Au Soudan, c’est moi qui aidait les autres.

«Je suis en France pour préparer mon doctorat ». «Mes premiers pas en France datent de 1999. Je suis venu à Besançon après mes études dans mon pays, je suis resté un an et j’ai obtenu mon Master 1 en Sciences du Langage».


Quelque part, dans une épicerie sociale… Dans la salle «d’attente», il y a une vingtaine de personnes. Chacune tient dans ses mains un petit carton avec un numéro de passage lui permettant d’obtenir une aide alimentaire. Les bénévoles appellent les personnes, une par une : «Numéro 5… Numéro …»
Aujourd’hui je suis là pour faire découvrir aux personnes le site Migrations. Je me présente. Quelques sourires timides, des regards interrogateurs, des sourcils qui se froncent. Peu à peu la confiance apparaît sur les visages. On discute.

Ensuite, j’ai encore du temps et le « numéro » 18 aussi…
Je lui propose de me raconter son parcours de vie. Il vient du Soudan. Je lui parle simplement ; je pense qu’il ne comprend pas très bien le français.

« Je m’appelle …, dit-il, je suis étudiant en Sciences du Langage»… Un français parfait ! Un homme d’apparence calme. Son âge ? Son visage ne permet pas de le deviner, mais je dirais une quarantaine d’années…
« Je suis en France pour préparer mon doctorat », poursuit-il. «Mes premiers pas en France datent de 1999. Je suis venu à Besançon après mes études dans mon pays, je suis resté un an et j’ai obtenu mon Master 1 en Sciences du Langage. Ensuite,  encore un «saut» en  France, en 2008 jusqu’en  2009, pour obtenir mon Master 2 dans le même domaine.
Depuis le mois de septembre 2011, je suis à nouveau ici et je prépare mon doctorat en trois ans. Je suis venu cette fois-ci avec ma femme et nos trois enfants.

Voulez-vous vous installer en France ?
(Il esquisse un sourire, comme s’il avait déjà entendu cette question.)
«Non, non…ma philosophie est de vivre dans mon pays, entouré par des  gens que je connais. Parmi mes proches, mes voisins. Vous savez… vivre hors de son pays c’est comme perdre un temps qui ne reviendra jamais. Un temps pendant lequel vous ne voyez pas ceux qui vous aiment, vous ne voyez ni leurs malheurs ni leurs bonheurs ! Vivre «ailleurs» m’explique-t-il c’est comme casser un collier, perdre des perles, les remplacer par autre chose, mais le collier n’est plus jamais pareil…
Au Soudan je suis professeur de français. J’ai  l’obligation morale de continuer à contribuer à l’éducation des jeunes, mais aussi aux changements dans mon pays. Ma femme…elle a fait aussi des études supérieures. Elle a un Master en Sciences Politiques.

Je «pars» un peu avec lui au Soudan et je comprends mieux…
«Numéro 16», dit la bénévole. Il faut «revenir» à Besançon. Bientôt, ce sera son tour de prendre son sac à la banque alimentaire. Il poursuit :

«Les premiers jours à l’étranger sont toujours les plus difficiles…Cependant, ici on peut s’adresser à quelqu’un et on est aidé. Il y a du respect pour chacun…Une main  qui se tend.  Chez nous, au Soudan les «pauvres» sont méprisés. Ici il n’y a pas de jugements.» Il est ému…
«Une amie m’a parlé de la possibilité de bénéficier d’une aide  ici. C’est la première fois que je demande une aide alimentaire. Au Soudan, j’ai une situation plutôt confortable…une maison, une voiture, du travail. Là-bas c’est moi qui aide les gens. Ici, dans un petit appartement, avec ma bourse d’étudiant et la paie de mon pays …, c’est très difficile de m’en sortir, avec la famille…»

La discussion se poursuit, je ne prends plus de notes… Excepté à la fin, lorsqu’il me dit, tel un philosophe : «Je suis soulagé de parler avec quelqu’un, j’étais si stressé, j’avais peur, j’avais honte…».

«Numéro 18», dit la bénévole en souriant. Il se lève. On se salue. On se sourit. J’ai encore des questions, mais peut être pour une prochaine fois… Lui, il est sur plusieurs fronts : la survie et la préparation de son doctorat.

Témoignage recueilli en avril 2012 par Tanja Nikolova

Soudan

Besançon, France

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