Il en est des jeunes gens qui sont intarissables sur leur vie, sur la vie, sur les gens, qui débordent d’envie de faire les mondes se rapprocher et se mélanger, parce que c’est évident. Comme le sourire et dire ‘bonjour’. Et puis si l’on reçoit un refus ce n’est pas grave, ce n’est certainement pas la bonne personne, il faut en chercher d’autres, plus compatibles avec nous. Voilà, vous commencez à connaître Jorge. Il a envie de se raconter. Et de nous faire partager son amour pour Besançon et pour la France.
Racontez-nous votre famille
Je m’appelle Jorge, j’ai 33 ans, je viens du Panama d’un petit village San Andres, dans la Provence de Chiriqui. Je viens d’une famille nombreuse. Mes parents sont séparés, j’ai 4 sœurs et 6 frères, des deux côtés. Mon père était instituteur, maintenant en retraite. Ma mère est femme au foyer, comme beaucoup de femmes de sa génération chez nous. Mon père ne voulait pas que ma mère travaille. On appelle ça macho. La situation des femmes a beaucoup évolué ces dernières années, rester à la maison n’est plus une option choisie.
Ma famille c’est un petit village en soi. Mon arrière-grand-mère a eu 14 enfants, un de mes oncles en a 18. On voit que je viens d’un pays sous-développé. Avant, on arrivait à survivre à la campagne avec autant d’enfants. Aujourd’hui, les familles ont pour la plupart 1 à 2 enfants.
Pourquoi souhaitez-vous raconter votre histoire ?
Pour les personnes qui décident de venir en France, et aussi pour faire connaître un pays si intéressant comme la France. Il y a beaucoup de choses qu’on connaît dans les médias, dans les prospectus, mais la France ce n’est pas que du tourisme, ce n’est pas que la Tour Eiffel. Il y a des choses très intéressantes à découvrir derrière ces images. J’ai habité à Besançon pendant 7 ans et demi et je veux parler de mon vécu dans cette belle région de la France.
Pourquoi avez-vous choisi la France ?
D’abord, parce que j’ai des racines françaises lointaines, d’il y a 4 générations. Et puis, au Panama, j’avais obtenu une licence en économie sociale. J’ai décidé d’apprendre une langue vivante et me suis inscrit en licence de français. J’avais aussi envie de venir en France, pour voir, vivre, visiter, et surtout mieux parler la langue. En même temps, l’ambassade française au Panama cherchait des étudiants comme assistants de langues, pour enseigner l’espagnol en France. J’ai postulé, j’ai passé un entretien oral et je suis venu ici à Besançon en tant qu’assistant de langues au lycée Ledoux. Une fois que j’ai fini mon contrat d’assistant, je suis rentré au Panama, mais avec l’idée de revenir à Besançon pour m’inscrire à l’Université. Ce que j’ai fait. Mais mon niveau de français n’était pas suffisant, alors j’ai dû faire une licence d’espagnol, avec un parcours en FLE, pour me préparer pour mes études. Je me suis inscrit en Master 1 Management de la qualité, que j’ai obtenu en 2014.
Quand je suis rentré au Panama, mes profs de l’université étaient très surpris de mon niveau de français « Bé dis donc, ton français est presque meilleur que le mien ! Tu trouves des mots que je n’arrive pas à trouver ! ». Bon, au bout de 6 ans passés ici, je suis fier de mes progrès bien que ce ne sera jamais parfait. Notamment mon accent, la prononciation. Mais il ne faut pas regretter les choses dans la vie. Puis, j’ai remarqué quelque chose de curieux. A la base le français est ma 2e langue, mais quand je parle en espagnol il y a des phrases ou des mots qui me viennent plus naturellement en français, je trouve cela intéressant.
Puisqu’on parle de la langue, comment vous faites cohabiter les deux langues ?
Chaque langue a sa particularité. L’espagnol est une langue assez « informelle », on parle facilement avec des gens. En français, j’avais des difficultés avec ça, parce que les gens ne comprenaient pas mon désir d’engager une conversation, c’était entrer dans leur zone privée. Une fois j’ai dit bonjour à une dame âgée au supermarché, en lui souriant. Elle était très étonnée « On se connait » ? et moi, très surpris par sa réponse : « Excusez-moi mais la politesse n’a pas de visage. » lui ai-je répondu. Elle était mal à l’aise mais voilà, ce qui chez nous est de la politesse comme dire « bonjour », ne l’est pas ici. Je trouve cela dommage, que le côté naturel des gens est suspect. Mais pour faire cohabiter les deux langues il faut avoir une vaste connaissance de la culture de chaque pays et de ses coutumes.
Comment vous sentez-vous à Besançon ?
C’est une ville charmante. Elle n’est pas agitée comme Lyon ou Paris, non, c’est une ville à part. Sa richesse est aussi la campagne qui n’est pas loin, des gens de différentes nationalités. Cela apporte beaucoup. J’ai des amis chinois, coréens, tunisiens. Pour moi c’est une découverte de tous ces mondes qui se trouvent ici. J’apprends aussi beaucoup sur d’autres pays, leurs vies, les difficultés. J’ai passé 2 ans à Planoise où j’ai rencontré beaucoup d’étrangers. J’ai des amis de partout. Mon meilleur ami est algérien, je l’appelle ‘mon petit frère’.
