Itinéraire d’Alphonse Bachetti

Le périple accompli fut celui d’un bûcheron d’origine italienne, combattant volontaire étranger, qui fut de toutes les campagnes, ralliant De Gaulle à la première heure.


 Son souvenir est désormais présent aux Grandes Baraques au coeur de la forêt de Chailluz grâce à la simple inscription reproduite ci-dessous. Nous remercions le colonel Bernard Saulnier pour toutes les sources qu’il nous a communiquées.

Peu original au départ le parcours suivi par Alphonse Bachetti. Né en 1902 en Italie, il est issu d’une de ces très nombreuses familles qui dut s’expatrier pour subsister. En 1927, le voici bûcheron aux Grandes Baraques. Mais une aventure d’une tout autre dimension commence en décembre 1938 à 37 ans : notre homme s’engage dans la Légion Etrangère à Sidi Bel Abbès. Bientôt c’est la guerre. L’Allemagne à la recherche de matières premières veut s’assurer le contrôle des minerais scandinaves. Français et Anglais se portent au secours de la Norvège. “La route du fer est coupée” annonce le trop présomptueux Président du Conseil Paul Raynaud. La France est occupée. A Londres, le Général de Gaulle relève Je défi ; l’épopée des Forces Françaises Libres commence. Les volontaires sont peu nombreux. Sur les 14 000 hommes rescapés de l’expédition de Norvège, 1 200 seulement rallient De Gaulle, 400 Français sur 12 000 (soit 3 %) 800 légionnaires sur 1600 (50 %). Alphonse Bachetti en est.



En passant par Le Cap

Après le fer, le pétrole. Le Reich a besoin de carburant. En Irak une fraction musulmane séduite par la propagande nazie (par son antisémitisme notamment) s’allie avec l’Axe. Pour assurer la liaison avec Bagdad, les Allemands veulent utiliser les aérodromes de Syrie. La Syrie, sous mandat français, était restée fidèle à Vichy qui, se déshonorant, répond favorablement à la demande d’Hitler alors que les stipulations de l’armistice n’impliquaient pas pareille complaisance. L’heure est grave, l’armée allemande va-t-elle pouvoir disposer d’une source précieuse d’or noir?
De Gaulle ne veut pas que la traditionnelle influence française en Syrie et au Liban soit sapée à cause de la trahison de Vichy. Aux côtés des Anglais, les Forces Françaises libres lutteront en Syrie… Et pour rejoindre ce front éloigné il faut passer par… le Cap qui une fois de plus mérite son nom de “Bonne Espérance”! A. Bachetti en est. Une des heures les plus tragiques commence pour notre pays ; un combat fratricide oppose en Syrie troupes fidèles à Vichy et troupes des FFL 1 000 morts de chaque côté avant qu’un armistice ne confirme la victoire alliée.
Mais si la route du pétrole irakien est coupée, la menace demeure sur Suez. Et Suez c’est la porte vers l’Orient, vers l’inde singulièrement, c’est un nouvel enjeu majeur pour les alliés. A. Bachetti sera donc de la campagne d’Egypte. Le danger écarté, le moment est venu de passer à la contre offensive, d’attaquer l’Axe par son ventre mou, le flanc sud. Et notre engagé italien est de ceux qui contribuent à chasser les troupes… italiennes et l’Afrika Korps de Libye et de Tunisie.
il faut cette fois créer en Europe ce second front tant attendu par les Russes qui portent le poids de la bataille terrestre. C’est l’Italie qui est choisie pour la reconquête. A. Bachetti retrouve sa terre natale dans des circonstances qu’il n’avait sans doute pas imaginées lorsqu’il l’a quittée! Mais pas question de s’arrêter au pays : c’est la page finale de la libération de la France qu’il faut ouvrir.
La boucle est bouclée, une grande boucle, notre ancien bûcheron retrouve la forêt de Chailluz et son métier. Seul changement : la République Française accorde en 1947 la naturalisation à l’ancien légionnaire.



