Originaire du Soudan, Monsieur Makki arrive à Besançon le 22 août 1962 pour apprendre le Français au CLA (Centre Linguistique Appliqué), grâce à une bourse du gouvernement français, dans le cadre d’accords entre les deux pays. Il a 19 ans, n’a jamais quitté sa famille, et se destine à des études de pharmacie.
Les années d’étude.
« Après neuf mois d’étude du français, j’ai commencé ma première année par un stage dans une officine pharmaceutique chez Monsieur L…Cette année était difficile à cause de mon niveau en français. Il fallait connaître un nombre important de plantes médicinales, de produits chimiques et préparer certains médicaments. Monsieur L. m’a encouragé de manière continue. J’ai réussi ma première année grâce à son aide et à mon travail. »
Arrivé en faculté en deuxième année, Monsieur Makki a beaucoup de difficultés à suivre ses études.
« Travailler les cours, plus le français, j’ai échoué aux épreuves de la deuxième année ! J’ai redoublé, mais j’ai encore raté mes examens. J’étais complètement perdu, le changement de vie, la famille me manquait, la langue, le niveau élevé par rapport à ma formation scientifique de base au Soudan… Normalement, après deux échecs, la bourse s’arrête, mais les responsables du CROUS ont vu que je travaillais, et heureusement, elle a été renouvelée. J’ai persévéré, et finalement j’ai réussi ma deuxième année.»
« En troisième année il y a eu Mai 68. Le gouvernement français a cru que je participais aux manifestations, et on a arrêté de me verser la bourse. Je suis allé trouver le fils L. qui avait ouvert sa pharmacie, et en échange d’heures de travail, il m’a payé ma chambre et le restaurant universitaire. Ma famille pensait que je ne travaillais pas sérieusement et voulait que je rentre au pays. Plus tard, un de mes frères a décidé de m’envoyer de l’argent pour que je puisse arrêter le travail à la pharmacie et me consacrer à mes études.
En quatrième année, on m’a proposé un tiers de poste d’assistant à la faculté de médecine, cela m’a aidé, car avec le temps, les liens avec la famille se distendaient un peu. Pendant mes études j’ai apprécié d’être invité par des familles françaises avec qui j’avais de bonnes relations. C’est important de connaître les gens dans leur vie, pour comprendre la société française »
« Je travaillais beaucoup pour réussir, je sortais peu, j’étais timide, mais j’ai quand même rencontré une jeune fille française, étudiante, on s’est marié. Je ne voulais pas profiter du mariage pour devenir français, j’étais fier d’être soudanais. Quand ma femme a été enceinte, cela m’a donné beaucoup de responsabilités, et j’ai travaillé dur pour ne plus échouer à mes examens. »
Le parcours professionnel.
« A 32 ans j’étais pharmacien. J’ai fait le tour des pharmacies pour trouver du travail, mais on ne m’a pas embauché parce que je suis étranger ! Ma femme, française, blonde, est allée à la pharmacie à côté de chez nous. Justement, le patron partait en vacances et cherchait un remplaçant. Il était d’accord pour me prendre, mais quand il m’a vu, il était surpris, embêté. Apparemment, il ne voulait pas me donner le travail. Il a réfléchi longtemps, puis, comme il avait réservé son avion et qu’il n’avait personne d’autre, il m’a dit : je vais vous mettre à l’épreuve, j’espère que ça ira ! »
« J’ai commencé le lendemain, pendant un mois, je me suis bien entendu avec le préparateur.
Un jour, une dame, à qui je refusais de délivrer un médicament sans ordonnance m’a répondu agressivement : depuis quand les étrangers font la loi chez nous ? »
« A son retour, le patron était très content , il a parlé de moi à ses collègues, j’ai travaillé ainsi dans d’autres officines. Puis j’ai été nommé pharmacien à l’hôpital, en dermatologie auprès du Professeur A.. qui m’a alors conseillé de faire de la recherche à plein temps. Je me suis consacré à l’étude de l’efficacité des produits cosmétiques sur la peau. »
« Pour transformer mon diplôme d’université en diplôme d’état, j’ai dû passer une équivalence du baccalauréat, c’est à ce moment-là que j’ai demandé la nationalité française. »
« J’ai bénéficié d’une bourse de l’ Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale ( INSERM ) pour aller 2 ans à Glasgow. Cela m’a permis de faire une thèse de doctorat, et de publier au niveau international, ce que je n’ai pas cessé de faire par la suite. De retour à Besançon, les américains se sont intéressés à notre travail, j’ai beaucoup publié à ce moment-là. Puis j’ ai été intégré comme assistant en chimie à la faculté de médecine, j’ai travaillé sur les psoralènes, médicaments contre certaines maladies de peau (psoriasis, vitiligo). D’assistant je suis passé maître de conférence, après je suis passé première classe, puis hors classe. Pendant ce temps j’ai encore soutenu 2 autres thèses, et beaucoup publié, jusqu’à ma retraite. »
La retraite.
« Je voudrais faire passer le message que l’on peut venir d’un pays sous-développé avec un niveau très bas, ça prend du temps pour arriver à un niveau acceptable, par la volonté, le travail et la modestie. C’est toujours possible actuellement, mais il faut prévenir les étudiants étrangers des problèmes qui les attendent. Je voudrais être en contact avec eux pour leur dire qu’il faut travailler, ne pas hésiter à demander quand on ne sait pas, il ne faut pas rester isolé et fréquenter des gens de tous les milieux. »
« Je recherche une association active, je suis prêt à m’engager, à faire des conférences, pour aider à donner leur chance à ces jeunes, pour révéler leurs richesses, pour établir les contacts. J’aimerais aider les étudiants étrangers dans leurs études, les faire profiter de mon expérience, les aider bénévolement dans leurs recherches pour leur thèse, à la manière de ce qui se pratique en Allemagne et en Angleterre, où les universitaires retraités ont leur place s’ils veulent donner du temps aux étudiants. Les étrangers ne doivent pas rester entre eux. On ne peut pas s’intégrer sans rencontrer les français. Mais les français ne rencontrent pas assez les étrangers., il faut qu’ils les invitent à la maison. Les difficultés viennent du manque de connaissance des autres cultures. »
Monsieur Makki est un des cinq membres fondateurs de l’association AFAC, Association Franco-Arabe pour la Culture, qui milite pour des échanges culturels entre les étrangers et les français, par le biais de projections, conférences, d’échanges avec d’autres associations ayant les mêmes objectifs. Constatant le nombre d’associations sur la ville, il souhaiterait un rapprochement afin de travailler ensemble, et ainsi amplifier les actions.
« Je veux redonner ce que l’on m’a donné en aidant les autres. »
Janvier 2012, entretien avec Monsieur Makki à son domicile. Propos recueillis par Geneviève Cailleteau.
Soudan
Besançon, France