J’allais souvent à la bibliothèque Mandela, j’y trouvais tout : des films, des pièces de théâtre, des échanges… tous ceci a fait que j’arrive à me sentir français au point que je veux demander à être naturalisé, mais malheureusement être naturalisé ne dépend pas de ma fierté.
Vous semblez être très curieux dans votre manière d’aborder la vie ?
Oui ! J’aime la musique, la nature. J’ai une vrai passion pour la découverte des cultures de différents pays et j’adore partager les bonnes choses que m’offre la vie.
Je pense aussi que, le fait d’être parti de chez moi, m’a ouvert aux autres. Avant j’étais moins soucieux, tout était évident. Quand je suis arrivé ici il fallait tout apprendre : la langue, les relations, le fonctionnement, apprendre à connaître les gens, m’intégrer, tout ! Je n’ai pas de difficulté dans mes relations, sans doute aussi parce qu’il n’y a pas beaucoup de Panaméens ici et que je n’ai pas peur d’aborder les gens.
J’ai des amis africains qui me disent ne pas avoir beaucoup d’amis français. Ils sont dans un cercle des étrangers plutôt. Les étrangers se sentent solidaires les uns avec les autres. Il y a aussi la peur de se sentir « refusé ». Il y en a qui sont venus dans des situations dramatiques et n’osent pas aller à la rencontre.
Retournez-vous souvent au Panama ?
Revoir la famille et les gens qu’on aime mérite d’aller le plus souvent qu’on peut. J’essaie d’y aller au moins 1 fois par an, en octobre, parce que c’est la période où le billet est le moins cher, mais aussi pour une toute autre raison. C’est la période où il y a beaucoup de fruits tropicaux dans notre jardin, et c’est un régal ! En plus, ils sont gratuits. Avant je ne regardais même pas les fruits, la nature, les choses simples de la vie, comme la neige que j’ai découvert ici.
Cette année vous avez été gâté ?
Ah oui ! J’ai fait des raquettes, mais les années précédentes, on partait faire du ski de descente. J’avais tellement peur en descente que je me laissais tomber comme un bébé. Tout le monde rigolait.
Qu’est-ce que vous avez découvert dans la vie ici à Besançon qui est si différent ?
J’avais toujours la passion pour les choses anciennes, les Grecs, les Egyptiens. Je suis émerveillé par l’architecture de Besançon. C’est quelque chose qu’on ne voit pas chez nous, les anciens bâtiments en pierre, bien restaurés. Chez nous c’est des énormes gratte-ciel. Le centre-ville m’a passionné avec son histoire, la maison Victor Hugo… De ce fait j’ai appris qui était Victor Hugo et puis la gastronomie, les fromages. J’adore les fromages ! Chez nous il n’y en a pas. J’aime beaucoup les vins. On n’a pas l’habitude du vin, on boit des jus de fruits.
J’adore la nature, alors je me promène souvent dans les parcs, les bois. C’est resté un rêve, la nature. Chaque fois c’est un étonnement quand je vois les fleurs partout, les espaces soignés. Cela me plait l’idée que les jardins, les parcs n’appartiennent à personne et sont très entretenus. Je suis charmé par Besançon, j’aurais pu aller à Paris, mais non, je reste ici.
Comment voyez-vous votre avenir proche, 5, 10 ans à venir ?
Je me vois plutôt transmettre les connaissances que j’ai acquises en France. Transmettre cette passion, les connaissances culturelles. Ce sera chez moi ou bien aux USA parce que mon petit ami est américain. J’aimerais travailler comme professeur de français et un jour pouvoir revenir en France.
Mais la France restera à tout jamais dans mon cœur. J’ai été séduit par son histoire, sa culture, sa littérature, son théâtre. D’un autre côté j’aimerais rester en France mais c’est trop compliqué, l’obtention des papiers. Encore que, pour moi ce n’est pas aussi difficile comme pour les africains. Moi, je suis catholique et s’adapter ici c’est plus facile que pour les musulmans, p.ex., il y a beaucoup d’interdits, de tension. Les Panaméens vivent plutôt bien, c’est aussi pour cela que je suis bien reçu ici.
Avez-vous des migrants au Panama ?
Mais que serait-on sans les migrants ? Panama est aussi un pays connu pour les migrations. Nos immigrés viennent de Cuba, de la Colombie. Le taux de criminalité a monté et les gens pensent que c’est les immigrés, les Vénézuéliens. On leur met une étiquette, ce n’est pas juste. Le Panama est connu comme un pays avec une richesse culturelle due à sa migration. Elle commence avec la découverte de l’Amérique par les Espagnols suivie, au début de la construction du canal de Panama, par les Français qui ont amené des noirs d’Afrique pour les aider. Qui plus est, les Américains ont fini le canal et ont été présents dans le pays un siècle. Finalement l’arrivée des asiatiques, qui sont de plus en plus présents partout dans le monde. Je suis fier qu’au Panama le racisme n’est pas un grand problème. Mais la crise est partout. Il faut être désespéré pour partir de son pays, sur un bateau, qui peut couler à chaque instant.
Témoignage de Jorge Luis Pitti Martinez, Recueilli par Douchka Anderson, février 2017
San Andres, Panama
Besançon, France