Après la Guerre de Dix Ans (1634-1644) qui verra disparaître entre 55% et 60 % de la population de la Franche-Comté (soit environ 250 000 personnes)
Des « étrangers » (Français, Savoyards, Lorrains et Suisses en particulier) vont aider à la reconstruction et au repeuplement de la province dévastée par la guerre, la peste et la famine. Ces nouveaux habitants ne seront véritablement intégrés à la communauté villageoise qu’a la suite de l’établissement d’un acte notarié que nous retrouvons dans les archives sous la dénomination de « Lettres d’habitantage » (c’est notamment leur inscription dans le rôle d’imposition de la collectivité).
Les répertoires des minutes de Pierre Pinot (1620-1673) et de Claude Pierre Pinot (1660-1709) notaires à Franois (Doubs) puis à Besançon (Doubs) permettent de retrouver la trace de 25 de ces documents répartis entre 1632 et 1681, concernant principalement les villages de Velesmes, Torpes, Etrabonne, Franois et dans une moindre mesure ceux de Chalèze, Lantenne, Pirey et Serre-les-Sapins dans le Doubs, Pin et Courcuire dans la Haute-Saône ainsi que le village de Courbout qui n’a pu être localisé.
Examinons les « lettres d’habitantage » de François Robinet d’Etrabonne rédigées le 31 janvier 1673 dont le texte n’a pu être déchiffré dans son intégralité. « En leurs personnes constitués Jean Bretin, Balthazard Briffaux, Jean Jacquot, Jean Perrot fils de fut Jacques Perrot et Renobert Chavaux tous d’Etrabonne et habitants au dit lieu représentant la plus grande et majeure partie des habitants du dit lieu voir plus que les deux tiers … lesquels … ont mis et assavoir commis François Robinet de Chassigny en France résidant présentement au dit Etrabonne … pour désormais et perpétuellement jouir et user… de tels droits autorités privilèges, franchises et libertés comme les dits autres habitants du dit Etrabonne selon son degré et faculté tant en coupage de tous bois morts que vifs pour son usage et commodité, champoyage de tous bestiaux gros et menus tant à la vaine que morte pâture en tous lieux et territoire du dit Etrabonne … et ce gratuitement moyennant quoi icelui François Robinet a prêté serment … de dorénavant bien et fidèlement gérer et procurer le bien profit et utilité de la dite communauté d’Etrabonne fuir et éviter les dommages d’icelle et faire tous devoirs comme bon habitant doit faire obéir à tous commandements et ordonnances qui lui seront faites par les prud’hommes et autres députés de la dite communauté selon l’ordre du village payer tous (?) et impositions qui lui seront dûment faites …… fait et passé au dit Etrabonne par devant Claude Pierre Pinot citoyen de Besançon notaire … en la maison du dit Bretin le 31 janvier 1673 en présence de Claude Bavelot de Pontailler en France résidant au dit Etrabonne Pierre Leblon du dit Pontailler Charles Guelin de Cray(?) en France tous résidants au dit Etrabonne de Jean François Tissot de Rouffange et de Claude François Perrin de La Planey les Pontarlier en montagne maître d’école au dit Mercey témoins requis et appelés … »
Un autre exemple, à Villars-Saint-Georges (Doubs) où ne sera rédigé qu’un seul et unique acte pour intégrer pas moins de 20 familles qui, pour certaines, résident dans le village depuis une bonne dizaine d’années. « Constitués en leurs personnes Nicolas Guyon prud’homme à Villars-Saint-Georges, Claude Guyon, François Guyon, Guillaume Guyon, Maurice Guyon, Georges et Clériard Doney frères, Adrien Boucon et Jacques Boucon, Jean Bouveret, Nicolas Bouveret et César Guedot tous habitants et représentant plus des deux tiers de la communauté du dit lieu, tous lesquels ayant connaissance des bonnes inclinations et mœurs de Jean Nicolas André, Alexandre Roumeron, Georges Mairey, François et Etienne Roumeron frères, Jean Lallemand, Maurice Chapuis, Hugues Roz, Pierre Belin, Pierre Arbey, Jacques Arbey, Pierre Pernot, Claude Juste Chevillot, François Arbey, Claude Antoine Jantet, Jacques Poiterey, Joseph et Alexandre Poiterey, Jean Panier, Jean Arbey tous cy présents et demeurant au dit Villars-Saint-Georges depuis environ quatorze et quinze ans où ils ont toujours vécu en bons catholiques et fréquentés les sacrements, ont reçu et admis tous les susnommés stipulant et acceptant au nombre de leurs habitants pour par eux jouir des droits privilèges et immunités comme font et peuvent faire tous les autres habitants du dit Villars, à charge de par eux payer et supporter les charges de la dite communauté suivant leurs forces et moyens et de soutenir et défendre les droits d’icelle ce que tous les susnommés ont promis faire chacun en leurs particuliers même par serment qu’ils ont