Bita, Iranienne, depuis 34 ans à Besançon

Je suis Iranienne. Je suis née à Téhéran le 1er novembre 1953.
On était 2 soeurs. Je viens d’une famille assez aisée. Mon père était cadre, conseiller de 5 ministres du shah.


Il enseignait à la fac de sciences sociales et de sciences ; il donnait des cours de statistiques, il écrivait pas mal d’articles. Il a continué en France. Il était dans l’opposition à Khomeiny. C’est un peu compliqué en Iran. Je viens d’une famille plus intellectuelle que pro-shah. Comme il était cultivé, il a trouvé une bonne place. D’ailleurs, quand il était jeune, mon père était dans le parti communiste qui était interdit en Iran. J’ai même un oncle par alliance qui a été fusillé du temps du shah. Il était plus contre Khomeiny que contre le régime du shah. Mon père disait que quand on regarde l’histoire de l’Iran, les religions ne nous ont jamais amené quelque chose de bien. Il était un peu  contre les religions, libre-penseur, mais il nous laissait, il ne nous a jamais interdit la pratique religieuse.
Moi-même, quand j’étais adolescente, j’étais dans uns école française catholique. Une prof venait avec le tchador. Elle nous a influencées. Je priais 5 fois par jour, je faisais le ramadan. Mon père me laissait faire, il ne m’a jamais interdit. C’est par moi-même que, plus tard, j ‘ai arrêté.
Ma mère, elle croit en Dieu, sans être dans les extrêmes.
Même ma grand-mère savait lire et écrire. Notre famille était en avance. Ils n’ont jamais eu de mariage arrangé, ni ma mère, ni ma grand-mère. Elles ne se sont pas mariées très jeunes, contrairement à ce qui se faisait dans le temps.

Ma mère était instit. Elle adorait la langue française depuis toute petite. A l’école, elles étaient une minorité à choisir le français. C’était surtout l’anglais. Elle nous a mises, ma soeur et moi dans une école française, catholique, très très stricte au niveau du règlement. On avait des uniformes, des chemisiers blancs, des cols blancs, les cheveux attachés, des bas blancs. On n’avait pas le droit de porter des chaussures ni des chaussettes de couleur..C’était vraiment triste..
J’ai fait toute ma scolarité, primaire et secondaire là-bas. J’ai eu un bac en maths, mais j’ai trahi les maths, je voulais être interprète. Je suis allée à la fac, j’ai fait une licence de littérature française.

Quand je suis venue en France, c’était pour retourner en Iran et y enseigner le français.
J’ai passé un concours à l’Institut franco-iranien à Téhéran, j’ai eu une bourse. On était 2 à réussir. On a atterri directement à Besançon, à la fac. Comme on voulait faire linguistique appliquée, Besançon était réputée pour ça. On a débarqué ici sans connaître personne en septembre 1976, j’allais avoir 23 ans.
J’aime bien Besançon. Je trouve que c’est une très belle ville. J’adore la verdure, ça me change de Téhéran..
Téhéran n’est pas une belle ville. Elle est construite n’importe comment. Il n’y a pas de règlements. Ce n’est pas esthétique. Ce n’est pas vert comme ici. Il n’y a pas de collines. Bon, le problème ici, c’est que c’est humide, il pleut beaucoup, mais, bon, on ne peut pas tout avoir.

J’étais à la Bouloie, je n’avais pas trop de contacts avec les français. Au départ, j’ai connu pas mal d’étudiants étrangers. J’ai eu une copine pakistanaise. Je n’avais pas beaucoup de cours en maîtrise, je n’avais pas beaucoup de contacts. J’ai écrit un mémoire sur les emprunts de français en persan. Après, j’ai voulu continuer avec les emprunts politiques pour le DEA. Mais je n’ai pu continuer avec une thèse à cause des problèmes politiques. Les gens étaient méfiants.
Avec mon DEA, je n’ai rien fait, j’ai eu rien du tout.
J’avais une bourse pour 3 ans. Et je suis là depuis 34 ans !

