un « Jacques » de quelle nationalité il est, mais un « Khedafi », on le lui demande ! C’est le petit truc qui me dérange un peu. Aujourd’hui, je me bats pour la France, j’ai boxé pour la France, j’ai pris des coups pour la France, j’ai donné des coups pour la France, et j’ai ramené une médaille pour la France. Et j’en suis fier.
Je n’ai pas commencé par la boxe, et j’ai fait pas mal de sports avant. J’ai commencé par le basket et… c’était pas terrible ! Je n’aimais pas trop, mais c’est ma mère qui me disait « Vas faire du basket parce que tu es tout petit, et il faut que tu grandisses ! » Ensuite, je suis passé au karaté, qui était un sport qui ne me plaisait pas non plus. Alors, je suis venu au foot ! J’en ai fait pendant pas mal de temps, et ça m’a déplu. Parce que je m’investissais énormément dans le sport alors que j’étais encore très jeune. Et le samedi ou le dimanche matin, lorsqu’il fallait se lever pour aller au match, les autres joueurs n’étaient pas là… Alors on annulait le match parce qu’on n’était pas assez. C’est ce qui m’a décidé à m’orienter ensuite vers un sport plus individuel, la boxe, avec mon entraîneur qui a fait un gros travail. Il a décidé de monter sa salle de boxe. J’y suis allé un jour et, au fil du temps, j’ai apprécié cette discipline, qui m’a beaucoup apporté.
J’ai découvert la boxe sur le tas. Grâce à ce sport, j’ai énormément appris pour la vie « active », parce que, à travers le sport, on découvre beaucoup de choses similaires : les difficultés que l’on doit surmonter se ressemblent, que ce soit dans le sport ou dans la vie de tous les jours. En compétition, quand on tombe, il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer à s’entraîner, dur, dur, dur, et on finit par avoir gain de cause. Il y a beaucoup de points communs entre la vie et le sport.
On utilise souvent le sport pour faire passer un message, et c’est beaucoup plus facile pour la jeunesse d’aujourd’hui d’entendre un message à travers le sport plutôt que de d’écouter quelqu’un qui lui fait la morale. Le sport a valeur d’exemple pour les jeunes et pour les moins jeunes aussi. Le sport, c’est le respect de l’adversaire, le respect de l’autre.
Avec la boxe, on touche là à un sport très difficile. C’est un sport de percussion, on prend des coups. On acquiert beaucoup d’humilité. Et c’est ça qui fait la beauté de ce sport. Il existe dans la boxe des sportifs qui prennent la grosse tête, mais au fond d’eux ils le savent : prendre des coups, c’est pas humain, l’être humain n’a pas été fait pour prendre des coups, ni pour en donner d’ailleurs. Mais voilà : c’est à travers cette difficulté-là que l’on prend conscience des choses très rapidement.
Dans la boxe, il y a un règlement à respecter. Dans un combat de boxe, on voit deux bonshommes qui se tapent dessus – je grossis la chose –, ils se tapent dessus mais à la fin du combat il y a une accolade. Il n’y a pas forcément des millions en jeu. Voilà, il y a une accolade, il n’y a pas de haine. Et pourtant le but, au début, c’est de faire mal à son adversaire. Mais regardez le foot, un sport extrêmement médiatisé, avec beaucoup d’argent en jeu. Ce qu’il faut, c’est marquer des buts, et pourtant on voit des coups qui marquent un manque de respect de l’adversaire. On peut dire que la boxe est un sport violent, d’accord, mais il y a moins d’incidents sur un ring que sur un match de foot, à cause du règlement, et parce que le boxeur a une grande humilité, contrairement à d’autres sportifs qui, eux, ne prennent pas de coups. C’est le fait de prendre des coups qui nous fait prendre du recul.
Je n’ai pas vraiment d’icônes. Je m’inspire de sportifs, d’hommes, surtout, j’attache beaucoup d’importance à la valeur des hommes. Qu’on soit sportif ou pas, on peut m’apprendre beaucoup de choses aujourd’hui. Quelqu’un qui est respecté parce qu’il respecte les autres… Vous savez, mon père, paix à son âme, m’a dit avant de mourir : « Mon fils, si tu veux te faire respecter, il faut que les gens t’apprécient. S’ils te respectent par ta force, un jour ta force va partir, et ils ne te respecteront plus. » La moralité de l’histoire est qu’il nous faut garder de bons contacts avec les gens, et qu’ils nous respectent par ce que l’on véhicule, par notre valeur d’homme. Quel que soit le sportif, quelle que soit la personne, qu’elle soit médiatisée ou non, je m’inspire de tout.
Mon statut a changé depuis que j’ai cette médaille olympique. Je le ressens aussi à travers les jeunes, les moins jeunes et même les personnes plus âgées. Ce qui m’a le plus surpris quand je suis revenu des Jeux à Besançon, c’est qu’il y avait des jeunes, des moins jeunes et des personnes très âgées qui sont venus et qui m’encourageaient, qui m’ont remercié de les avoir fait vibrer tout au long de cette olympiade, et ça m’a touché énormément. Aujourd’hui, c’est vrai que j’ai un nouveau statut, je l’assume, et je suis prêt, moi, à aider. Si cette médaille peut me faire progresser et si avec ça je peux emmener une vague de jeunes avec moi, je le ferai avec grand plaisir, et c’est ce que j’essaie aujourd’hui à travers mes projets personnels.
