Enseignante dans mon pays natal

Je suis arrivée en France depuis 3 ans et demi, d’un pays de l’est, je suis venue avec mes enfants rejoindre mon mari, qui était là avant nous. Il avait quitté notre pays à cause de problèmes avec le gouvernement.


On a vécu des moments difficiles après son départ, surtout qu’avant on avait une vie confortable. Mon mari était fonctionnaire, et en même temps il avait un bar restaurant, moi j’étais enseignante pendant 25 ans ; on ne manquait de rien.

Mais à un moment donné j’étais obligée de choisir entre ma vie privée et ma carrière d’enseignante. Et pour moi bien évidement c’était ma vie de maman, d’épouse qui passait avant tout.

Alors mon mari a fait le nécessaire pour qu’on puisse avoir le visa moi et mon fils qui était mineur à l’époque. Par contre pour mon autre fils majeur, c’était compliqué, j’ai été obligée de payer beaucoup d’argent pour ses papiers.

« Intégrations »

En arrivant en France, c’est une nouvelle vie qui commence, on était contents d’être réunis à nouveau tous ensemble. La première année je me plaisais bien. J’ai beaucoup profité avec ma famille, j’ai découvert un peu la France, j’ai voyagé.

Après je me suis aperçue que le fait de rester à la maison ça ne m’aiderait pas à apprendre la langue. Et être inactive ce n’est pas mon but, moi j’ai toujours travaillé. C’est à ce moment là que j’ai réalisé que j’avais besoin de me sentir utile et d’un revenu pour améliorer les conditions de vie de ma famille.

Dans mon pays j’ai fait des études supérieures, mais mon diplôme n’est pas reconnu en France, il faudrait le valider, et pour pratiquer mon métier de professeur ici il faut maitriser le français pour pouvoir communiquer avec les personnes, et la nationalité française. Pour apprendre la langue, j’ai fait des formations d’apprentissage du français dans différentes structures de Besançon, et après je voulais m’orienter vers un domaine professionnel. Le pôle emploi ne m’a proposé qu’agent de nettoyage « alors que j’avais une femme de ménage chez moi… » J’ai refusé. Je n’ai pas baissé les bras, j’ai fait une formation de  pré-qualification en restauration au GRETA, j’ai pratiqué 3 stages dans différents restaurants qui se sont très bien passés. Comme mon époux  a tenu un restaurant bar dans notre pays d’origine, et que je l’aidais pour faire la cuisine, dans ma tête c’est quelque chose que je sais déjà faire, et que j’aime bien. Après ma formation j’ai postulé partout mais malheureusement c’était toujours négatif. Et après je suis passée à autre chose, en faisant une formation d’employée commerciale en magasin (niveau CAP) à la MFR, de Morre.  J’ai passé une période de stage de deux mois dans une enseigne qui m’a promis une embauche mais le patron n’a pas tenu ses engagements.

Changement de situation, de niveau de vie

Mon mari a 55 ans maintenant, il a beaucoup de difficultés au niveau de la langue française, mais il fait son possible pour s’en sortir. Dans notre pays il avait un travail stable et de bureau, il n’a jamais travaillé comme ouvrier, et quand il est arrivé ici il n’a rien trouvé d’autre qu’un emploi en usine  en CDD pendant 2 ans. Pour vivre il faut se battre. C’est vrai qu’en France le marché du travail devient de plus en plus compliqué, mais heureusement on est parfois soutenu, il y a des possibilités d’accompagnement par un conseiller dans le cadre de la recherche d’emploi et c’est comme ça qu’il a retrouvé un travail à mi-temps il y a quelques mois.

Mon fils ainé il s’adapte bien, Il a une volonté pour avancer dans la vie, il a réussi à avoir un contrat de professionnalisation. Il s’est marié, sa femme aussi travaille, ils essayent de construire leur vie.

