Exposition Bourgogne-Franche-Comté, Présence des Suds

INTRODUCTION

L’enjeu est de faire connaitre l’histoire de l’immigration aux habitants du territoire et d’opérer une sensibilisation à la lutte contre les discriminations notamment la lutte contre le racisme et l’antisémitisme avec des outils éducatifs d’accompagnement de l’exposition. 

La relation entre la Bourgogne Franche-Comté et les espaces ultramarins commence lorsque les villageois de Champagney en Haute-Saône et de Toulon-sur-Arroux en Saône-et-Loire réclament en 1789 dans leurs cahiers de doléances l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Elle se poursuit par l’incarcération, en 1802, au fort de Joux dans le Doubs et la mort, l’année suivante, de Toussaint Louverture, qui amorça le processus d’indépendance d’Haïti. Des troupes venues des colonies sont également présentes dans la région lors de la guerre de 1870. Par ailleurs, dans ce dernier tiers du XIXe siècle, l’apport de main-d’œuvre étrangère, pour l’heure à caractère essentiellement frontalier, s’intensifie, nourri par un flux en provenance de Suisse, ancré sur la longue durée, et stimulée par les conséquences de la perte de l’Alsace-Lorraine. À l’orée du nouveau siècle, les ailleurs et les influences migratoires et coloniales ont donc déjà fait de la région un espace de croisement et d’ouverture au monde, d’autant plus qu’en 1896, le docteur Philippe Grenier, élu de Pontarlier, devient le premier député musulman de l’Assemblée nationale.

Dès la Grande Guerre, des ouvriers coloniaux et chinois arrivent en Bourgogne Franche-Comté, et y demeurent pour certains après l’Armistice. Le véritable essor des migrations de travail en provenance des Suds se produit, néanmoins, après 1945 pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des Trente Glorieuses, alors même que l’on constate parallèlement l’arrivée d’étudiants et de rapatriés en lien avec les espaces coloniaux. Initialement en majeure partie issus d’Algérie, le flux de travailleurs non-européens se diversifie, à partir de la fin des années 1960, à la faveur de recrutements effectués principalement au Maroc ou en Turquie. Ces hommes seuls sont bientôt rejoints par leurs femmes et enfants à la suite de la suspension en 1974 de l’immigration de travail et l’accélération du regroupement familial. Loger célibataires et familles constitue alors, pour les entreprises et les pouvoirs publics, un défi, qu’ils auront du mal à relever.

La crise économique, consécutive au choc pétrolier de 1973, affecte durement les bassins industriels de la région et engendre un net mouvement de reflux de la population immigrée réduite au chômage. À partir des années 1980, les jeunes issus de l’immigration postcoloniale tentent de se faire entendre dans l’espace public et le tissu associatif se densifie. L’arrivée, dès la décennie précédente, de réfugiés ou de demandeurs d’asile venus du Sud-Est asiatique ou d’Afrique élargit le paysage migratoire, alors que les Chibanis se retrouvent, souvent seuls, dans les foyers après une vie de labeur. Le chômage, les discriminations et la ségrégation scolaire et urbaine, qui touchent très souvent les populations issues de l’immigration, sont des enjeux contemporains fondamentaux auxquels la société doit se confronter.

Si cette histoire a encore trop souvent du mal à faire mémoire localement, elle se diffuse néanmoins au cours des années 2000 à travers un processus de patrimonialisation diffus et s’affirme dans la vie culturelle. En 2014, la Bourgogne-Franche-Comté compte cent soixante quinze mille immigrés, soit 6,2% de la population régionale.

1. Le temps de l’exotisme (1870-1913)

Dans le dernier tiers du XIXe siècle et à la Belle Époque, dominent en Bourgogne Franche-Comté des flux migratoires frontaliers en provenance de Suisse ou d’Alsace-Lorraine annexée par les Allemands, que complète l’arrivée de Méditerranéens : maçons et terrassiers italiens, parfois confrontés à l’hostilité des autochtones, ou commerçants de fruits et légumes d’origine espagnole. La région est également un lieu de passage pour les nombreux étrangers se dirigeant vers Lyon ou Paris et leurs périphéries. Parallèlement, le développement par la IIIe République d’un vaste Empire colonial favorise les premiers contacts avec les populations originaires des outre-mer à l’occasion des conflits, des manifestations patriotiques ou des expositions locales. Lors de la Guerre de 1870, les tirailleurs algériens ou Turcos participent à la bataille de Montbéliard et marquent les imaginaires des populations de la région.

À partir de la fin du XIXe siècle, les relations intenses avec l’espace colonial s’illustrent par la création des Expositions universelles à Paris (1878, 1889 et 1900) ou des Expositions coloniales (comme celle de Lyon en 1894), qui développent la mode des exhibitions ethnographiques. On pense notamment aux villages noirs présentés à Dijon en 1898, à Lons-le-Saunier en 1905, mais aussi à celui de l’Exposition nationale d’Auxerre en 1908, qui tous suscitent le vif intérêt des populations locales, qui sont prêtes à payer un droit d’entrée supplémentaire pour profiter de cette attraction nouvelle au fort parfum d’exotisme. Dans le même temps, l’Orientalisme s’incarne à travers la figure du docteur Philippe Grenier, premier député musulman de l’histoire de France, élu en 1896 par les très catholiques électeurs de Pontarlier. C’est aussi des États-Unis qu’arrive une nouvelle forme de spectacle. Des encarts de presse annoncent ainsi le passage, en 1896 à Dijon puis à l’été 1905 dans l’ensemble de la région (Belfort, Vesoul, Besançon, Lons-le-Saunier, Dijon, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Le Creusot, Nevers, Auxerre et Sens) du Wild West Show de Buffalo Bill. Ces Indiens, artistes japonais, danseurs marocains et animations de cirque attirent un vaste public. L’exotisme colonial affleure également sur de nombreuses enseignes de boutique et affiches publicitaires vantant les mérites des produits coloniaux à grands renforts des stéréotypes les plus divers.

