Il n’y a pas eu de jugement. Après avoir été torturé, j’avais signé des aveux, cela suffisait. J’ai payé 1300 dollars pour aller à Tripoli. Pour le voyage en bateau, j’ai donné 2000 dollars.
Les raisons du départ
La situation au Soudan est très complexe depuis de nombreuses années. Le gouvernement est arabe et persécute les soudanais noirs du Darfour pour récupérer leurs terres, leurs richesses,…
Depuis 2003, il y a la guerre entre le gouvernement et les rebelles. Le Darfour est délaissé par le gouvernement, il n’y a pas d’école, pas d’hôpitaux pour cette population et les rebelles voudraient que la situation change.
Je suis originaire d’une tribu du Darfour. Mon père travaillait en ville et je vivais à la campagne avec ma mère et mes frères et sœurs. J’étais l’aîné ; à la mort de mon père, en 2000, je suis allé travailler à sa place dans la boutique qu’il possédait dans un marché près de Khartoum. Le fait d’être noir et du Darfour posait souci mais la situation était acceptable grâce à la corruption : on payait pour ne pas être embêtés… A partir de la guerre, en 2003, la persécution des personnes originaires du Darfour s’est accentuée.
Le 10 mai 2008, les rebelles du mouvement « Justice et Égalité » ont attaqué Khartoum, la capitale du Soudan. Le magasin que j’avais se situait dans un grand marché à l’ouest de la ville, beaucoup des commerçants étaient comme moi originaires du Darfour. Le gouvernement nous a accusés d’avoir aidé les rebelles, sans preuves, seulement parce que nous étions du Darfour.
Trois jours après l’attaque, des militaires en uniforme et en civil sont venus en voiture, armés, et ils ont arrêté beaucoup de commerçants originaires du Darfour, dont moi.
J’ai été emprisonné, torturé. Le gouvernement a confisqué mon magasin. Je suis resté deux mois en prison, j’ai fait du travail forcé : de 14 à 22 heures tous les jours j’allais faire un travail très dur, dans des conditions très difficiles, pour fabriquer des briques. C’était une forme de torture… et en attendant mon exécution. Il n’y a pas eu de jugement, je n’ai jamais vu d’avocat, je n’ai même pas pu prévenir ma famille. Après avoir été torturé, j’avais signé des aveux, cela suffisait. Tous les jours des exécutions ont lieu, mais aussi des vols, des viols,…
Pendant que j’étais au travail forcé, une nuit il a plu très fort, il y a eu de l’orage et une coupure d’électricité. La nuit était noire, on a été plusieurs à profiter de cette situation pour s’échapper.
Je suis allé me réfugier chez un ami qui a organisé mon voyage pour aller me cacher chez ma sœur. J’ai fait ce déplacement habillé en femme ! Je suis resté chez ma sœur pendant quelques jours mais la situation était dangereuse pour moi et aussi pour elle et sa famille. Vu la situation, je ne pouvais plus rester à Khartoum ni au Soudan. On a donc décidé que j’irai en Libye.
Mon argent était chez ma sœur parce que les gens du Darfour ont des difficultés avec les banques et prennent des risques. C’est cet argent qui m’a permis de payer les passeurs.
Je gagnais bien ma vie, mon travail était bon et je n’avais jamais pensé à partir. Mais ma boutique confisquée, mon évasion de prison… je ne pouvais plus rester dans mon pays, je devais sauver ma vie.
Le voyage
Avec mon argent donc, j’ai pu payer un passeur pour aller en Libye, à Kofra près de la frontière.
Ce premier voyage a été terrible, il a duré 9 jours. C’était une traversée dans le désert. Nous étions nombreux dans un pick-up 4×4, les conditions sont dures. Ceux qui tombent en panne meurent de faim, de soif… Le passeur nous a fait entrer de nuit en Libye, il nous a laissé juste après la frontière.