Mon autre fils, Il a du mal ; il s’est senti déraciné : quitter le pays, la maison, les copains, l’école, la famille quand on est adolescent, c’est dur … il y a tout qui lui manque. Quand on est arrivé en France il avait 19 ans ce qui ne lui a pas permis de reprendre ses études au lycée,  et d’intégrer une des classes adaptées aux élèves qui arrivent de l’étranger. Il a suivi des cours de français à la FRATE, mais ce n’était pas suffisant pour lui, il était presque enfermé sur lui-même. Maintenant il espère faire une formation qualifiante en mécanique pour avoir un diplôme dans le domaine qu’il a choisi grâce à un stage d’orientation. Il y en a une à Vesoul. Mais moi je ne veux pas, chez nous les enfants ne vivent pas seuls sans les parents, pourtant ce n’est pas loin, mais j’ai du mal de me séparer de mes enfants. A la fin je vais céder parce que c’est son avenir, il faut qu’il fasse sa vie aussi.

Migration

On est plusieurs famille de même origine ici à Besançon on se connait, mais chaque famille a ses difficultés. Avant dans mon pays j’avais des copines, des copains, des connaissances. Aujourd’hui je deviens de plus en plus enfermée. J’ai du mal à me confier aux gens.  Comment je peux l’expliquer ? à 50 ans c’est très difficile de se faire des nouveaux amis.

Je regrette et je ne regrette pas d’avoir fait ce choix de suivre mon mari ; dans le sens que j’ai laissé toute ma famille derrière moi ; et oui, ils me manquent tous. Mais j’ai aussi ma petite famille ici, mes enfants, mon mari, et j’aime la France, la vie est mieux ici. Si j’avais juste un travail tout irait beaucoup mieux.

Si on voulait retourner dans notre pays, déjà ce n’est pas possible pour le moment, mon époux est interdit de rentrer sur le territoire pendant dix ans, ou il faudrait être naturalisés. Après c’est un choix que j’ai fait de vivre ici, reconstruire notre vie de famille en France. Même à l’âge de la retraite je pense que ça va être difficile pour nous de retourner dans notre pays.

Travail

J’ai très envie de retrouver un travail mais je ne me sens pas très aidée. A Pôle emploi par exemple, pendant un an j’ai eu un conseiller que je n’ai jamais rencontré, après j’ai eu une nouvelle personne avec qui j’avais rendez- vous un jour, il m’a laissé attendre une demi heure. Je le voyais circuler dans l’agence sans savoir que c’était mon conseiller. Quand enfin il m’a reçue l’accueil était froid, il m’a proposé une formation non rémunérée, alors que moi j’ai besoin de travailler. J’ai l’impression des fois que si je n’arrive pas à trouver du travail ce n’est pas parce que je ne suis pas compétente mais parce que je suis étrangère. La question qui se pose maintenant c’est qu’on est déjà pas loin de l’âge de la retraite et on n’a pas de travail, comment faire dans dix ans pour pouvoir vivre ?

C’est pour ça qu’on se bat, j’essaie tout ce qu’on me propose, même les petites missions d’un jour ou deux.

Pendant 25 ans je n’ai fait qu’enseigner et aujourd’hui le besoin de travailler et de ne pas être tout le temps enfermée chez moi m’a permis de découvrir d’autres métiers auxquels je n’aurais pas pensé et de me rendre compte que j’ai beaucoup d’atouts, de compétences, et de savoir faire. J’ai su m’adapter  à la cuisine, la vente et je fais aussi parfois des missions intérim en usine.

C’est très difficile ici en France de trouver un travail ; mais quand je parle avec ma sœur restée au pays je me rends compte que maintenant c’est encore plus compliqué de vivre là bas : les salaires sont très bas, l’alimentation est très chère et la plupart des hommes sont obligés d’aller travailler à l’étranger pour faire vivre leur famille. C’est pour cela aussi que je sais que quand j’aurai trouvé un travail ici je n’aurai plus de raisons de regretter d’être partie.

Propos recueillis par Amal DAHMANI et Geneviève FOEX – Février 2014 – témoignage anonyme.

Besançon, France

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