« À l’origine, les bâtiments abritaient nombre de cadres, d’enseignants et d’employés de chez Lip et de la Rhodia. Les difficultés économiques rencontrées par ces deux entreprises ont bouleversé la structure sociale du quartier et entraîné beaucoup de départs compensés par l’arrivée massive d’immigrés ».
Pour les plus plus anciens, la question ne se pose même pas : ils ne sont pas nés aux Clairs-Soleils mais chemin de Fontaine-Argent ou de Chalezeule. Ce n’est, en effet, qu’au moment des premières constructions d’immeubles, au milieu des années 60, que le secteur a été baptisé du nom d’un lieu-dit, situé au pied
du bois de Saint-Paul et réputé bénéficier d’une remarquable exposition solaire. Depuis des lustres, sur ce périmètre champêtre, cohabitaient paisiblement fermes (Pétrement, Billerey), jardins (Vichet), vergers et rares habitations éparses. « On se connaissait tous, se souvient Monique Martin, 89 ans, qui réside toujours dans la maison de ses parents. Nostalgique de cette période, l’ancienne employée du logement-foyer voisin, construit sur le site de la propriété Circoulon-Sandoz rachetée par la Ville en 1961, évoque également les sources, les fontaines et le lavoir de son enfance, aujourd’hui oubliés, ainsi que le long trajet pour se rendre à l’école des Chaprais. Dans ma jeunesse, il n’y avait pas de transport en commun et peu de voies de communication. Ainsi pour nous rendre à Bregille, il n’existait que le seul chemin de la Brème. »
Arrivée en 1952 avec sa petite famille, Marie-Louise Monin a gardé un bon souvenir des six années passées dans une des baraques que l’immédiat après-guerre avait installées provisoirement sur le futur site du PSR du bas. Baptisées Adrian, en référence à l’intendant militaire qui les conçut, ces constructions de brique et de bois, au nombre d’une petite dizaine, abritaient chacune trois appartements. « On ne trouvait pas de logements à Besançon. Aussi nous n’avons pas hésité à quitter notre garni insalubre de Battant pour emménager dans une de ces baraques. On n’avait pas l’eau courante ni de sanitaires mais on pouvait respirer au grand air et cultiver un petit jardin. Le tout formait un village miniature où soufflait un esprit de solidarité. Vraiment, j’ai apprécié de vivre là jusqu’à notre départ en 1958 pour le quartier nouveau de Palente.»
Confrontée à une augmentation massive de population – + 50000 habitants entre 1946 et 1968 ! –, Besançon n’eut d’autre choix que de se lancer dans l’urbanisation de nouveaux espaces. Après Palente, Montrapon et Planoise, les Clairs-Soleils, à leur tour, allaient se transformer en un gigantesque chantier d’où émergèrent bien vite 13 immeubles pour un total de 526 logements, en majorité des T4, édifiés selon les normes HLM. Même bien loin de nos exigences de confort moderne, ceux-ci firent le bonheur d’autant de familles qui, pour la plupart, n’avaient jamais disposé de salle de bain.
Cette appropriation initiale du quartier coïncida à quelques mois près avec la nomination en juin 1966 par Mgr Lallier de l’abbé Michel Jaccasse, chargé de fonder la paroisse des Clairs-Soleils. Erigée en novembre de la même année, celle-ci ne demeura pas longtemps dépourvue de lieu de culte. Financée pour moitié (30 millions de centimes) par le diocèse et, pour l’autre, par un emprunt bancaire, remboursé en partie grâce aux bénéfices de deux kermesses annuelles et à une souscription permanente, Saint-Paul des Clairs- Soleils, bâtie selon les plans d’un architecte suisse protestant, M. Reiner-Senn, accueillait sa première messe en mai 1967. Il n’avait fallu qu’un minimum de temps au dynamique curé pour négocier l’achat de l’ancien café des Tilleuls, trouver à reloger décemment ses deux locataires et engager les travaux de démolition-reconstruction exécutés par l’entreprise Baronchelli. «À l’époque, la paroisse comptait 4 000 âmes dont énormément d’enfants. La vie en communauté se passait plutôt bien », se rappelle celui qui, durant cinq ans, résida au beau milieu de ses ouailles, dans l’immeuble baptisé « La Banane » en raison de sa forme.
À la rentrée scolaire 1969, un autre personnage-clé de l’histoire des Clairs-Soleils entrait en fonction : René Pourcelot. Parachuté principal du collège sans être vraiment demandeur, l’ancien professeur de lettres du lycée Montjoux allait voir sa vie professionnelle transformée à la rentrée scolaire 1969. «Au départ, je ne pensais faire qu’un ou deux ans et, pour finir, j’y suis resté jusqu’en 1986, raconte ce natif du Haut-Doubs, témoin avisé des mutations du quartier. À l’origine, les bâtiments abritaient nombre de cadres, d’enseignants et d’employés de chez Lip et de la Rhodia. Les difficultés économiques rencontrées par ces deux entreprises ont bouleversé la structure sociale du quartier et entraîné beaucoup de départs compensés par l’arrivée massive d’immigrés. Là même où avaient régné entraide et convivialité, les tensions se faisaient plus vives et plus palpables. Au niveau du collège, nous avons vécu des moments difficiles mais, en ne relâchant jamais nos efforts, nous avons fini par éradiquer ces problèmes. » Un authentique satisfecit pour l’ensemble du personnel, enseignant ou non, d’un établissement qui, en 1973, comptait onze classes de 6e dont une section d’éducation spécialisée et accueillait 1 150 élèves en provenance des écoles élémentaires Jean Macé et Tristan Bernard, bien sûr, mais également de la périphérie bisontine (Thise, Novillars, Ecole, Pouilleyles- Vignes, Morre, Saône…). Domicilié depuis 1962 sur le quartier, René Pourcelot ne cache pas avoir vécu une belle aventure marquée par d’enrichissantes rencontres, d’enviables créations (centre de documentation, salle de spectacle audio-visuel, piscine, parcours dans la forêt, plantations…) et, tient-il à souligner, par d’excellents rapports avec les municipalités successives et, en particulier, avec des élus comme Georges Vauthier, Jean Boichard, Jean Defrasne et Robert Schwint.