En parallèle, les Établissements Schneider du Creusot accueillent, avec les honneurs protocolaires dus à leur rang, des monarques et visiteurs de marque venus de Chine, du Japon, de l’Empire ottoman, de Perse ou des colonies françaises, comme par exemple en 1904 le sultan du Maroc. Ils cherchent tous à moderniser leurs armées à la veille d’un conflit qui s’annonce comme mondial.

Focus 1 :

L’exposition nationale d’Auxerre (1908)

À Auxerre, le village noir, garni d’un café maure et de ses ateliers artisanaux est installé sur la petite place de l’Arquebuse et non, comme à Dijon en 1898, au sein de vastes espaces de promenade. Il s’agit d’un endroit clos ceint d’une palissade. La troupe, mandatée par la municipalité auprès de Ferdinand et Marie Gravier, arrive le 11 juillet à la gare d’Auxerre. Elle se compose de vingt-six « Soudanais » (Mali actuel) originaires de Tombouctou, de trois Marocains, de sept Touaregs algériens et de six Ouled Naïl, accompagnés d’Abd-el-Kader Ridane, le chef de village d’origine algérienne. Ces hommes, femmes et enfants quittent l’Yonne, le 31 août, pour Autun où ils vont se produire pour quelques semaines.

Focus 2 :

Le docteur Philippe Grenier (1896)

Né en 1865 à Pontarlier, Philippe Grenier est le fils d’un militaire établi en Algérie où il passe son enfance. Après des études secondaires à Besançon et supérieures à Paris, il devient médecin. Lors d’un voyage à Blida, il se convertit à l’islam et effectue le pèlerinage à La Mecque. En 1896, à la faveur d’une législative partielle, il est élu député du Doubs. Durant son unique mandat, il porte la tenue traditionnelle (burnous) et pratique sa foi ce qui lui vaut de nombreux articles et unes de la presse nationale, qui l’accusent tantôt de « posséder un harem », tantôt de « baiser le tapis » de l’entrée de la Chambre des députés.

Panneau 3 :

Appel à l’Empire, appel aux Alliés (1914-1918)

Texte de 2839 signes

Durant la Première Guerre mondiale, la Bourgogne Franche-Comté est située en retrait du front et constitue un lieu privilégié de casernement, d’entraînement ou de repos pour les soldats coloniaux. Engagée dès 1914 dans les durs combats de la Marne puis ceux de l’Artois, la division marocaine passe l’été 1915 dans le nord de la Franche-Comté où, tout en se reconstituant, elle reçoit les honneurs de personnalités militaires et civiles. Cette présence des troupes coloniales marque fortement les imaginaires. En effet, un tableau de l’artiste Paul Michel Dupuy met également en scène, deux ans plus tard, le cantonnement des tirailleurs sénégalais à Chavannes-les-Grands dans le Territoire de Belfort. Tout au long du conflit, l’héroïsme de ces combattants, leurs exploits et les journées patriotiques continuent d’imprégner localement les esprits. Avec l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, des régiments, notamment composés d’Africains-Américains,  stationnent temporairement ou plus durablement dans la région. Le 370e RIUS fait ainsi profiter durant quelques semaines la population de Grandvillars de sa fanfare, alors qu’à Is-sur-Tille naît un important camp logistique engendrant la construction d’une nouvelle gare. En outre, parmi la vingtaine d’hôpitaux américains construits en France durant le conflit, plusieurs l’ont été dans la région : à Beaune et Allerey-sur-Saône en Côte-d’Or ou à Mesves-sur-Loire et Mars-sur-Allier dans la Nièvre.

Des travailleurs coloniaux (principalement maghrébins et indochinois) et des recrutés sous contrat chinois apportent également leur force de travail dans les mines de Ronchamp, Blanzy ou La Machine, ainsi que dans les usines métallurgiques du Nord Franche-Comté, à la poudrerie de Vonges en Côte-d’Or ou au sein des Établissements Schneider au Creusot. On les retrouve par ailleurs dans les forêts du massif jurassien, comme d’autres bûcherons italiens, canadiens, américains ou russes, mais aussi occupés à la construction et la réfection de routes. Ces ouvriers sont particulièrement suivis et contrôlés car les autorités souhaitent limiter au maximum leurs interactions avec les populations locales. Dès leur arrivée à Marseille, ils font l’objet d’un encartement, réservé avant la guerre aux seuls nomades, et leur liberté de circulation est restreinte. Malgré cela, les autochtones connaissent alors un premier contact avec les coloniaux, notamment sur le monde du travail, qui se poursuit après-guerre. Ces quatre années de conflit ont finalement rendu plus proches des ailleurs jusqu’alors méconnus. Belfort, dernière gare avant le front, reçoit ainsi plusieurs hôtes de marque, dont, en décembre 1918, l’émir Fayçal, compagnon de Lawrence d’Arabie et futur roi d’Irak, dont les serviteurs sont habillés de « brillants costumes orientaux » et portent poignards et carabines.