On pensait chaque année qu’on allait retourner, en Iran,  que le régime allait changer. En 1979, j’avais renvoyé mes affaires en Iran, je voulais retourner là-bas. Je suis même allée à Orly. Mes parents m’ont téléphoné : « retourne à Besançon, on t ‘expliquera ». A Besançon, je n’avais plus de logement, plus rien. Une copine ….m’a laissé sa chambre à la Bouloie en attendant.
J’ai attendu mes parents qui devaient venir . Mon père avait des problèmes de santé et il voulait se soigner en France. Mais il ne pouvait pas sortir. Je suis retournée en Iran pour le mariage de ma cousine Mehra. Elle a fait un très grand mariage avec orchestre, danse, comme dans le temps du shah.
C’étaient les dernières fêtes qu’on pouvait faire mixtes.

Mes parents ont attendu 3 mois pour avoir les papiers pour venir en France, et moi, je suis restée.
L’autre étudiante qui était venue avec moi est partie à Lille pour se rapprocher de son mari qui avait pu venir en Angleterre. Je l’ai perdue de vue ; je ne sais pas si elle est retournée en Iran.

J’ai rencontré mon mari au théâtre de l’Espace, où l’on travaillait tous les deux. Il est franc-comtois. On a fait un mariage religieux en 1986 car ma grand-mère était en France. On voulait se marier à la mairie au printemps suivant, mais cette année-là, l’ambassade d’Iran était fermée pour des problèmes politiques et il me fallait un certificat de célibat que je n’ai pas pu avoir. Du coup, on n’a jamais fait de mariage. Je suis toujours célibataire sur mes papiers. Je peux me marier quand je veux.
Mon mari était cadre au théâtre de l’Espace. Il faisait les formations. Quand le directeur a changé, c’était monsieur Wingler,, son poste a été supprimé. Après un autre emploi, il s’est mis à son compte et l’année prochaine, il sera en retraite.

Je fais quelques heures à l’Espace. J’ai fait un autre travail. Je convoyais des enfants handicapés. Je faisais beaucoup de voyages aller-retour. Puis le directeur m ‘a proposé un mi-temps de ménage que j’ai accepté en attendant autre chose, mais, malheureusement, je n’ai rien trouvé d’autre.

Je ne suis devenue française que depuis un an. Pendant longtemps, je me demandais si j’allais repartir. Mehra, ma cousine, qui avait la nationalité française avait trouvé un travail d’enseignement. Elle me disait de faire comme elle, et, finalement, elle a perdu son travail. J’ai bien fait de garder le mien.
J’ai seulement une fille qui va avoir bientôt 19 ans.  Je pense que dans sa tête, elle est française. Des fois, ses copains lui disent pour la taquiner ; « Ah ! L’étrangère »

Elle a un prénom iranien. Elle s’appelle Micha. Micha et Michaneh sont les anges de créativité…
Normalement, Micha, c’est un prénom de garçon. Moi je disais : « fille ou garçon, ce sera Micha ».
C’est un prénom facile à prononcer, contrairement à beaucoup de prénoms étrangers.
Par contre, elle a eu des problèmes à l’école primaire. Il y avait un dessin animé : « mi-chat, mi-chien ». Elle n’était pas contente : « C’est quoi, ce prénom, j’en ai marre ».

Par rapport à l’Iran, plus on vieillit, plus on repense à ses racines, à son enfance. Il y a des choses qu’on ne peut partager avec un mari français. Par exemple, une poésie, on ne peut pas la traduire, ça perd les finesses qui sont dedans, ou bien une musique traditionnelle de chez moi, je ne peux pas l’écouter avec mon mari, Quand mon amie Azar vient ici, on partage des moments, mais ça nous éloigne de la société où l’on est. On a toujours une petite nostalgie au fond du coeur.

J’ai vécu plus ici qu’en Iran, mais la langue maternelle, ça me manque de ne pas la pratiquer.
Ma fille, dès qu’elle est née, je lui ai parlé en persan. Mon mari n’a jamais voulu apprendre le persan, alors que le mari de ma cousine Mehra le parle.

