D’après Jean Carbonare, les premiers Algériens arrivés à Besançon étaient d’anciens soldats de l’armée de Libération qui, démobilisés en Alsace, s’étaient repliés vers le sud.
Un certain nombre avait trouvé du travail dans le Pays de Montbéliard. Les autres avaient reflué sur Besançon et y cherchaient des emplois.
Avant la Seconde guerre mondiale, Besançon (63 000 habitants) comptait 5 % d’étrangers, essentiellement des Italiens et des Suisses. Mais aucun Nord-Africain. On pouvait d’aventure croiser un marchand de tapis, portant sa marchandise sur l’épaule et la proposant de porte à porte, ou encore un marchand de cacahuètes parcourant les rues en interpellant d’éventuels clients. Mais peu étaient installés de façon permanente, semble t-il.
Après la guerre, le recensement général de la population de 1946 ne mentionne la présence d’aucun Nord-Africain. Ce qui n’exclut pas leur présence : l’Algérie était alors un département français, il n’y a pas d’Algériens dans les statistiques.
Arrivée des Algériens
C’est Jean Carbonare qui, le premier, en 1948, entra en contact avec des Algériens dont l’allure misérable l’avait frappé.
Misère
Ils s’étaient réfugiés un peu partout : dans les casemates, nombreuses dans les anciennes fortifications qui enserraient les quartiers de Battant et Charmont, dans les bâtiments désaffectés des anciennes soieries, près de la gare de la Mouillère. D’autres s’étaient construits des abris de fortune, ouverts à tout vent.
En 1950, l’hebdomadaire communiste Le peuple comtois s’indignait de la façon dont étaient exploités les ouvriers algériens travaillant sur les chantiers ouverts à Besançon pour enterrer les lignes téléphoniques. Quelques années plus tard, en 1953, Henri Huot(2), dans un article du quotidien Le Comtois, dénonçait “La grande misère des Nord-Africains”.
Mais la première mention officielle de la présence d’Algériens à Besançon, se trouve dans le rapport d’un inspecteur de la “Main-d’œuvre des transports”, datant de 1951(3). Ce rapport fait état des conditions scandaleuses dans lesquelles étaient hébergés 65 Algériens travaillant à la réfection des voies ferrées pour le compte d’une entreprise lyonnaise. Parqués aux abords de la gare de triage, dans des baraques et des wagons d’une “saleté repoussante”, ces Algériens vivaient dans des conditions d’hygiène et de confort épouvantables.
L’AATEM
C’est en 1952, sur l’initiative de Jean Carbonare, auquel s’était joint Henri Huot et l’abbé Chays(4), que fut créée l’Association d’accueil aux travailleurs algériens qui prit, en 1962, le nom d’Association d’accueil aux travailleurs étrangers et migrants (AATEM).
Cette association s’attela aux tâches les plus urgentes qui, à cette date, concernaient l’hébergement des Algériens. L’administration des Ponts et Chaussées édifia des hangars dans les fortifications, en haut de Battant(5), à la Mouillère, et aménagèrent sommairement la Tour carrée qui, à Battant, domine le square Bouchot. A défaut de confort, les Algériens y trouvèrent des gîtes un peu plus décents que les casemates.
Recensement de 1954
C’est lors du recensement de 1954 que les Algériens sont, pour la première fois, officiellement répertoriés parmi les habitants de Besançon. La population de la ville, qui se monte à 73 500 habitants, compte parmi elle 5 % d’étrangers. Toujours en tête, les Italiens (plus de 1 000) et les Suisses (presque 800) et, en troisième lieu : les Algériens (presque 300).
La plupart de ces Algériens (90 %) sont présents en célibataires. Ils résident principalement dans des locaux spécifiques aménagés à leur intention. Les hangars et la Tour Carrée de Battant en abritent environ cent vingt-cinq et le “dortoir des Algériens”(1), rue Clémenceau, une cinquantaine, tous de Khenchela dans les Aurès. Les autres vivent dispersés, dans des immeubles plus ou moins dégradés du quartier de Battant-Arènes, ainsi que dans la Boucle.