“Aux ch.. Mussolini”
En découvrant l’inscription toute simple apposée aux Grandes Baraques, promeneurs et scolaires venus travailler à la petite école pourront, tout en apprenant un peu, le cas échéant, de géographie historique, découvrir une dimension symbolique de la seconde guerre mondiale avec la place tenue par les obscurs et sans grade qui ont permis la victoire finale. Le rappel modeste d’une aventure hors du commun est aussi opportun à un moment où Besançon célèbre les étrangers dans la Résistance. C’est aussi l’occasion de réfléchir aux excès des passions chauvines. Le 10 juin 1940 tandis qu’A. Bachetti était engagé à nos côtés son pays natal déclarait la guerre à une France en pleine débâcle. Ce coup de poignard dans le dos provoqua chez nous une indignation source de violents incidents mal connus. Dans ses mémoires manuscrits Raymond Vauthier, alors maire de Pontarlier, écrit “le 10 juin vers 22 h, il fallut désarmer place d’Arçon une colonne qui, au chant de la Marseillaise, partait en expédition contre la maison d’un Italien, avec des gourdins et une massue”. En gare, les Italiens étaient passés à tabac. A Besançon d’après la “République de l’Est” une “manifestation anti-italienne” eut lieu spontanément à travers les rues de notre cité… Les cris de “Aux ch… Mussolini” furent repris par la foule”. –
Abasourdis par l’incroyable défaite, affolés par l’avance foudroyante des chars allemands, nos compatriotes accueillaient tous les bobards : dans le Haut-Doubs on annonçait comme imminent un débarquement ennemi par hydravion sur le lac de Malbuisson, à Besançon on répétait qu’à la radio de Stuttgart le traître Ferdonnet avait annoncé que dans notre ville les vêtements des communiantes, blancs le matin, seraient noirs le soir… Dans ce climat de panique, ii fallait des boucs émissaires. Il ne faisait pas bon porter un nom italien ces jours-là… même si de nombreux “ritals” selon l’expression méprisante couramment utilisée alors, avaient fui la dictature fasciste, les mauvais traitements infligés par les gros bras de Mussolini qui intimidaient leurs adversaires en les forçant à boire de l’huile de ricin- avec les désagréables conséquences que l’on sait – et envoyaient les plus récalcitrants au bagne des îles Lipari.
Au recensement de 1936, 7 990 Italiens vivaient dans le Doubs. Après la guerre l’effectif tomba au-dessous de 5 000 pour remonter ensuite et atteindre son maximum en 1962 8 101. Nos entreprises, singulièrement celles du bâtiment, ayant fait appel massivement à la main d’oeuvre immigrée. En 1990, au dernier recensement, le chiffre de 2 597 est le résultat des nombreuses naturalisations intervenues.



Elargir notre regard
Le temps passant, nous oublions peu à peu la place tenue par les volontaires étrangers et les troupes coloniales à nos côtés au cours des deux guerres mondiales. A Rougemont, la nécropole militaire qui recueille les corps des victimes des durs combats de la Libération compte 1 259 tombes, la moitié sont celles des musulmans. A Besançon, même – peu de nos concitoyens le savent – au carré militaire de Saint-Claude reposent aux côtés de l 260 Français, 13 Anglais, 1 Belge, 1 Roumain, 8 Russes, et… 3 inconnus. 8 otages et 34 victimes civiles côtoient les soldats.
Rien n’est simple dans la vie de l’humanité. D’un côté l’inquiétude que soulève la montée des haines nationalistes avec leurs relents de purification ethnique au cœur de l’Europe, de l’autre les fragiles espoirs de paix au Moyen-Orient.
Puisse l’évocation de la vie d’un humble bûcheron nous aider à élargir notre regard et à surmonter nos passions mesquines.

Article de Joseph Pinard paru dans le BVV (1993)

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