Focus 1 :

La division marocaine (1915) 

Après s’être illustrée dans les combats de la Marne et de l’Artois, la division dite marocaine composée pour moitié de soldats européens et pour moitié de soldats maghrébins passe, à l’été 1915, quelques mois de repos et d’entraînement dans le nord de la Franche-Comté. Elle est alors passée en revue par le général Joffre le 14 juillet à Bussurel, près d’Héricourt en Haute-Saône, puis par le général Lyautey, mais aussi par Raymond Poincaré, le 13 septembre dans la plaine de Chaux au nord de Belfort. Lors de cette cérémonie — précédant de quelques jours le départ pour la Champagne —, le président de la République galvanise les troupes et remet drapeaux ou palmes aux différents régiments.

Focus 2 :

Les travailleurs chinois (Le Creusot)

Les Établissements Schneider au Creusot se tournent vers la main-d’œuvre étrangère et font notamment appel aux travailleurs chinois qui arrivent sous contrat en France à partir de 1916-1917 pour servir les armées françaises, anglaises puis américaines. Le Creusot devient une véritable « tour de Babel » avec, en mai 1917, six cent soixante quinze Kabyles, cinq cent vingt-huit Chinois, deux cent soixante-deux Portugais, deux cents Grecs, cent soixante huit Espagnols, cent vingt Serbes… Au printemps 1918, alors que le nombre de Kabyles a été divisé par trois, l’effectif des Chinois a plus que triplé pour atteindre mille sept cents individus, soit l’une des plus importantes communautés en France à la fin du conflit.

Citation : « Les troupes de la Division marocaine débarquèrent à la gare de marchandises [de Montbéliard] (…) Nos rues s’égayèrent du fourmillement multicolore des uniformes kakis, des chéchias rouges, des capotes bleu de ciel.  » (juillet 1915)  Julien Mauveaux, Montbéliard pendant la guerre pour la liberté du monde 1914-1918, Paris, Honoré Champion, 1920, t. 1 p. 89-90 

Panneau 4 :

Le temps des immigrations (1919-1929)

Texte 2813 signes

Au lendemain de la Grande Guerre, dans un contexte de crise démographique aggravée par les conséquences directes et indirectes du conflit, la Bourgogne Franche-Comté connaît une nette progression de l’immigration. Les Italiens dépassent désormais les Suisses, alors que des flux en provenance d’Europe centrale s’affirment. Des conventions d’immigration sont en effet signées par la France avec les pays de départ comme la Pologne ou la Tchécoslovaquie et on assiste à l’ouverture sur place de bureaux de recrutement, alors que dans la Rhur se produit parallèlement un intense débauchage de main-d’œuvre polonaise à destination des mines. En 1924 voit le jour la Société générale d’immigration afin de rationnaliser les initiatives prises antérieurement et accélérer les arrivées. Quelques milliers de travailleurs coloniaux et chinois, demeurés dans la région après l’armistice, travaillent alors à Peugeot-Sochaux, à la Société Métallurgique de Montbard-Aulnoye ou pour le compte des Établissements Schneider soit au Creusot soit à la mine de La Machine dans la Nièvre. Au Creusot se trouvent, en plus des travailleurs sous contrat recrutés en cours de conflit, des étudiants-ouvriers chinois arrivés après-guerre, dont le jeune lamineur Deng Xiaoping, alias Teng Hi Hien, qui n’y passe que trois semaines en avril 1921. L’immigration des Suds se manifeste également par la présence de marchands ambulants chinois et autres « vendeurs à la balle » algériens, qui sillonnent la région.  Face à ces nouvelles immigrations, il n’est pas rare de voir éclater des rixes entre ouvriers locaux et allogènes.

Ces hommes demeurent très majoritairement célibataires et logent dans des cantonnements, le plus souvent de simples baraquements préfabriqués en bois, vastes dortoirs, parfois entourés d’un mur d’enceinte. Cette mise à l’écart, selon une logique coloniale, traduit la crainte des pouvoirs publics vis-à-vis des rencontres entre indigènes et métropolitains et, en particulier, la volonté d’éviter les mariages mixtes avec de jeunes femmes françaises. Plus la décennie avance et plus on assiste à un reflux, notamment après 1925-1928. Les coloniaux deviennent des « indésirables » — comme s’attache à le démontrer le géographe Georges Mauco — et les étrangers européens des « métèques ». Les départs de travailleurs étrangers ou coloniaux sont désormais plus nombreux que les entrées sur le territoire. La Bourgogne comme la Franche-Comté sont alors des territoires d’entre-deux en matière d’immigration. Leurs départements réciproques ne sont ni dans les dix départements les plus attractifs de France, ni dans les dix départements qui en comptent le moins. C’est dans ce contexte que s’annoncent le krach de 1929 et la crise mondiale, et que le nombre d’étrangers décroît rapidement dans les années suivantes.

Focus 1 :

La mine de La Machine

Appartenant à Schneider et approvisionnant son usine du Creusot, la mine de charbon de La Machine recrute en 1919 deux cents manœuvres chinois et en occupe encore une centaine en 1921 contre à peine la moitié, trois ans plus tard, alors que les Maghrébins passent de près de trois cents à soixante-dix en une décennie au profit d’une arrivée importante de Polonais, dont l’effectif culmine à 700 en 1930 avant de décroître fortement avec la crise. Le profil migratoire change donc en profondeur. Ces hommes, presque tous célibataires, sont logés dans des baraquements en bois au camp des Glénons. Rares sont ceux qui feront souche dans la région, à l’instar d’André Tchang arrivé en 1923 après s’être marié avec une Française qui lui donnera treize enfants.

