Destin administratif, du Kosovo à la France

« J’ai eu un passeport yougoslave puis un passeport serbe puis un passeport des Nations unies et bientôt un passeport kosovar… »


J’ai vécu la guerre au Kosovo. Les haines. Les violences. Les balles ont sifflé à mes oreilles. Je porte cela en moi.

J’exprime le contraire. Je souris, je dis la joie de vivre. Le théâtre et la littérature sont le bonheur de la vie.
La France m’a ouvert les portes, m’a offert ce que mon pays n’a pu m’offrir. Je prends les bonnes choses de là-bas et d’ici. Je compose avec les deux.

Quand on est étudiant étranger, on a plusieurs barrières à franchir. Le visa, vous ne pouvez pas l’obtenir sans la preuve que vous possédez bien 5000 euros pour l’année universitaire, une adresse, une chambre ou un appartement…
Alors un étudiant hors Union Européenne comme moi, je lui souhaite bonne chance !

Sur place, pendant que vous essayez de vous mettre dans le bain, la préfecture vous demande : une inscription à la fac, un justificatif de domicile, un justificatif de ressources, un compte bancaire en France. Si la prise en charge est assurée par un membre de votre famille, il doit être en France et pas ailleurs.
Mes parents qui habitent en Suisse n’ont pas pu se porter garants pour moi. La Préfecture a refusé net !
Après avoir rempli toutes les conditions, vous attendez votre titre de séjour pendant un ou deux mois. Pendant cette période, vous ne pouvez rien faire, même pas aller voir votre famille qui habite à côté de la frontière, à 1 heure 20 minutes de distance, ne serait-ce que pour un week-end. Tant pis si l’un de vos parents tombe malade, vous ne lui rendrez pas visite.

J’ai de la chance. J’ai rencontré le Théâtre universitaire de Franche-Comté. Je suis le seul étranger de la Troupe et je dois beaucoup à mes collègues et surtout à mon metteur en scène Joseph Melcore qui ne m’a pas fait de cadeaux. D’ailleurs, il n’en fait à personne !
Au sein de la Troupe, mes problèmes linguistiques sont apparus, mes problèmes d’expression et de compréhension et j’ai joué un enfant français ! Qu’est-ce que c’était dur au début, moi qui n’ai pas connu cette enfance, qui n’ai pas dansé le rap ! Il fallait dire des phrases en français, bien prononcer, transmettre le message, dégager toute une énergie, répéter encore et encore jusqu’à ce que cela sonne juste et vrai. Oui, pas de cadeau de la part de Jojo.

La première année s’écoule, la nostalgie est encore là, les souvenirs ne sont pas loin. La préfecture demande encore les mêmes papiers. Il faut encore tout recommencer. Mon titre de séjour ne sera pas renouvelé sans que je ne renouvelle mon passeport. Que dois-je faire ? Je suis en pleine période de cours, je ne peux pas refaire mon passeport en France car mon pays n’a pas d’ambassade, ni ici ni ailleurs. Passeport MINUK (Mission intérimaire des Nations unies au Kosovo), il doit être renouvelé obligatoirement au Kosovo. Bref, une bonne affaire pour les agences de voyage et une galère pour moi ! 1200 euros minimum pour une semaine. Mais soyons optimiste, les choses s’arrangeront bien un jour. Et il y a le théâtre et les tournées !
Nous allons à Lyon, à Liège en Belgique, à Metz, au Maroc où nous sommes reçus fabuleusement ! Puis le Canada où nous n’irons pas car le Canada ne reconnaît pas mon passeport MINUK. Cette affaire-là, je la fait remonter jusqu’au siège des Nations unies à New York, à l’Ambassade permanente du Canada. Les jours passent, le jour de la représentation approche, rien ne se débloque. Je me sens coupable vis-à-vis de la Troupe mais mes amis comprennent que ce n’est pas de ma faute. C’est mon destin administratif.

J’ai vingt-huit ans. J’ai eu un passeport yougoslave puis un passeport serbe puis un passeport des Nations unies, et bientôt un passeport kosovar…

Propos recueillis par Soumya Ammar Khodja, Besançon, octobre 2008.

Kosovo

Besançon, France

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