De la Championne sportive à la femme d’affaires

Je m’appelle Isabelle SOME. J’avais 14 ans, et je vivais ma vie de collégienne à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. C’était un âge d’or car, avec mes trois frères, mes amis, et l’ambiance juvénile de notre naïveté, … que de bonheur ! J’étais championne nationale du 100 mètres, une gloire locale. Mon père, dans ses activités agro-pastorales, avait des chevaux qu’il louait aux touristes pour des promenades.


Ce jour-là, alors que la télévision nationale rediffusait des épreuves d’une compétition que j’avais gagnée, deux Européens, Franc-Comtois de surcroît, étaient là pour louer des chevaux. Ils étaient en admiration devant mes performances, et félicitaient mes parents. Ces messieurs étaient des techniciens. Ils installaient des lignes d’électricité dans le pays. Alors, ils m’ont demandé si je ne voulais pas venir courir en France. Quelle idée ! Je n’envisageais pas le moins du monde de quitter ma famille, mes habitudes, non, il n’en était pas question. Il est vrai que j’allais souvent courir dans la sous-région et même au Mali, mais la France, il n’en était pas question. Ils en ont parlé à mes parents. Mon père ne voulait pas, Maman n’avait rien dit. Il faut dire, et il est vrai, que j’étais une star locale et, dans le temps, on ne courait pas pour de l’argent ni pour des cadeaux, mais pour l’honneur de notre ville, de notre pays. Il faut avouer qu’il y avait aussi une raison à mon refus : j’avais très peur des Blancs.

A la fin de leur mission, les Francs-Comtois sont rentrés en France ; ils ont continué à m’écrire, me proposant toujours de venir en France, à Besançon. Ils voulaient m’inscrire dans des clubs d’athlétisme, m’expliquant que j’allais continuer mes études en pratiquant du sport. Cela me déplaisait fort. Cependant, j’étais heureuse de recevoir des lettres qui venaient de France, toutes mes amies m’enviaient et ne comprenaient pas que je puisse décliner une si belle offre. Dans mes réponses, je leur disais que s’ils voulaient vraiment m’aider, ils n’avaient qu’à me fournir des chaussures de sport, des « pointes », car je courais pieds nus. Il me fallait des « pointes » et des collants. Deux ans se sont écoulés, puis ils sont revenus pour d’autres projets. Ils ont encore insisté, et, là, ils avaient un argument de poids : une invitation. M. Robert Schwint, qui était maire de Besançon, m’invitait personnellement à visiter la ville, prendre contact avec différents clubs, puis réfléchir.

Je suis arrivée en 1990 à Besançon, j’ai visité et il m’a été demandé de réfléchir, puis je suis repartie au Burkina terminer mon année scolaire. Enfin, je me suis décidée pour ce projet de sport. Arrivée à Besançon, j’ai opté pour une formation professionnelle en parallèle de mes activités sportives. Pour ces dernières, ça n’allait pas fort. Le milieu sportif dans lequel je baignais était trop snob, sans convivialité et sans chaleur ; je n’ai obtenu ni médaille ni titre en athlétisme. Par contre, c’est en karaté que j’excellais. Je me suis inscrite au P.K.A. (Planoise Karaté Académie). J’ai été championne de Franche-Comté.

J’avais été dirigée à l’époque vers la Mission Locale. Je dois dire que c’est plus mon parcours de battante avec cette institution qui m’a maintenue en France, et pas l’athlétisme comme ça aurait dû être. Je me suis accrochée. J’ai fait des remises à niveau. J’ai passé mon permis de conduire, j’ai fait des formations professionnelles. J’ai un diplôme de travailleur social, je suis aide médico-psychologique.

J’ai donné naissance à deux jumelles, et je suis entrée dans la vie active en 1996. Après plusieurs contrats par ci par là, j’ai finalement été embauchée dans un établissement accueillant des personnes souffrant de déficiences intellectuelles.

En 2OO2, j’ai eu des ennuis de santé qui ne me permettaient plus d’occuper mon poste. Ceci m’a beaucoup affectée, car j’ai éprouvé une certaine injustice… Alors, j’ai décidé de faire autre chose. J’ai fait une formation dans l’import-export, et j’ai créé une entreprise. J’exportais des produits français cosmétiques pour les peaux noires et métissées au Burkina Faso. J’avais remarqué que ce marché était envahi par les produits américains. Ces derniers étaient trop chers pour le pouvoir d’achat local. Quant aux autres produits locaux, ils n’étaient pas assez adaptés et assez finis. Cela causait des catastrophes sur les peaux et sur les cheveux.

Ayant réussi à avoir la confiance des fournisseurs en France, et des grossistes burkinabés, cette entreprise évolue. J’ai formé là-bas une équipe qui suit de près ce travail. Puis, l’an dernier, je suis revenu m’installer à Besançon. Mes filles sont entrées en classe de troisième, et j’ai souhaité qu’elles viennent continuer leurs études ici, à Besançon. Nous avons toutes les trois la double nationalité. Là-bas elles étaient dans un lycée français mais les possibilités d’orientation ne sont pas aussi riches qu’ici.

J’ai donc, depuis quelques temps, ouvert une boutique de produits que j’exporte. Je vends donc en gros et au détail les mêmes produits qu’au Burkina Faso. Il y a dans le magasin un petit salon de coiffure africaine et divers services de soins de beauté. Il m’arrive d’avoir un petit sourire quand je pense à la jeune sportive que j’étais quand j’arrivais à Besançon et à la chef d’entreprise que je suis devenue. Pour me taquiner, mes copines m’appellent « Femme d’affaires.

Témoignage recueilli en avril 2011 par François Zoomevelée

Bobo-Dioulasso, Burkina Faso

Besançon, France

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