Polémiques à propos des colonies

Selon les époques, la Gauche et la Droite ont chacune défendu ou pourfendu le colonialisme. Quelques rappels historiques permettront peut être d’éviter les idées simplistes.


Le pavé dans la mare du député bisontin Chartes Beauquier.

La Troisième République, Besançon formait avec les communes rurales des cantons de Besançon Sud et Est une circonscription législative. Elu sept fois de suite, dont six fois dès le premier tour, Charles Beauquier en fut le député de 1880 à 1914. Ce personnage, haut en couleurs, avait des opinions tranchées et ne maniait pas la langue de bois. C’est ainsi que, sous sa signature, le 20 mai 1910, le Petit Comtois publie un très long article intitulé “Expéditions coloniales.

L’élu bisontin n’y allait pas “avec le dos de la cuillère” : «les expéditions coloniales sont désirées par nos jeunes officiers parce qu’elles leur offrent une occasion de se distinguer, de gagner des galons, de l’avancement… La colonie n’est qu’une pépinière à décorations… Absolument aucune raison morale, pas même des considérations de pur intérêt ne sauraient, en général, justifier la colonisation, c’est-à-dire la conquête de territoires habités par des population qui ne nous ont pas appelés à elles et qui ont le droit de vivre comme il leur convient… Nous allons chez des hommes libres, ayant en horreur la servitude, et nous en faisons des forçats. Nous nous en servons comme des bêtes de somme, nous les contraignons aux plus pénibles corvées… Nous proclamons bien haut que, grâce à nous, le flambeau de la civilisation éclaire la terre entière, et en réalité nous ne régnons dans nos colonies que par la terreur».

Lors des conquêtes, «ce ne sont que villages brûlés, indigènes éventrés à la baïonnette, femmes violées et massacrées, vieillards et enfants assommés à coups de crosse de fusil L’atrocité de la conduite des Européens au Congo et au Soudan est un point d’histoire incontesté. Il ne faut pas s’étonner de ces pratiques féroces. Qui envoie-t-on en général, dans ces régions perdues, pour exécuter des raids coloniaux ? Des “fortes têtes” comme on dit dans l’armée, des gens de sac et de corde, prêts à tout, souvent des alcooliques invétérés. Cette lie de la race blanche, le soleil et l’absinthe en font bientôt une armée de fous furieux»…

Et Beauquier citait des exemples tirés d’un ouvrage publié par un de ses collègues député. «A Tombouctou, un capitaine commandant le cercle de Sumpi ayant aperçu, assise devant sa case, la femme d’un tirailleur et l’ayant trouvée jolie, la fit appeler par un sergent indigène et, sur son refus de se livrer, manda à son tour le tirailleur, à qui il donna jusqu’au soir pour réfléchir. Le mari s’obstina. Dès lors, chaque soir, le capitaine fit enlever de force l’épouse fidèle et, trois mois après, ayant été rappelé en France, au lieu de la rendre au tirailleur qui la réclamait en pleurant, il la donna à un caporal, puis fit partir le mari en colonne (expédition périlleuse). »

Voici, du même livre, une courte citation suggestive : « Une nuit, des Européens se postèrent à l’affût des bêtes féroces; l’appât ne fut ni une chèvre bêlante, ni un agneau, mais une fillette de dix ans, que l’on plaça sur un nid de fourmis noires. La pauvre enfant ne cessa de crier jusqu’au moment où elle fut tuée par les terribles insectes… ». Le pourfendeur du colonialisme concluait : «Nous avons théoriquement aboli l’esclavage et l’anthropophagie; en fait, nous avons substitué une nouvelle servitude, qui se traduit par le service militaire obligatoire, les corvées de portage et d’exploitation, l’arbitraire, le brigandage, les tortures. Et, loin de moraliser les prétendus sauvages, nous leur avons montré souvent que nous sommes plus sauvages qu’eux»…


« Les atrocités… furent des exceptions. »
Un tel réquisitoire devait naturellement susciter des réactions. Une semaine après la parution de l’article, le Petit Comtois publiait une “lettre ouverte à Monsieur le Député de Besançon”, rédigée au nom de la “Société des Anciens de la Marine et des Colonies’.