Focus 2 :

Le géographe Georges Mauco et les « indésirables »

À la fin des années 1920, le discours sur les « immigrés indésirables» devient un discours courant en France. En 1928, Georges Mauco entreprend une thèse de doctorat sur les étrangers en France. Il en fera un livre en 1932 au fort retentissement. De facto, depuis 1924, la liberté de circulation entre les départements d’Algérie et la métropole est remise en cause. Plusieurs affaires font surgir l’image du « clandestin », et en avril 1928, la réglementation se durcit, les travailleurs coloniaux d’Algérie devront produire une carte nationale d’identité. Puis ce sera la tour des travailleurs d’AOF. Avec la crise de 1929, s’achève une époque.

Panneau 5 :

La crise des années 1930 et les invisibilités (1930-1939)

Texte 2681 signes

La récession économique qui frappe la France à partir de 1931 est synonyme du renvoi massif dans leur pays d’origine d’ouvriers venus d’ailleurs, et notamment des travailleurs coloniaux. La loi du 10 août 1932 « protégeant la main-d’œuvre nationale » a pour objectif de limiter l’emploi des travailleurs étrangers, et la Bourgogne Franche-Comté perd en quelques années plusieurs milliers de ces derniers. La présence de coloniaux et Chinois, en net repli depuis 1925, confine désormais à l’invisibilité et une image d’« indésirables » leur est de plus en plus associée. Certaines trajectoires témoignent certes de stratégies de reconversion dans l’agriculture voire dans le petit commerce et artisanat, afin de continuer à travailler dans la région. Mais les conditions de vie de ces travailleurs sont de plus en plus difficiles et les tracasseries administratives se multiplient afin de les inciter à rentrer chez eux après parfois de nombreuses années passées en métropole.

Avec l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931, qui se déroule au bois de Vincennes et au palais de la Porte Dorée, actuel musée national de l’histoire de l’immigration, l’outre-mer est à la mode. La même année à Beaune en Côte-d’Or est présentée au public une troupe de « Négresses à plateau », précédemment exhibée dans la capitale au Jardin d’acclimatation. Cet exotisme colonial est d’ailleurs présent au quotidien dans les rues de la cité beaunoise sur les devantures des magasins, comme celui vendant des vêtements et arborant l’inscription « Au Nègre ». Une présence militaire subsiste également, car des villes de garnison, proches des frontières de l’Est, accueillent des régiments coloniaux. Créé à Fès en 1927, le 8e régiment de tirailleurs marocains s’installe à Belfort en 1935 après un bref passage dans le Sud-Ouest. Exhibés en bel uniforme lors des commémorations patriotiques, ces « indigènes » sont au quotidien de plus en plus assimilés à des fauteurs de trouble à l’encontre desquels sont par exemple pris des arrêtés prohibant la vente « des spiritueux, liqueurs et boissons alcooliques, y compris vin et bière ». Pourtant plusieurs militaires marocains font, dans le même temps, les beaux jours de l’US Belfort et de l’équipe de France de cross-country.

En 1939, dans un contexte de crise politique et de rejet de l’immigration, les réfugiés espagnols affluent jusqu’en Bourgogne Franche-Comté, chassés de leur pays par la défaite républicaine dans la guerre civile. Ils sont rejoints par des tirailleurs et travailleurs indochinois, puis par d’autres combattants venus de tout l’Empire à partir de septembre 1939 avec l’entrée en guerre de la France face à l’Allemagne.

Focus 1 :

Parcours et reconversion du travailleur marocain Ahmed Ben Lhassen

Ahmed Ben Lhassen, sujet marocain, est né en 1896 à Mogador, soit une quinzaine d’années avant l’établissement du protectorat français en 1912. Il arrive en France en avril 1922 au sein d’un groupe de travailleurs de même origine, destiné à l’usine Peugeot de Sochaux dans le Doubs. Il n’y reste que 10 mois, puis réside brièvement à Belfort sans avoir de travail, avant de rejoindre Carcassonne. Il revient néanmoins pour la suite à Belfort pour occuper des postes de manœuvre dans différentes entreprises, dont Alsthom, mais aussi au sein du secteur des travaux publics. En temps de crise, il se reconvertit enfin en domestique de culture pour renouveler ses papiers et demeurer en France.

Focus 2 :

Tirailleurs marocains et sportifs

Arrivés à Belfort en 1935, les tirailleurs du 8e RTM constituent l’ossature de l’US Belfort et, dès l’année suivante, le Marocain Bouali, âgé de 23 ans, bat tous les favoris et devient champion de France de cross-country, intégrant l’équipe nationale. En 1938, les Marocains remportent le championnat de France militaire par équipe et leur leader El Ghazi se classe second, tout en décrochant sur piste les titres de champion de France civil et militaire du cinq mille mètres qu’il conserve tous les deux l’année suivante.

Panneau 6 :

De la mobilisation à la Libération (1940-1945)

Texte 3201 signes

Dès le début des hostilités, les troupes coloniales notamment du Maghreb et d’AOF sont mobilisées et acheminées en métropole. Ayant pris part à la bataille de France, ils sont faits prisonniers lors de la débâcle et pour certains exécutés par les Allemands, en mai et juin 1940, notamment à Châtillon-sur-Seine en Côte-d’Or ou Clamecy et Oisy dans la Nièvre. Ces massacres racistes des combattants coloniaux ont profondément marqué les imaginaires du conflit et les populations locales. Les soldats d’Indochine, des Antilles, du Maghreb ou d’AOF sont ensuite maintenus prisonniers en France, car les Allemands ne veulent pas de « coloniaux sur le sol du Reich ». Ces Frontstalags sont situés en zone occupée, comme par exemple à Fourchambault, Joigny, Saint-Florentin, Auxerre, Dijon-Longvic, Besançon, Belfort ou Vesoul. À partir de la fin de l’année 1942, ces camps passent sous l’autorité des soldats français, alors que la propagande vichyste se développe. Détachés ou non à divers travaux à l’extérieur du camp, des prisonniers en profitent pour s’évader et rejoindre la Résistance. En Morvan, aux confins de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de l’Yonne, le maquis Vauban compte dans ses rangs quelques Nord-Africains, dont certains sont morts en déportation.   