Ma soeur est partie en Suède. Elle a connu un iranien qui avait 23 ans de plus qu’elle. Elle arrivait à Téhéran après une année passé en France.
Elle a rencontré son mari vraiment par hasard. Lui, il repartait en Suède et ma soeur venait d’arriver. Avec quelques jours d’écart, ils ne seraient jamais rencontrés. Il a demandé sa main. Dans notre famille, ça ne se faisait pas. C’était l’année où mon père était malade.Je pense qu’elle se sentait seule. Elle est partie en Suède pour le connaître un peu mieux. Quelques mois après, elle a écrit qu’elle voulait se marier.  Mes parents n’étaient pas d’accord, elle n’avait que 20 ans.
Elle s’est mariée, mais quelques années après elle a divorcé. Elle a une fille qui a 31 ans. Et puis, voilà, elle est restée là-bas. Elle enseigne la langue suédoise aux étrangers. Il y a beaucoup d’enfants immigrés qui arrivent chaque année sans connaître le suédois. Elle leur apprend le suédois et les aide dans les autres matières. Elle vient parfois à Besançon voir maman et nous allons de temps en temps en Suède.
En Iran, j’ai encore des oncles, des tantes. Le voyage ne coûte pas trop cher, mais quand je vais, je vais seule. Comme on n’est pas mariés, je ne peux pas emmener ma fille. Si je rentre en Iran, étant célibataire avec un enfant, je vais être lapidée, selon la charia. Ils sont retournés au temps de Mahomet. Maintenant, Micha aimerait y aller. Avant, ça ne l’intéressait pas, mais maintenant, elle est dans un âge où elle aime bien frimer. Elle connaît une autre langue. Quand elle va voir un film iranien avec des copains, elle comprend le persan, elle n’a pas besoin de lire les sous-titres. Mais pour le moment, elle n’est pas attirée par la littérature, la poésie. Le persan est une langue très très riche.

Au niveau carrière, j’ai raté ma vie. Si j’étais restée en Iran, j’aurais pu avoir un travail. Avec les mollahs, les filles ont pu faire plus d’études car les classes n’étaient plus mixtes. Il y a beaucoup plus de réussite chez les filles que chez les garçons. En Iran, il faut passer un concours pour aller à la fac. Il y a beaucoup de bacheliers et pas beaucoup de facs. Il y a des femmes avocats, dentistes, médecins.
J’aurais eu un bon travail, mais au niveau social, je préfère être ici. Je ne supporterais pas les différences filles-garçons. Et puis, déjà, les histoires de voile, je supporterais mal. Déjà, quand j’étais étudiante, pour les cours d’anglais, j’étais la seule fille car les cours finissaient à 20h.
C’était un peu tard. Je me suis dit : « J’y vais et peut-être d’autres filles viendront ». Si personne ne fait rien, on va rester dans notre condition. Je ne serais pas d’accord avec tout ce qui se passe.

Le shah, il voulait faire beaucoup de choses bien au niveau technologique, mais la mentalité des gens n’avait pas avancé. Khomeiny est venu et les gens l’ont accepté. On ne peut pas faire des pas de géants. Dans le temps du shah, il ne fallait pas se mêler de politique. Il n’y avait qu’un seul parti, on n’avait pas le choix. Quand on était fonctionnaire, il fallait être dans ce parti, mais si on ne se mêlait pas de politique, on était tranquille. Alors que maintenant, les  gouvernement se mêle de tout : la vie politique, la vie sociale, on ne peut aller dans la rue sans voile. L’alcool, les jeux sont interdits. Ils se mêlent de la vie privée des gens. Vous pouvez être arrêté dans la rue.
La vie est très très chère. Les prix augmentent. Les gens vivent avec des devises alors qu’ils gagnent de l’argent du pays. Les fonctionnaires sont les plus perdants car leurs salaires n’augmentent pas. Souvent, ils ont un deuxième travail, un troisième travail. Si vous n’êtes pas propriétaire de votre appartement, les loyers augment sans arrêt.
Je suis allée en Iran en 2008. Quand j’y vais, je ne suis pas la politique, je vais voir ma famille. Mais je vois que les prix ont augmenté, les gens sont mécontents.  

