Les cerveaux qui se perdent…

Elle vit depuis huit ans à Besançon. Cette jeune diplômée guinéenne veut rentrer en Guinée, pour développer des projets relatifs à son doctorat en Sciences du Langage. Elle a décroché son diplôme le 14 janvier 2011, à l’Université de Franche-Comté, avec une mention très honorable et les félicitations du jury.


Le rêve de Fatoumata n’a jamais été « la France à tout prix ». « Je  suis née en Guinée, d’une famille où nous n’étions pas riches comme Crésus, mais dans laquelle, papa, enseignant, et maman, sage-femme, ont tout fait pour que nous ne manquions de rien. Besançon, pourquoi ? C’est un peu par hasard, car c’est en soutenant mon mémoire de maîtrise en journalisme à la Faculté des Lettres de Conakry que j’ai fait la connaissance d’un expatrié français. Il y travaillait, et a été impressionné par mon travail. Il m’a proposé de venir à Besançon,  pour y faire un stage au Centre de Linguistique Appliquée et y continuer mon doctorat. C’est ainsi que je suis venue faire ce stage pendant deux mois, à Besançon, en 2001. J’ai rencontré à cette occasion Monsieur Claude Condé, qui est actuellement Président de l’Université. Il était à l’époque doyen de la Faculté des Lettres et dirigeait le laboratoire qui m’a reçue. J’ai également fait la connaissance de Madame Andrée Chauvin-Vuillemot, qui a dirigé ma thèse. Je suis rentrée en Guinée, mais je n’ai pas obtenu de bourse pour mon troisième cycle… Travaillant déjà pour un projet de « Médecins sans frontières », j’avais mis un peu d’argent de côté. Je suis donc venue sans bourse à Besançon, avec l’appui financier de mes parents aussi. »

Fatoumata n’avait pas pour rêve la France, mais plutôt l’Allemagne ou le Canada. Trois frères universitaires au Canada, une soeur aussi, la perspective d’un séjour plutôt accueillant là-bas, et c’est pourtant Besançon qui pendant huit ans va être sa ville d’accueil.

« Si j’ai toujours clairement dit que mon but n’a jamais été de m’établir en France, c’est que, profondément, je sais qu’il y a des choses à faire dans mon pays et que mes projets sont là-bas. Je viens de soutenir ma thèse, et j’ai demandé, il y a deux mois, à la Préfecture la prolongation de mon titre de séjour. En effet il me faut encore un peu de temps pour corriger les coquilles résiduelles de mon mémoire, avant d’en faire le dépôt à la bibliothèque de la Faculté des Lettres et pouvoir entrer en possession de mon diplôme. Par ailleurs, ce n’est qu’en août prochain que j’aurai fini de payer mes deux crédits en cours, l’un auprès de ma banque et l’autre dans un magasin, pour l’achat d’un ordinateur. Enfin, je suis liée par un contrat d’auxiliaire de vie scolaire avec le Lycée Tristan Bernard, qui prend fin en juin 2011. Or, on me fait des complications, et je me retrouve sans titre de séjour ! Je suis sans papiers en ce moment et comment puis-je faire pour effectuer mes démarches de retour, aller à Paris expédier mes affaires par fret ? Sans papiers, et je risque d’être expulsée si je suis arrêtée pour un contrôle d’identité !

Je souffre aussi du « froid ». Certes le climat ne me convient pas, mais aussi le froid de certaines institutions et de certaines personnes ; il y a des choses que je n’ai pas envie de vivre tout le temps. J’ai vu beaucoup de choses autour de moi pendant ces années passées ici : les étrangers ne sont pas toujours traités décemment, et certaines de mes connaissances africaines qui ont obtenu la nationalité française sont traitées comme des « Français sur le papier ».

Il me restera de Besançon de bons souvenirs, de belles rencontres, comme ma directrice de thèse qui, contrairement à d’autres, s’est occupée humainement de moi, me demandant comme j’allais, des nouvelles de ma famille, et tout… Cela me motivait, m’encourageait. Certains directeurs de thèse disent à peine bonjour à leurs étudiants étrangers et leur parlent de façon condescendante. Mon séjour bisontin a été très absorbé par ma thèse. A côté de cela, quelques sorties culturelles, des responsabilités dans l’association des Etudiants guinéens, que j’ai présidée. C’est un peu difficile de s’habituer au fait qu’ici on ne réponde pas à votre « bonjour ». J’ai eu de très bonnes rencontres ici, mais il y a eu aussi des réactions de racisme, de suspicion. A la Préfecture, au service des Etrangers, et même à la Mairie, où j’ai été employée comme surveillante de cantine, pendant cinq ans, et aussi comme accompagnatrice des élèves, le soir, pour leurs devoirs. Dès que mon titre de séjour tirait à sa fin, la Mairie me disait « Si vous ne nous ramenez pas votre nouveau titre de séjour, vous ne travaillerez plus ». J’avais beau expliquer, et à la Préfecture, et à la Mairie, c’était le même cercle vicieux, et pour moi, les mêmes angoisses, les mêmes pressions. Non, je n’ai pas envie de vivre continuellement ce genre de choses.

Si j’avais eu à Besançon le même accueil qu’au Canada, où on s’intéressait à moi, où on me demandait si je voulais travailler, mon attitude aurait peut-être changé. Dès que ma soutenance a été programmée à la fac, tout le monde m’a demandé quand j’allais rentrer ! J’avais l’impression qu’on me chassait un peu.

Je dois rentrer car mon pays a besoin de moi ; j’ai des projets là-bas avec l’université d’ici ; je ne voudrais pas faire partie des cerveaux qui se perdent.

*Depuis cet entretien, Fatoumata travaille au Canada dans le cadre d’un contrat avec une université : elle y enseigne la littérature comparée.

Fatoumata DIARAYE DIALLO, le 7 mars 2011, propos recueillis par François Zoomevelée

Guinée

Besançon, France

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