Algérie : l’action des étudiants français et algériens à Besançon entre 1950 et 1960

L’association des étudiants de Besançon (AGEB) est la section locale de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF).


Elle est restée fidèle à la volonté exprimée en 1946 de transformer la société et à comprendre l’aspiration des peuples colonisés à se gouverner eux-mêmes, alors que l’UNEF, depuis 1950, évolue vers l’apolitisme, véritable soutien à une politique conservatrice.

Une association d’étudiants favorable à l’action civique et à la décolonisation

L’université de Besançon, en 1954, compte à peine plus de 1 500 étudiants. La plupart se connaissent entre eux. Une cinquantaine d’étudiants des colonies françaises sont dispersés dans les différentes facultés, mais ils sont bien structurés autour d’Abdoulaye Wade(1) licencié en droit, mais aussi inscrit en philosophie et en mathématiques générales. Ce fut l’un des fondateurs de la Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France.

L’AGEB réunit, suivant les années, entre 1/3 et 2/3 des étudiants inscrits à l’université de Besançon. Elle entretient des relations étroites avec “les étudiants d’outre-mer” comme on dit à cette époque. Ceux-ci tiennent des postes dans le bureau de l’AGEB. En 1950-51 l’étudiant marocain Nedir en est le trésorier. C’est un Tunisien Mongi Ben Hamida qui est chargé en 1952 des œuvres universitaires sous la présidence d’Yves Calais.

Celui-ci participe activement à la progression des “minoritaires” de l’UNEF, favorables à la décolonisation dans la paix. Avec les associations d’étudiants de Lyon, Grenoble et des sanatoriums, Yves Calais participe à la sortie, en 1953, dans le n° 3 de la revue “le Mouvement étudiant” d’un article intitulé « la faillite de la politique coloniale de l’UNEF » qui sera joint à Besançon – Estudiantin le journal de l’AGEB.

En 1954, le président de l’AGEB, Pierre Chauve prend des dispositions pour soutenir à Genève les efforts de Pierre Mendès France en vue du cessez le feu en Indochine.

Par contre le président de l’AGEB élu en novembre 1955 s’écarte progressivement de la ligne habituelle sous prétexte d’apolitisme. Une réaction très vive se développe autour d’étudiants catholiques, adhérents de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) ou protestants. A côté d’eux des étudiants adhérents de partis politiques : Jeunesse communiste et membres du M.L.P (Mouvement de Libération Populaire) qui se fondera ensuite dans le P.S.U. de Michel Rocard.

La crise s’ouvre le 21 février 1956, le président de l’AGEB refuse de s’exprimer lors de cette journée anticolonialiste. Abdoulaye Wade fait un exposé sur la situation dans les pays colonisés, mais c’est Jean Ponçot, responsable universitaire de la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) qui fait part de la solidarité des étudiants français à ceux qui luttent pour l’indépendance et plus particulièrement aux étudiants algériens qui viennent d’adhérer à l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) créée en juillet 1955.

L’action sans équivoque menée, à Besançon, par la JEC pour la paix en Algérie par la négociation vaut à Jean Ponçot d’être appelé à l’équipe nationale de la JEC, où il est chargé des questions d’outre-mer dans la branche universitaire.

C’est donc Gaston Bordet qui à l’automne 1956 prend la direction des étudiants bisontins favorables à la coopération avec les étudiants d’outre-mer dans la lutte pour reconquérir l’AGEB. Après une assemblée générale, présidée par Yves Calais, la victoire est complète alors que les luttes entre partisans de l’Algérie française et ceux de la négociation deviennent de plus en plus vives.

Gaston Bordet redonnera vie, avec fermeté, à l’amitié traditionnelle entre étudiants bisontins et “ceux d’outre-mer”. Aussi va-t-il être appelé à l’Union nationale des étudiants de France pour y diriger la politique outre-mer du syndicat national des étudiants. C’est donc le second responsable jeune qui doit partir à Paris pour y développer une politique cohérente sur la décolonisation.

Jacques Duquesne, Président du Conseil français des mouvements de jeunesse (qui réunit une partie importante des organisations de jeunesse) choisit Besançon pour le congrès national qui se prononce, pour la première fois, en faveur de la décolonisation.

La démission de l’équipe nationale de la JEC, suite aux conflits qui opposent les dirigeants de ce mouvement catholique à l’Assemblée des évêques sur l’engagement politique que représente la lutte pour la décolonisation, donne à Jean Ponçot l’occasion de revenir à Besançon et de succéder à Gaston Bordet à la présidence de l’AGEB en décembre 1957.