Mes parents sont venus en France pour la maladie de mon père, puis ils sont restés à cause du nouveau régime. Mon père a travaillé dans l’opposition, fait des articles. Il a fait tout ce qu’il pouvait. Il n’est jamais retourné en Iran ; il n’avait plus de passeport. Il pouvait aller dans les pays d’Europe avec un laisser-passer. Mais ma mère, elle rentrait voir ses parents. On avait peur qu’on lui prenne son passeport et qu’elle ne puisse pas revenir.
Mes parents avaient une vie assez confortable en Iran mais ils ont vécu à Paris dans 45 m2 au 11ème étage d’une tour. Mon père avait 60 ans. Il allait être en retraite. L’organisation pour laquelle il travaillait l’aidait un peu. On a vendu notre maison en Iran pas cher du tout car tout le monde quittait le pays. Le régime venait et occupait les maisons vides. On était obligé de vendre vite fait pour avoir au moins quelque chose.

Du temps du shah, une minorité voulait la modernité. Quand Khomeiny est venu, les autres ont pris le dessus. La mentalité n’était pas prête. Le shah, il faisait venir chaque année, à Persépolis, des artistes du monde entier. Il invitait aussi les rois, les présidents. Les gens ne comprenaient pas ce genre de musique, de spectacle, c’était trop moderne. Seulement une minorité faisait semblant de comprendre. La peinture moderne, il y en a plein qui disent : « Ah oui, c’est joli ! »….
… Il y a des gens qui viennent pour voir et d’autres pour se faire voir.
Persépolis est à 800 km de Téhéran. C’était la capitale des Perses.
On a essayé de changer les dates en Iran. Le nouvel an iranien perse est le 21 mars mais on a gardé le calendrier égir, comme les arabes, mais les perses ont un calendrier solaire et les arabes lunaire. Le shah, il avait ajouté à 2500 ans les années de royaume avec son père. C’était un peu compliqué. Il avait changé les dates. Après la révolution, on est revenu à l’ancien système. C’est déjà bien qu’on ait gardé tout ça. Regardez les Égyptiens, avec toute leur ancienneté, ils parlent arabe maintenant. Nous, on a gardé notre langue, avec, bien sur, beaucoup d’emprunts arabes. Au niveau grammaire, le persan, c’est une langue indo-européenne. L’arabe est une langue sémite. Mais au niveau du vocabulaire et de l’écriture, il y a des ressemblances.
Il y a beaucoup de savants, astrologues, artistes faisant des miniatures.

A Besançon, on a fait une association  avec Mehra, mais, après quelques années, on a arrêté malheureusement. Au début, on voulait faire un truc pas politique du tout pour enseigner le persan aux enfants, mais les gens ne viennent pas, ne participent pas. On a fait venir un grand danseur, on fêtait le nouvel an chaque année (nowrouz). C’est la seule chose qu’on a pu garder.
Le nouvel an iranien, c’est le 21 mars, à la seconde près. On met 7 choses sur la nappe qui commencent par le son « s » en persan. C’est symbolique, pour que l’année soit féconde. On féconde des graines de blé (sabzeh). On les garde 12 jours sur la nappe et le treizième jour, c’est férié en Iran, on va à la campagne jeter le blé dans l’eau courante.
Comme à Pâques, on peint des oeufs, on met des pièces pour que l’année soit riche. La jacinthe, c’est notre fleur. Chaque fois que je vois cette fleur, je pense à mon enfance. Les parfums, ça fait voyager.
On met un fruit séché (sendjed) sur la nappe ; c’est le fruit de l’arbre de l’amour  
Souvent, on met des poissons rouges sur la nappe. On dit que quand l’année change, le poisson fait un bond dans l’eau. Quand j’étais petite on allait chez mon grand-père qui avait un bassin et on les mettait là-bas.
Ensuite les gens se rendent visite, on commence par l’aîné de la famille.

Le problème, en Iran, c’est qu’il n’y a pas d’organisation pour remplacer le régime actuel. Il ne suffit pas d’être contre. Il faudrait quelqu’un qui pourrait tout prendre en main.

Je vais voir les films iraniens quand je peux. Je trouve les cinéastes iraniens très courageux. Ici, on ne peut se rendre compte de tout ce qu’ils endurent avec la censure.

Avec mon mari, on a visité pas mal de coins en France. Il est  chauvin. Il aime beaucoup la Franche-Comté. Quand il était au chômage, il n’a pas voulu la quitter.

En France, je me sens chez moi. Quand il y a un match de foot, pour la finale, je soutiens la France.

Propos recueillis par Françoise GAYET, ancien médecin. novembre 2011

Téhéran, Iran

Besançon, France

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