Quelques-uns, cependant, sont en familles. Une dizaine ont une épouse française et on recense quatre familles algériennes.
Si certains Algériens demeurent encore dans les casemates ou ailleurs, ils n’ont pas été touchés par les agents du recensement.
Au cours de cette période héroïque, il ne faut pas oublier l’action de Mademoiselle Karrer, directrice de l’école d’Arènes qui, pendant des années, consacra ses soirées à donner des cours aux jeunes Algériens qui désiraient apprendre à parler, à lire et écrire en français.
Après 1955 : appel à la main d’oeuvre étrangère
A partir des années cinquante-cinq, la situation évolue rapidement.
Pour remédier à la terrible crise du logement qui – comme dans toute la France – sévit à Besançon, s’ouvrent d’énormes chantiers de construction. On bâtit de grands immeubles en copropriété et surtout les cités HLM :
– Montrapon, Palente, Orchamps (1953-1962),
– Les 408 (1958-1961),
– Clairs-Soleils (1965-1968),
– Fontaine-Ecu – Chaillot (1964-1966),
– Planoise, dont l’étude commence dans le début des années 60 et qui sera mis en chantier plus tard.
Les besoins en main-d’œuvre sont donc considérables, et l’on fait appel aux travailleurs étrangers.
En 1962, Besançon (96 000 habitants) compte environ 5 000 étrangers, dont : 2 090 Italiens, 1 030 Algériens (dont 120 femmes) et 490 Espagnols.
En 1968, la ville, qui atteint 113 300 habitants, recense 6 800 étrangers, dont : 2 300 Italiens, 1 320 Algériens (dont 320 femmes), 1 100 Espagnols et 230 Marocains.
En 1975, pour une population totale de 120 000 habitants, on dénombre plus de 10 000 étrangers. A cette date, les Algériens constituent le groupe étranger le plus important (2 100). Les Marocains, au nombre de 1 000, n’arrivent qu’en cinquième position, derrière les Portugais, les Italiens et les Espagnols. Les Tunisiens, qui ne seront jamais très nombreux à Besançon, ne sont que 265.
Le regroupement familial étant largement amorcé, le pourcentage du nombre de femmes par rapport au nombre d’hommes est en progression constante.
Le logement
Se pose alors pour ces immigrés le problème du logement. Il est très difficile : certains travailleurs, même en famille, ne trouvent que des caves, des garages ou des masures délabrées. L’action de l’AATEM fut fondamentale en ce domaine. Sur l’initiative de l’association, tout un dispositif d’hébergement fut mis en place, soit dans des bâtiments dont elle était propriétaire ou gestionnaire, soit dans des cités de transit, constituées de baraquements de type Adrian.
Le Foyer Clémenceau pour célibataires fut ouvert dans les années 1955-1956, et, dans le même temps, des cités de transit pour les familles aux lieux-dits “La Pelouse” à Saint-Ferjeux et aux “Founottes”.
Les baraquements des “Founottes” furent remplacés en 1969 par des pavillons “en dur”, ceux de la “Pelouse” démantelés en 1973. Les Tours Amitié I, Amitié II et III, pour les célibataires et pour les familles, furent édifiées à Saint-Ferjeux entre 1967 et 1974. Aux Montarmots, des immeubles sont construits pour accueillir les musulmans français rapatriés d’Algérie (1965).
Parallèlement, l’association concluait des conventions avec les offices d’HLM pour réserver un certain nombre de logements. Ainsi, les familles commençaient à se disperser dans la ville, soit dans les vieux quartiers aux logements vétustes et sans confort, mais bon marché, soit dans les HLM.
in « les Nord-Africains à Besançon », éd Ville de Besançon juin 2007. Contribution d’Alain Gagnieux et Colette Bourlier.