Un procès exceptionnel

Le 8 décembre 1957, la police perquisitionne, à la cité universitaire, les chambres de deux étudiants tunisiens, Nourredine Bouarroudj et Ali Maamar. Dans la même journée, un étudiant algérien Mohamed Benabderramane, est arrêté à Besançon.

Il est porteur d’une lettre adressée à Salah Laouedj, membre du F.L.N. résidant à Genève où il s’est réfugié. Cette lettre a été écrite par une étudiante bisontine, originaire de Belfort, arrêtée elle aussi. Ils sont accusés d’être des agents de liaison du F.L.N.

Francine Rapiné, alors en première année d’études à la Faculté des lettres de Besançon, est ainsi la première étudiante métropolitaine à être poursuivie pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, en compagnie du Pasteur Mathiot de Belfort accusé d’avoir fait passer en Suisse Salah Laouedj.

Le président de l’Association des étudiants de Besançon, élu quelques jours plutôt, fait immédiatement des démarches en faveur des étudiants arrêtés auprès du commissaire central de police, de l’UNEF et des autorités universitaires. Grâce à l’appui du doyen de la Faculté des lettres de Besançon, Lucien Lerat, il obtient, au bout des deux mois d’instruction, un droit de visite pour porter à la prison les cours et les devoirs à Francine Rapiné.

Le procès des inculpés s’est déroulé en mars 1958. Il aura un retentissement international.

Paris-Presse l’Intransigeant écrit en première page : « il s’agit n’en doutons pas d’un procès exceptionnel puisque, pour la première fois, des Français de souche sont accusés, en France, devant des juges français, de collusion avec la rébellion algérienne ».

Ce procès aura un rôle pédagogique considérable sur l’opinion publique française, malgré les peines de prison infligées par le tribunal de Besançon. L’un des défenseurs des trois accusés, Me Albert Kohler, radical de gauche, très proche de Mendès France, est adjoint au maire de Besançon. Au nom de ses clients il ne nie pas les faits, mais il montre, qu’au-delà des conformismes, leur engagement procède d’un humanisme universel qui porte en lui un gage de paix et de réconciliation pour l’avenir.

Les peines s’échelonnent entre 2 mois de prison pour Benabderramane et 3 ans pour Francine Rapiné. Le lendemain, 15 mars, B. Poirot Delpech écrit dans Le Monde que « ce jugement est la condamnation des symboles de l’amitié franco-musulmane ».

L’action de l’AGEB se développera à chaque arrestation d’étudiants algériens. Le gouvernement dissout l’UGEMA le 27 janvier 1958. Dès le lendemain matin les policiers perquisitionnent la chambre du président de l’UGEMA, Hamid Hamrakroua, à la cité Canot, et celle de Mohamed Boutaïeb qui loue une chambre chez le directeur de la Banque de France, rue de la Préfecture. Les étudiants arrêtés seront vite relâchés, suite à l’action de l’AGEB. Les inspecteurs n’ont rien trouvé lors des perquisitions : Bernard Laude, étudiant en chimie, membre de l’AGEB avait été chargé, la veille, de mettre en sécurité les papiers de l’UGEMA au grand séminaire, dans la chambre du Père Joly, professeur de mathématiques au lycée Saint-Jean.

Mohamed Benabderramane, condamné à 3 mois de prison pour être porteur d’une lettre en titre du F.L.N, durée entièrement couverte par la détention préventive, est libéré à la suite de son procès le 15 mars 1958. Mais il a été immédiatement transféré, par décision du ministère de l’Intérieur, au camp d’internement de Mourmelon. Nouvelles démarches de l’AGEB auprès des autorités universitaires et de l’Education Nationale. Une motion est votée au congrès de l’UNEF, réuni à Marseille pendant les vacances de Pâques 1958, pour exiger sa libération. Elle sera effective quelques semaines plus tard.


Une action poursuivie avec opiniâtreté

Le président de l’Association des étudiants de Lyon, a écrit à son homologue bisontin qu’un étudiant lyonnais, Zeraïa El Hadj, a été transféré à Besançon suite à sa condamnation pour activités anti-nationales. Torturé, semble-t-il à Lyon, sa santé apparaissait fragile. Mais suite à une visite au préfet du Doubs, un droit de visite permanent fut délivré au profit du président de l’AGEB. A partir du 11 juin 1958, il lui rendra 25 visites entre cette date et celle du transfert du détenu à la prison de Loos, près de Lille. La relation deviendra alors épistolaire.

La 4ème République s’est effondrée en mai 1958. Le général De Gaulle revient au pouvoir. Si rien ne change au début, l’évolution vers l’autodétermination permettra de nouvelles avancées.