Dégradation continue des conditions de vie, tensions sociales, promiscuité, petite délinquance, inadaptation des équipements, absence de structures d’accueil… : le ras-le-bol croissant de la population finit par s’exprimer en 1978 à travers un « Livre bleu » brossant un tableau accablant de la situation aux Clairs-Soleils, rebaptisés volontiers « Petit Chicago » par certains. Rédigé par des habitants, des associations, des travailleurs sociaux et des animateurs avec, en première ligne, Christine Musard et Odile Chopard, ce document d’une centaine de pages et d’une cinquantaine de photos fit l’effet d’un véritable électrochoc auprès de l’équipe municipale en place et de l’Office HLM. Porté à la mairie l’année précédente, Robert Schwint décida alors d’engager une procédure globale de rénovation : l’opération HVS (Habitat et Vie Sociale). Lancés en 1982 pour une durée de cinq ans, les travaux, répartis en trois phases, portèrent sur la réhabilitation des bâtiments tant intérieure qu’extérieure, l’aménagement d’espaces verts, la construction d’une MPT (Maison pour tous), l’ouverture de locaux sociaux et le remplacement des chaudières avec, à la clé, de fortes baisses de charges. Pendant un temps, le secteur avait, semblet- il, retrouvé sa tranquillité originelle. Une embellie illustrée par une activité associative relancée dans de multiples domaines (sport, musique, culture, loisirs…), les cours de soutien scolaire très suivis au collège classé depuis 1981 en ZEP (zone d’éducation prioritaire), les fresques murales réalisées par les enfants, les actions de prévention conduites par l’association nouvelle « Clairso » ou encore la diffusion à partir de fin 1992 du journal « L’Éclair-Soleil ».
Hélas, les efforts de la Ville et de l’Office HLM pour conforter le caractère résidentiel du quartier souffrirent rapidement de la paupérisation grandissante, et des tensions quotidiennes. Les dysfonctionnements sociaux reprirent de plus belle, laissant au bord du chemin nombre de bonnes volontés impuissantes et désabusées malgré un soutien accru aux associations, l’implantation en 1991 d’une agence décentralisée de l’Office HLM, et l’installation d’un Point public en 1999. Le dépôt d’un dossier de candidature à l’obtention de crédits du ministère de la Ville en 2001, dans le cadre de l’ORU (opération de renouvellement urbain), mit en exergue la volonté de l’équipe nouvellement élue de Jean- Louis Fousseret de s’attaquer résolument au problème. Résultat : en juin 2005, en application de la loi de rénovation urbaine de 2003, le PRU (programme de rénovation urbaine) des Clairs-Soleils entrait dans sa phase opérationnelle.
Deux ans plus tard, le Mirabeau, la Banane et la Tour 106 (en attendant, d’ici quelques semaines, le PSR du bas), soit un total de 232 logements locatifs publics, ont été rayés de la carte, de même que le Logement-foyer et ses 88 places. En contrepartie, d’ici 2010, auront été engagés ou achevés la reconstruction de 353 logements dont 117 locatifs privés, 192 locatifs publics et 44 en accession, la réhabilitation/restructuration de 145 locatifs publics, la requalification de la voirie et la création d’une place centrale de 3 900 m2, accueillant activités commerciales et services, la réalisation et l’amélioration des équipements publics, l’extension de la bibliothèque et l’aménagement du parc adjacent, ainsi que la vente aux locataires qui le souhaitent des appartements de la Tour 110. Coût de cette vaste et indispensable opération conduite également en parallèle à Planoise : 40 M e, co financés par la Ville, la CAGB, le Département, la Région, l’Etat, les bailleurs sociaux, la Caisse des Dépôts et Consignation ainsi que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Un investissement à la mesure des enjeux : remodeler un espace urbain cohérent et effacer, grâce à une attractivité renforcée, l’image négative véhiculée depuis trop longtemps par un quartier atypique avec ses collines « aux milliardaires » (chemin des Bicquey) et « aux millionnaires » (en bordure de Bregille) sur les ailes, et son axe central (rue de Chalezeule) bétonné et populaire. Le tout, bien évidemment, en s’appuyant sur le Conseil de quartier, coprésidé par Areski Mebarek et Abdel Ghezali, et un tissu associatif dynamique et responsable à l’image d’AFL Clairs-Soleils football avec Brahim Belkaïd, du Réseau d’échanges réciproques de savoirs avec Monique Valois, d’Ici et d’Ailleurs (voir encadré), des Ateliers Musicaux ou encore de Croqu’Soleil, en charge de l’Epicerie sociale.
Extrait du B V V, septembre 2007