ici prêté sur et aux Saintes Evangiles de Dieu étant en mains du dit notaire souscrit et de payer chacun en faveur de la dite réception neuf livres monnaie du royaume qui seront employés au profit de la dite communauté et en acquittement des dettes d’icelle dans quinze jours prochains à peine d’intérêts et dépens, moyennant quoi ils demeureront tous habitants du dit Villars-Saint-Georges aussi bien que leurs postérités nés et à naître et qui auront les et jouiront les mêmes droits et privilèges que les autres habitants, aussi bien que des communaux du dit lieu pour l’effet et observance de tout quoi, tous les dits habitants … comparant ont obligé tous les biens de leurs dites communautés et tous les sus dits reçu habitants chacun les leurs en particulier au privilège du sceau du Roy en renonçant à toutes exceptions contraires fait et passé au dit Villars-Saint-Georges par devant François Clerc de Quingey notaire le vingt cinq février seize cent nonante six en présence de Bénigne Rouillot recteur d’école au dit Villars-Saint-Georges et de François Mossans de Thoraise témoins requis ceux sachant écrire s’étant soussignés »
Il est très probable que la « taxe » de neuf livres perçue ce jour là correspond à un arriéré d’imposition. Parmi ces nouveaux habitants, Alexandre, François et Etienne Roumeron sont originaires du Forez, en revanche Claude Juste Chevillot et Claude Antoine Jeantet arrivent du village voisin de Salans (Jura) et Georges Mairey très certainement de celui de Torpes (Doubs).
On comprend mieux qu’avant d’être le sujet d’un seigneur, d’un prince ou du roi, on est avant tout un villageois vivant à l’ombre (ou sous la protection) de son clocher. Mais cette notion semble évoluer au cours du XVIIIème à la lecture de la demande formulée par Pierre Jourdan de Besançon. Nous ne connaîtrons jamais les motifs qui ont pu le pousser à solliciter une quasi naturalisation. Déclaration de Pierre Jourdan maître maçon demeurant à Besançon originaire de Savoie portant promesse d’être bon et fidèle sujet de sa Majesté. « L’an 1742 le 17ème jour du mois de juillet est comparu par devant moi Jean Pierre Gagelin greffier du bailliage et présidial de Besançon, Pierre Jourdan citoyen de cette ville, maître maçon y demeurant, lequel m’a demandé acte que je lui ai octroyé, de ce qu’il déclare vouloir vivre et mourir fidèle sujet de sa Majesté très chrétienne sans aucun dessein ni volonté de retourner en Savoie où il est né, et d’où il est sorti dans la résolution de demeurer sans retour dans cette province du Comté de Bourgogne, pourquoi il y a fixé son séjour et son établissement, ayant épousé une femme Comtoise, s’étant établi pour lui et les siens dans cette ville de Besançon et s’y étant fait recevoir citoyen, sous l’obligation et la promesse qu’il réitère d’en supporter toutes les charges, ainsi que celles du royaume, d’y être soumis à toutes les lois et de concourir au bien de l’état comme un bon et fidèle sujet de sa Majesté très chrétienne qu’il reconnaît pour son seul Maître et Seigneur, le tout sous l’obligation de tous ses biens présents et futurs qu’il déclare entendre conserver dans le dit Comté de Bourgogne en quoi ils puissent consister, pour le présent ou à l’avenir, sous la peine des édits, arrêts et déclarations de sa dite Majesté, et la soumission d’être puni comme un sujet déloyal dans le cas de contravention à aucune, dont acte et s’est le dit Jourdan soussigné avec moi au dit greffe à Besançon, les dits an, jour et mois susdits. »
En guise de conclusion, méditons sur cette définition de l’étranger : « Quelle que soit la dénomination dont on l’affuble, l’étranger, c’est celui qui se trouve en dehors du groupe dans lequel s’insère celui (ou ceux) qui utilise le terme, parfois injurieux, souvent méprisant, ou simple expression d’un fait » (La Mosaïque France – Histoire des étrangers et de l’immigration – Collectif sous la direction d’Yves Lequin – Editions Larousse 1988 – page 9)
Sources: Répertoire de Pinot Pierre notaire à Franois (ADD 3E 2494) Répertoire de Claude Pierre Pinot notaire à Franois puis à Besançon (ADD 3E 2486) Lettres d’habitantage de François Robinet d’Etrabonne le 31.01.1673 près Claude Pierre Pinot notaire à Franois (ADD 3E 2481) Lettres d’habitantage des nouveaux habitants de Villars-Saint-Georges le 25.02.1696 près de François Clerc notaire à Quingey (ADD 3E 2, 160) Déclaration de Pierre Jourdan de Besançon le 17.07.1742 près du Présidial de Besançon (ADD B 10432)
Bibliographie : La Guerre de Dix Ans (1634-1644) – Gérard Louis – Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté, 651 – Paris 1998
Contribution de Pierre SINIBALDI