En novembre 1958 les élections portent à la présidence de l’AGEB Michel Chaffanjon un ami de Jean Ponçot, qui, alors, est élu à la présidence de la section bisontine de la MNEF, la mutuelle des étudiants. La collaboration entre les deux responsables est parfaite.

Ainsi fut préparé un dossier de libération conditionnelle, à mi peine, pour Francine Rapiné en avril 1959, comme le permet la loi. Mme Carrez, professeur au lycée Pasteur, avait noué des relations étroites avec Joseph Rovan (écrivain français de la revue Esprit, connu pour ses ouvrages sur l’Allemagne d’après-guerre) lorsqu’elle avait été chargée en 1945 de recréer des relations culturelles dans la zone d’occupation française en Allemagne.

Joseph Rovan s’engage à soutenir le dossier devant son ami le garde des sceaux Edmond Michelet, ancien déporté et sensible au drame du conflit algérien. Mais la demande de libération conditionnelle fut dérobée sur le bureau du ministre et renvoyée à Besançon avec un refus signé du directeur de l’administration pénitentiaire.

En accord avec Joseph Rovan il fut décidé qu’une demande de grâce présidentielle serait remise en main propre à Edmond Michelet. Celui-ci la confia à Geneviève De Gaulle, la nièce du Général pour demander directement au Président de la République sa signature. Ainsi Francine Rapiné put sortir de prison le 23 mai 1959.

Entre temps, le 26 avril, l’abbé Chays venait chercher chez lui Jean Ponçot : des ouvriers algériens, arrêtés dans un café de Battant avait été transférés, avec un étudiant algérien Rouchdy Terki, à la Citadelle de Besançon, encore propriété militaire, bien qu’inoccupée. Que pouvait-il se passer derrière les murs des remparts de Vauban ? L’inquiétude était grande. La moto de l’abbé franchit, à vive allure, les rues de la ville, en direction de la Citadelle, mais là, la police refusa toute communication avec les détenus. L’AGEB entreprit les démarches habituelles auprès du commissaire central de police, de l’UNEF, et auprès du Garde des Sceaux.

Cinq jours après l’étudiant était libéré. Ce fut un peu plus long pour les ouvriers, qui furent remis à un juge d’instruction, mais libérés progressivement : la procédure révéla un dossier sans élément déterminant.

La peine de Zéraia el Hadj se terminait en mai 1959. L’assistante sociale de la prison de Loos avertit Jean Ponçot que le détenu libéré prendrait le train pour Besançon le 26 mai et qu’il arriverait à la gare Viotte. Au train indiqué, il n’était pas là. Contacté immédiatement, par téléphone, le directeur de la prison de Loos confirme que le détenu a été libéré comme prévu, mais il dit ignorer ce que cet homme est devenu par la suite.

Démarche de l’AGEB auprès de l’UNEF, du ministère de l’Education nationale et surtout auprès du garde des sceaux Edmond Michelet par l’intermédiaire de Joseph Rovan. Au bout de 5 jours un télégramme de Zeraia annonçait son arrivée à Besançon. En fait, dès sa sortie de prison il avait été arrêté et enfermé dans les caves de la préfecture de Lille en attendant son transfert dans un camp d’internement.

Il fut admis à la cité universitaire de Besançon, malgré l’opposition du directeur et grâce à l’intervention personnelle de Michel Chaffanjon, à Paris, auprès du Recteur Babin, directeur du Comité national des œuvres universitaires et scolaires qui avait été résistant avec son père mort en déportation.

Mais Zeraia était perpétuellement inquiet : il fut décidé quelques mois plus tard de le passer en Suisse. Jean Ponçot rencontra, à Lausanne, Reda Malek qui centralisait les questions étudiantes pour le FLN. Le transfert eu lieu lors d’un voyage touristique du Centre de linguistique appliquée (C.L.A.), au milieu d’une quarantaine d’étudiants appartenant à de très diverses populations étrangères, sans aucune difficulté.

Nous sommes désormais en 1960 : la politique algérienne du gouvernement s’est profondément modifiée. Ainsi, grâce à la qualité des rapports et des dialogues de confiance et d’amitié qui se sont noués à Besançon entre Algériens et Français, tant dans le milieu ouvrier que dans le milieu étudiant, notre ville a été à l’avant-garde du combat pour la paix en Algérie et l’édification de nouveaux rapports entre les deux peuples.

Contribution de Jean Ponçot in « les Nord-Africains à Besançon », éd Ville de Besançon juin 2007

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