Tout au long de ces années, les flux migratoires sont certes stoppés, mais des ouvriers non spécialisés indochinois (arrivés en 1939 pour soutenir l’effort de guerre), vivant dans des camps et organisés sur un mode militaire, travaillent dans l’industrie, l’agriculture ou le forestage, comme à La Ferté en Saône-et-Loire. Des travailleurs venus du Maghreb sont aussi présents en Bourgogne Franche-Comté, à l’instar des Marocains employés à Montchanin. Débarquée en Provence le 15 août 1944, l’armée de Lattre de Tassigny, future 1ère Armée française, composée de nombreux soldats coloniaux, remonte la vallée du Rhône, et libère Mâcon, Chalon-sur-Saône, Beaune, Autun ou Dijon en Bourgogne, mais aussi Morez, Saint-Claude, Champagnole, Mouthe, Pontarlier, Baume-les-Dames, Montbéliard, Héricourt ou Belfort en Franche-Comté. Bien qu’affectés majoritairement dans l’intendance, des soldats africains-américains sont également présents, à l’instar de ceux faisant partie de la 7e Armée américaine.

Lors des défilés de la victoire, ces tirailleurs sont acclamés par les populations, qui se font parfois prendre en photo avec eux à l’intérieur même des maisons. Cependant, à l’automne 1944, dans le nord de la Franche-Comté, on assiste au blanchissement de l’armée, c’est-à-dire au remplacement de plus de quinze mille tirailleurs sénégalais par de jeunes maquisards des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) souvent moins aguerris, sous prétexte de non adaptation au froid. En réalité, c’est pour des raisons de propagande et sous pression des Alliés américains et britanniques qui pratiquent toujours la ségrégation dans leurs forces armées. Plus de mille tombes musulmanes de la nécropole nationale de Rougemont, rassemblant les corps non réclamés des soldats morts pour libérer la Côte-d’Or, le Doubs, la Haute-Saône ou les Vosges, rappellent le sacrifice des soldats originaires de l’Empire français pour libérer la France et la région.

Focus 1 :

Les massacres des combattants africains en 1940

Parqués dans un camp de prisonniers improvisé, quarante-trois tirailleurs ont été massacrés par des Nazis, nourris de propagande, à l’orée du bois de la Pépinière à Clamecy le 18 juin 1940, et un quarante-quatrième perd également la vie douze  jours plus tard dans la ferme du Poil Rôti de la commune de Oisy, village voisin où il demeure inhumé. Un monument inauguré à Clamecy, dès juin 1948,  leur rend hommage, et à la suite des recherches et du film réalisé en 2011 par Mireille Hannon, la municipalité de Clamecy installe en novembre 2012 une pierre gravée indiquant désormais les noms des combattants identifiés parmi lesquels onze Algériens, six Guinéens, cinq Ivoiriens, quatre Marocains, deux Soudanais (Mali), deux Voltaïques (Burkina Faso) et deux Sénégalais.

Focus 2 :

Le Frontstalag de Vesoul

Dès juillet 1940, plusieurs milliers de prisonniers de guerre originaires du Maghreb, d’Afrique noire, d’Indochine ou de Madagascar sont retenus dans une caserne de Vesoul (celle du 11e Chasseurs) en Haute-Saône devenue le Frontstalag n°141. L’effectif décroît rapidement et dès décembre il ne reste que cinq cents internés. Néanmoins des arrivées se produisent à l’instar de celle, en novembre 1941, du Guinéen Mamadi Kondé, 23 ans, appartenant au 14e régiment de tirailleurs sénégalais. Au printemps 1943, le camp dépasse à nouveau les deux mille prisonniers et perdure jusqu’à l’été 1944. Après le débarquement de Provence, les Allemands évacuent les internés en direction de l’Allemagne, mais un convoi est mitraillé le 10 septembre à hauteur de Champagney.     

Panneau 7 :

Trente Glorieuses et fin d’empire (1946-1970)

Texte 3104 signes 

Dès l’immédiat après-guerre, la reconstruction du pays nécessite de recourir à un apport de main-d’œuvre coloniale en complément des prisonniers allemands et des travailleurs venus des régions méridionales de l’Italie et de l’Espagne. Des Nord-Africains ont été démobilisés sur place ou sont venus, en particulier de Kabylie, pour occuper un emploi de manœuvre dans les travaux publics, les mines, les carrières de pierres ou au sein des forges, fonderies et ateliers métallurgiques ou de construction électrique. Ils participent en 1948 aux grèves des mineurs en Saône-et-Loire et sont près d’un petit millier à l’usine Peugeot de Sochaux au printemps 1949 contre moins de la moitié deux ans plus tôt. Plusieurs compagnies de travailleurs indochinois sont aussi transférées en Bourgogne Franche-Comté. Les Vietnamiens de l’usine Alsthom de Belfort protestent contre l’agression française en organisant grèves et manifestations. Dans un contexte de crise généralisée du logement, ces travailleurs n’ont d’autre choix que de vivre misérablement dans des garnis ou diverses formes d’habitat bidonvillisé. Il faut attendre la décennie 1950 pour que soit en effet achevée la construction des premiers foyers à Mâcon, Dijon, Besançon, Montbéliard et celui de la Lunette 18 à Belfort. En outre, la région accueille des étudiants issus des colonies, dont le futur président sénégalais Abdoulaye Wade passé par l’Université de Besançon.