Pour aller à Tripoli, il a fallu payer un autre passeur. J’ai fait le trajet en taxi, avec quatre autres personnes. Cette fois, cela a duré un jour et demi. Le 4 août j’étais à Tripoli où j’ai été accueilli par des membres de ma tribu.
J’ai cherché à obtenir des papiers et à travailler mais cela n’a pas été possible. Le gouvernement libyen refuse de régulariser les réfugiés du Darfour car il y a beaucoup de monde. Si on est contrôlé, les autorités libyennes nous renvoient au Soudan. J’ai alors décidé d’aller en Europe et mes amis m’ont aidé à organiser mon passage.
On peut traverser en petit bateau jusqu’en Italie, ce n’est pas trop cher, 500 dollars, mais il y a beaucoup de risques de mourir… 80% n’atteindraient pas les côtes italiennes…
On peut aussi traverser sur un gros bateau pour 2500 dollars. C’est la solution que j’ai choisie, et j’ai payé 2000 dollars seulement.
J’ai embarqué de nuit dans un camion qui allait traverser en bateau. Une fois à bord, j’ai été caché dans une espèce de pièce dans la soute. Nous étions cinq. Il n’y avait pas de lit, nous ne devions pas faire de bruit. Tout au long du voyage, nous n’avons vu qu’une personne : la seule personne au courant de notre présence sur ce bateau, qui nous apportait à manger et à boire. Le voyage a duré 9 jours. Une nuit l’homme nous a cachés dans un camion, nous ne savions même pas où nous allions débarquer. Notre dernière consigne : ne pas faire de bruit, attendre que le camion ait roulé trente minutes avant de frapper contre les parois du camion… Le chauffeur du camion ne savait pas que nous étions cachés dans sa remorque. Il était très en colère lorsqu’il s’est arrêté et nous a découvert dans son camion. Il nous a laissé à une heure et demie à pied de Marseille…
J’étais en France, mais j’avais décidé d’aller jusqu’en Grande-Bretagne. J’ai pris le train jusqu’à Paris, et c’est à Paris que j’ai changé d’avis et que j’ai décidé de rester en France et de demander l’asile politique.
Et maintenant …
Le voyage que j’ai fait c’est un voyage terrible mais on ne pense pas aux risques. J’avais une seule idée : partir d’Afrique, ne pas risquer de retourner au Soudan, sauver ma vie et donc aller en Europe.
J’ai fait des cauchemars pendant longtemps, jusqu’à ce que je prenne des médicaments pour dormir. Je ne peux plus dormir sans prendre de cachets…
C’est mon séjour en prison qui a déclenché tous mes problèmes de santé. Avant je n’avais pas de tension, je n’étais pas dépressif,….
Ma famille aujourd’hui est dispersée : ma mère est dans un camp de réfugiés au Tchad avec ma plus jeune sœur ; j’ai un frère dans un autre camp du Tchad avec sa famille ; mon autre sœur est toujours au Soudan. J’avais un autre frère mais il a été assassiné dans l’attaque de notre village. Les militaires ont dévasté et brûlé notre village, il ne reste rien.
J’ai très peu de nouvelles de ma famille, et toujours indirectement.
Le voyage d’un point de vu financier
J’avais 5000 dollars lorsque je suis parti de chez ma sœur.
J’ai payé 1000 dollars pour aller jusqu’en Libye, et 300 dollars pour arriver à Tripoli.
Pour le voyage en bateau, j’ai donné 2000 dollars.
Quand je suis arrivé en France, j’ai payé les billets de train de Marseille à Paris, puis de Paris à Besançon. Il me manquait 2 euros à Paris… J’ai dû aussi vivre de juillet 2008 à mars 2009 sans pouvoir travailler… Toutes mes économies sont passées dans ce voyage…
Témoignage de M. X, recueilli par Catherine Gallois – décembre 2010
Darfour
Besançon, France