Les responsables de cette association ne niaient pas les faits cités : « Vous choisissez pour étayer votre raisonnement des exemples d’atrocités qui, pour être exacts, furent des exceptions regrettables et légalement punies». Les anciens coloniaux estimaient que le séjour outre mer de troupes métropolitaines contribuait à aguerrir nos forces, à former des chefs ; « en grattant le sable du Soudan, le coq gaulois en a fait des soldats incomparables». Beauquier répliqua : «Quant aux malheureux soldats qui, dans les colonies, se sont rendus coupables des atrocités indéniables dont j’ai parlé, je ne dis pas qu’ils ont agi sous l’inspiration d’une nature foncièrement perverse. Au fond, c’était probablement de braves gens, mais ils ont subi l’influence néfaste de la guerre, de cette folie que déchaîne dans l’homme la bête ancestrale, la bête féroce qui sommeille en lui». Parallèlement, un marsouin (militaire de l’infanterie de marine) s’en prenait au député dans l’Eclair Comtois : «Les marsouins pourraient faire rentrer vos injures dans la gorge d’un coup de poing masse, vous ficeler et pendre haut et court… comme une andouille que vous êtes»…

Ce n’est pas l’effet du hasard si j’aborde ce sujet. L’histoire, à mes yeux, peut, certes, distraire et instruire, mais elle peut aussi éclairer le présent, faire réfléchir et -pourquoi pas – contribuer à apaiser les passions. Ne soyons pas aveugles et sourds. Depuis quelque temps – et les récents événements dans les banlieues ont renforcé le courant — on parle à nouveau des colonies. Il en fut même question à propos d’une loi qui prétend dicter le contenu des cours d’histoire…

Symétriquement, dans la mouvance de Dieudonné, on dénonce une occultation de toute une tranche de notre passé qui serait volontairement cachée. Chiche. Parlons-en donc. Rappelons d’abord que l’histoire est souvent plus complexe qu’on ne le dit.


Quand la droite était anti-colonialiste
Ainsi, il fut un temps où c’était à gauche que l’on était favorable aux conquêtes coloniales, tandis que la droite dénonçait ces entreprises coûteuses en vies humaines et qui détournaient notre armée de sa mission première après la défaite de 1870 : préparer la fameuse Revanche, battre l’Allemagne pour l’obliger à nous restituer l’Alsace-Lorraine annexée.
En 1889, le dernier député royaliste du Doubs, Estignard, opposé au Marquis De Moustier, candidat des républicains, tient une réunion électorale à Bouclans.

Compte-rendu du journal de droite : «Le vaillant champion conservateur.., a montré nos soldats, mourants, privés des secours de la religion, dans les rizières du Tonkin. Dans un bel élan de patriotisme, il a fait voir la France se lançant dans des expéditions lointaines, quand l’Allemand veille à ses portes, prêt à fondre sur elle, prêt à la démembrer encore »…
Les adversaires de Jules Ferry flétrissaient le père de l’école laïque en le qualifiant de “tonkinois’ L’homme d’Etat justifiait les conquêtes coloniales en ces termes : «Si nous avons le droit d’aller chez ces barbares, c’est parce que nous avons le devoir de les civiliser… Oui, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures».

Les choses ont bien changé depuis 1884. Les rôles ont été renversés, une grande partie de la gauche est devenue anti-colonialiste, tandis qu’à droite on se prononçait pour la défense de l’Empire.

Le rappel de ces évolutions doit nous aider à prendre du recul sur des questions ayant soulevé des passions qui ne sont pas éteintes. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Article de Joseph Pinard, extrait du BVV de janvier 2006.

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