À la suite des indépendances de la Tunisie et du Maroc en 1956, puis de l’Algérie en 1962, plus d’un million de rapatriés arrivent en métropole et des régiments de tirailleurs s’installent à Dijon ou Lons-le-Saunier. La majorité des « Pieds noirs » choisit de poser ses valises en région parisienne et dans les départements méridionaux. Néanmoins, le potentiel industriel de la Bourgogne Franche-Comté attire certains d’entre eux. Supplétifs de l’Armée française, les Harkis, connaissent un exil similaire et se retrouvent parqués dans des camps militaires avant d’être dirigés vers des hameaux de forestage comme ceux de Vanvey, Baigneux-les-Juifs et Is-sur-Tille en Côte-d’Or ou de Roussillon-en-Morvan en Saône-et-Loire. En 1964 est également construite à leur intention la cité de l’Oasis à Saint-Valérien dans l’Yonne. Ce passage entre le temps des décolonisations et le temps postcolonial se fait dans un climat difficile. Le Maghreb continue néanmoins de s’affirmer comme l’un des principaux réservoirs de force de travail aux côtés de l’Espagne et du Portugal, alors que l’Italie perd du terrain. Entre 1962 et 1968, le nombre d’Algériens recensés en Bourgogne Franche-Comté passe de moins de onze mille à plus de quinze mille soit une progression de 40 %.

Les années 1960 voient apparaitre les grands ensembles, dont certains se transformeront progressivement, avec le départ des familles françaises, en « ghettos pour immigrés ». Ces derniers sont aussi victimes de racisme, comme l’illustre, en 1964, l’affaire de la piscine municipale de Saint-Claude dans le Jura (interdite aux Maghrébins dépourvus de certificat médical), qui connaît un retentissement national.

Focus 1 :

Le foyer de la Lunette 18 à Belfort 

La ville de Belfort est, en 1952, la première municipalité française à recourir à l’emprunt pour bâtir un foyer sur le terrain dit de la Lunette 18, concédé par l’Armée près des fortifications, c’est-à-dire à l’écart de la cité. Ce baraquement en fibrociment d’une capacité d’environ quatre-vingt places, destiné à des Nord-Africains travaillant majoritairement dans les travaux publics est rapidement envahi par des clandestins. L’entreprise Alsthom construit, par la suite, sur le même site, un bâtiment en dur pour ses ouvriers antérieurement logés dans des casernes. Malgré ces efforts, les problèmes de logement subsistent durant de très longues années.

Focus 2 :

La cité de l’Oasis à Saint-Valérien

En 1964, environ une quarantaine de familles de Harkis arrivent à Saint-Valérien près de Sens où a été construite pour les accueillir la cité de l’Oasis. Malgré la modernité des habitations, ces anciens soldats de l’Armée française sont confrontés à un rejet de la population locale, qui a signé une pétition pour s’opposer à leur venue. Mouloud Oussalem, aujourd’hui père de neuf enfants, se souvient que lui et ses compagnons se sentaient rejetés parce que la cité avait été construite au milieu des champs à presque deux kilomètres du village.

Citation : « Qu’il s’agisse de leur vie privée ou de leur vie publique, les Nord-Africains sont en situation d’infériorité vis-vis des métropolitains et même des étrangers. »   Bernard Dort, La condition des Nord-Africains dans le Pays de Montbéliard, Mémoire de l’ENA, 1951,  p. 20. 

Panneau 8 :

Nouvelles migrations, nouvelles générations (1970-2004) 

Texte 3093 signes

Au cours de la décennie 1970, l’immigration venue des Suds connaît un fort accroissement en Bourgogne Franche-Comté. Avec le Portugal, le Maghreb constitue désormais le principal lieu de départ des travailleurs mais la part relative des Algériens fléchit. Arrivés à partir de la fin des années 1960, à la suite d’accords de main-d’œuvre avec leurs gouvernements respectifs, Marocains et Turcs travaillent majoritairement au sein des grandes agglomérations industrielles, comme le Pays de Montbéliard où la firme Peugeotdiversifie la main-d’œuvre étrangère de son usine de Sochaux. D’autres s’installent néanmoins en milieu rural, par exemple à la cotonnière de Trouhans en Saône-et-Loire ou au sein des districts du meuble à Saint-Loup-sur-Semouse en Haute-Saône et de la plasturgie dans le Haut-Jura, sans oublier les emplois exercés dans les fromageries du massif jurassien, non encore mécanisées, ou dans la viticulture et les activités sylvicoles. De nouveaux foyers de travailleurs migrants voient ainsi le jour et les bidonvilles des Founottes à Besançon et de la Charmette à Dijon disparaissent remplacés par des cités de transit qui n’auront de transit que le nom. De nombreux mouvements sociaux s’organisent jusqu’à la grève de l’automne 1981, durant laquelle les OS de Peugeot-Sochaux réclament dignité et liberté dans le cadre professionnel et au-delà.