Grâce au sport, que vous soyez de parents immigrés ou pas, on vous considère, on vous donne plus d’importance. Aujourd’hui, si j’étais seulement Kedhafi Djelkhir sans médaille olympique, sans être entré en équipe de France, je pense – et je ne pense pas me tromper en disant cela – que je ne serais pas considéré de la même façon par certaines personnes. Heureusement pour moi, il y a des personnes qui sont bien et qui ne changent pas, mais je sais aussi que pas mal de monde de mon entourage change en fonction de mon statut.
J’ai le projet de créer une académie de boxe à Besançon, qui touchera plus particulièrement les Franc-Comtois. Cette académie sera bien sûr ouverte à tout le monde, mais les six premiers académiciens seront pris en charge. Le but est bien sûr d’emmener ces jeunes, d’un point de vue sportif, vers des entraînements très personnalisés, très individualisés, pour les aider à franchir une étape, et de les accompagner au niveau scolaire. C’est un double projet, c’est ce dont moi j’ai bénéficié pendant pas mal d’années. C’est aujourd’hui ce que j’ai envie de faire à l’échelle régionale, en proposant aux Franc-Comtois et aux Bisontins un suivi sportif et scolaire. En parallèle, dans mon club qui est le Besançon Ring Athlétique, on travaille beaucoup avec les jeunes à développer la discipline.
Aujourd’hui, on ne recherche pas forcément des sportifs de haut niveau, on recherche des personnes qui veulent juste s’épanouir à travers le sport, se faire plaisir, et bien entendu cela va créer des liens, dans tous les milieux sociaux. J’ai pour objectif de toucher tous les milieux, modestes, plus aisés, afin qu’ils puissent, à travers l’association, échanger, discuter, partager.
En France, tout le monde aujourd’hui apprécie la boxe, tout le monde. Les gens se déplacent pour aller regarder les grandes soirées de boxe. Je pense que la boxe a toujours plu, qu’on a toujours aimé la boxe. Mais parfois la boxe a été mal encadrée. Elle manque d’éducateurs sportifs, et c’est ça qui a fait peur à pas mal de gens, qui n’ont pas pu pratiquer cette discipline. Quand vous voyez un éducateur sportif qui est prêt à mettre un jeune en danger, à ce moment vous vous dites que vous n’allez pas envoyer votre enfant faire de la boxe. Mais si vous voyez que cet éducateur sportif est rassurant et sait de quoi il parle, à ce moment-là vous êtes tranquillisé et vous l’envoyez. Un jeune, ce n’est pas au niveau de sa première licence que l’on sait qu’il va devenir champion, c’est au fil du temps, bien entendu. Les jeunes de quartier pratiquent la boxe plus que d’autres, ce monde-là ne leur a pas fait peur, et ce sont eux qui aujourd’hui portent cette discipline.
Lorsque j’étais aux Jeux, nous étions tous là, de cultures différentes, de pays différents, de couleurs différentes, et on s’entendait très bien. Tout allait bien. On mangeait tous pareil, on se baladait, on échangeait, c’était ça la beauté des Jeux. Et c’est grâce à quoi ? Grâce au sport. On ne peut pas avoir un monde pareil, où tout le monde serait heureux comme on est aux Jeux ? Vivre la même chose à l’échelle mondiale, à l’échelle planétaire. On ne peut pas l’avoir ? Parce que je ne regarde pas si c’est un Chinois, si c’est un Black, un Arabe. Je ne calcule pas. C’est un sportif et je le considère comme tel. Mais dans la société dans laquelle on est aujourd’hui, on se met des limites. Je pense que c’est un manque d’intelligence, il faut surmonter ces épreuves-là, il faut passer ces barrières et passer à autre chose. Avec le sport, aux Jeux, il n’y a pas ce genre de problèmes.
Au retour de Pékin, je suis rentré à la maison, et volontairement, je n’ai dit à personne quand je revenais à Paris. Parce qu’on voulait m’envoyer une voiture avec chauffeur, et tout. J’ai seulement prévenu deux de mes amis qui sont venus à Paris. On a passé la nuit à Paris, ensuite ils m’ont ramené chez moi. Ma famille m’attendait, bien entendu, très heureuse. Et lorsqu’ils m’ont vu, tout fatigué avec mes sacs et tout, ma maman, mes frères et sœurs sont tombés en larmes. Tout le monde pleurait comme ça, mais de joie. J’ai pas l’habitude de voir tout le monde pleurer, et lorsque je les ai vus, moi aussi j’ai laissé tomber quelques larmes. C’était des larmes de joie, comme pour dire : voilà, la pression est retombée, j’ai réussi, on l’a fait et on vient de loin. On sait d’où on est partis et on sait aujourd’hui où on est arrivés. En quelque sorte, leurs larmes, c’est ce qu’elles voulaient dire : je sais que tu as galéré pour arriver à cette médaille d’argent, on sait le travail que tu as fait, et c’est pour ça qu’ils ont pleuré parce qu’ils étaient contents.
Je vais passer professionnel. C’est la suite de la boxe amateur. Je l’ai décidé parce que la boxe est une passion avant tout. J’espère un jour devenir champion du monde, et bien sûr vivre de la boxe. Aujourd’hui, je ne vis pas de la boxe, je vis de mon emploi d’éducateur sportif à la Ville de Besançon. La boxe met un peu de beurre dans les épinards, et je vis ça comme un plaisir. J’aimerais atteindre les objectifs que je me suis fixé, et j’ai ma sécurité, qui est mon emploi. J’ai vingt-cinq ans et je m’attache aux choses essentielles, et aujourd’hui l’essentiel, c’est ma stabilité. J’ai envie de stabilité, et d’avoir un emploi, et l’emploi sûr, c’est Besançon.
Son site officiel: www.khedafi-djelkhir.com
Film de Philippe B. Tristan, 2009.
Algérie
Besançon, France