La suspension en 1974 de l’immigration de travail n’est pas synonyme de tarissement des flux, puisque femmes et enfants profitent du regroupement familial pour rejoindre leur mari ou leur père. Dans le même mouvement, la crise des réfugiés du Sud-Est asiatique voit l’arrivée dans la région, à partir de 1975, de Vietnamiens, de Cambodgiens et de Laotiens, dont certains feront par exemple souche dans le quartier de Planoise à Besançon. Au recensement de 1982, les Maghrébins sont devenus majoritaires en Bourgogne Franche-Comté au sein des populations immigrées, alors que les Turcs sont de mieux en mieux implantés. Mais la région perd plusieurs milliers d’immigrés en moins d’une décennie, sous l’effet de la désindustrialisation et du manque d’emploi.

Le tissu associatif se développe dans les années 1980, notamment les radios associatives telles Voix des travailleurs immigrés à Dijon ou Radio Sud à Besançon ou Radio Amitié dans le Pays de Montbéliard, alors que la Marche pour l’égalité et contre le racisme fait étape en Bourgogne-Franche-Comté, dans un relatif anonymat, du 5 au 14 novembre 1983. À partir des années 1990-2000, la question de l’islam ou le « problème des banlieues » ne quitte plus le devant de l’actualité. Parallèlement, de nouvelles figures de l’altérité émergent, celle du demandeur d’asile et son corolaire le « sans papiers » venus d’Afrique subsaharienne qui, rejetés par une partie de l’opinion, trouvent à l’inverse un soutien auprès d’autres citoyens engagés lors de manifestations pour la défense de leurs droits ou de grèves de la faim dans les églises. À la veille du mouvement de révolte de 2005, l’immigration et les stéréotypes lui étant liés continuent à parasiter le débat public.  

Focus 1 :

L’usine Peugeot de Sochaux

En 1975, le site automobile emploie environ quarante mille ouvriers, dont plus de cinq mille étrangers. Près de la moitié sont originaires du Maroc ou de Turquie et on dépasse 60% de l’effectif total en adjoignant les Algériens et les Tunisiens, malgré un contingent non négligeable de Yougoslaves ou de Portugais. En cette même année 1975, le réalisateur Armand Gatti tourne huit films sur les communautés étrangères installées dans les baraquements de Fort-Lachaux, surplombant l’usine, et ailleurs dans le Pays de Montbéliard.

Focus 2 :

La Marche pour l’égalité et contre le racisme 

Les marcheurs arrivent à Besançon dans l’après-midi du 9 novembre 1983 après être passés à Tournus, Chalon-sur-Saône, Beaune, Dijon et Dôle. Dans les locaux de Radio Sud à l’Escale, cité de transit s’étant substituée au bidonville des Founottes, ils sont accueillis par des élus de gauche ainsi que par l’archevêque de Besançon. Le cortège se dirige ensuite vers le centre-ville pour rencontrer et dialoguer avec la population, avant qu’un gala, rassemblant un large public et animé par des groupes maghrébins, chiliens ou portugais, ne clôture la journée.

Citation : « Nous ne sommes pas condamnés à vivre ensemble, c’est au contraire une chance et il est urgent de la saisir. »

Monseigneur Daloz, Archevêque de Besançon, 1983.

Panneau 9

Immigrations et citoyenneté (2005-2018)

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En 2014, La Bourgogne-Franche-Comté accueille un peu plus de cent soixante quinze mille immigrés, qui représentent 6,2% de la population totale, ce qui place la région plus de deux points et demi en dessous de la moyenne nationale. Ces personnes se concentrent de plus en plus dans les grandes agglomérations, telles que celles de Dijon, Besançon, Montbéliard ou Belfort. L’empreinte laissée par les anciens bassins industriels demeure néanmoins perceptible. Malgré un net regain des migrations européennes, les Maghrébins et les Turcs représentent encore respectivement 31% et 8% des personnes venues d’ailleurs avec cependant une nette tendance au vieillissement. La diversification des migrations se poursuit avec de nouveaux apports en provenance d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Les deuxième et troisième générations sont, de leur côté, confrontées à la ségrégation scolaire et urbaine. Les aspirations à la réussite sociale sont trop souvent déçues, y compris pour ceux ayant fait des études supérieures. Les vagues d’immigration, numériquement les plus conséquentes, datant de quelques décennies, la population immigrée est logiquement plus âgée que celle des non-immigrés. Dans la région près de la moitié des immigrés ont plus de 50 ans contre quatre non-immigrés sur dix.

Les émeutes de 2005 ont montré qu’un fait-divers survenu en région parisienne pouvait embraser certains quartiers, dans toutes les régions de France, où une large part des populations « issues de l’immigration » demeurent au chômage et discriminées. Elles ne se reconnaissent pas toujours dans le personnel politique, bien que le nombre d’élus issus de la diversité progresse lentement et localement. Des revendications visant à une amélioration des conditions d’exercice du culte musulman se font également jour, notamment via la construction de mosquées à la hauteur des aspirations des fidèles. La « question de l’islam » demeure parallèlement un enjeu politique majeur et le contexte politique de la dernière décennie engendre des processus de fragilisation des relations interculturelles et inter-cultuelles.

Un brassage des populations et des récits est cependant à l’œuvre en Bourgogne Franche-Comté comme l’illustrent par exemple les nombreux mariages mixtes et le succès de certains festivals proposant de faire connaissance avec les autres cultures, comme Rencontres et Racines à Audincourt, Les Eurockéennes de Belfort, le Festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul, Lumières d’Afrique à Besançon, Les nuits d’Orient à Dijon, le festival Outre Mer en Bourgogne à Montceau-les-Mines, Afrik’au cœur dans l’Yonne ou le festival de cinéma Diversité qui rayonne sur l’ensemble de la région.

Focus 1 :

Mosquées en Bourgogne Franche-Comté

À leur arrivée dans la région, les premiers travailleurs musulmans du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique sub-saharienne ont prié dans des locaux de fortune, avant que ne soient construits quelques lieux de culte dignes de ce nom, tels les mosquées Philippe Grenier à Pontarlier (1979), El Kheir à Dijon (1984) ou Al Sunna à Besançon (1994). Néanmoins, il faut attendre les années 2000 pour qu’aboutisse, avec le soutien des municipalités, la plupart des projets initiés par les communautés maghrébines, mais aussi turques, comme à Migennes ou Valentigney.

Focus 2 :

Le festival des Nuits d’Orient à Dijon

Le festival des Nuits d’Orient mobilise chaque année depuis deux décennies, sous l’égide de la municipalité, de très nombreux acteurs socio-culturels de Dijon et de son agglomération. Ces derniers proposent, durant deux semaines, à tous les publics de partager ensemble, en de multiples lieux, différentes visions de l’Orient. La programmation, éclectique et pluridisciplinaire, allie musique, danse, théâtre, poésie ou cinéma, mais aussi expositions sonores, photographiques ou de peinture, ainsi que des ateliers artistiques, des lectures et des conférences.    

Panneau 10 :

Histoire et Mémoires

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L’histoire et la mémoire de l’immigration coloniale et postcoloniale en Bourgogne Franche-Comté manquent encore de visibilité, comme d’ailleurs l’ensemble des apports migratoires ayant irrigué ce territoire. Pourtant comme le montre cette exposition (et bien d’autres projets en région), depuis plus d’un siècle, la présence des Suds et l’histoire des immigrations intra-européennes apparaissent conséquentes, s’incarnant à travers des figures aussi diversifiées que les soldats, les ouvriers, les commerçants, les étudiants, les artistes et les populations rapatriées ou réfugiées. Les lieux de mémoire sont désormais nombreux, qu’il s’agisse, comme à Clamecy dans la Nièvre ou à Châtillon-sur-Seine en Côte-d’Or, des endroits où ont été perpétrés, en juin 1940, par les nazis des massacres de soldats coloniaux, des emplacements de bidonvilles, de cités de transit ou HLM et de foyers existants ou disparus, sans oublier les lieux de labeur, de distraction ou de culte de ce prolétariat ou de ces soldats venus d’ailleurs. La sévère crise économique et identitaire subie par certains bassins industriels régionaux depuis plusieurs décennies n’est sans doute pas totalement étrangère à la difficulté de pleinement intégrer cet apport migratoire à l’histoire économique, politique, sociale et culturelle. Mais, pas-à-pas, les traces émergent et les mémoires s’organisent.

La nécessaire patrimonialisation est en partie de la responsabilité des historiens (mais aussi le fruit du travail des institutions publiques, du monde associatif et des collectivités territoriales) et le numérique peut y aider, ainsi que l’illustre le succès du site internet Migrations à Besançon. À travers le soutien qu’ils apportent aux associations ou aux différentes manifestations culturelles, l’État et les collectivités territoriales jouent désormais un rôle essentiel d’impulsion de certaines dynamiques, comme l’ont montrées les expositions présentées sur l’immigration, depuis le début des années 2000, aux archives départementales du Territoire de Belfort ou du Doubs.

L’enjeu de la prochaine décennie (2020-2030) est aussi de profiter du renouvellement des expositions permanentes des principaux musées régionaux pour évoquer la longue histoire des migrations. L’intégration à l’exposition permanente de l’écomusée du Creusot-Montceau des différents volets du projet Murs Murs a ainsi permis la découverte d’un passé méconnu et d’un présent ignoré, mais aussi une appropriation par les descendants d’immigrés de leur propre histoire. La réalisation à Chalon-sur-Saône du documentaire Chibanis, mémoires d’exils participe aussi à sortir les travailleurs immigrés vieillissants arrivés au cours des Trente Glorieuses de leur invisibilité sociale. C’est au cœur de ces différents mouvements que devra s’organiser une nouvelle manière d’appréhender l’histoire de l’immigration et les méandres complexes d’une mémoire en partage.

Focus 1 :

Le site internet Migrations à Besançon

Mis en ligne en 2007, à l’initiative du centre communal d’action sociale de Besançon, ce site web a atteint une audience nationale. Il s’efforce, grâce à des témoignages et articles de fond, de rendre compte, auprès d’un large public, de l’histoire et de la mémoire des migrations dans la capitale comtoise et en Franche-Comté. Sur le plan local, il fait le pari que les liens tissés sur la toile engendreront des rencontres entre tous les habitants de la région.

Focus 2 :

Chibanis, mémoires d’exils

Le documentaire réalisé à Chalon-sur-Saône en 2015 par Valérie Cuzol et intitulé Chibanis, mémoires d’exils nous invite à découvrir plusieurs parcours de vie : ceux de Camil Sari, Mohamed Metleine et Adbderrahim Tajeddine. Mais le plus emblématique est celui d’Ahmed Fergani. Né en Algérie, il sert comme appelé en 1959. Une expérience douloureuse confit-il. Aîné de fratrie, père de 7 enfants, il arrive à Chalon-sur-Saône en 1964 et travaille dans le bâtiment, puis à Saint Gobain Emballage. Les premières années, il vit en groupe dans un grand dénuement jusqu’à l’ouverture du foyer Sonacotra en 1972, puis sa famille le rejoint 3 ans plus tard. Très impliqué dans la vie cultuelle et apprécié de nombreux Chalonnais, il repose aujourd’hui dans la terre qui l’a vu naître.

Texte: Stéphane Kronenberger, docteur en histoire, Université de Nice Sophia Antipolis 

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