La traversée d’un rêve

Ses yeux vifs et doux vous saisissent, vous avez envie de lui faire confiance. Et puis il y a en lui une belle volonté, un calme naturel. Sans doute, de ceux qui ont connu la valeur de la vie, ce qu’il faut donner de soi pour avancer. Ce qui nous rappelle que nous avons la possibilité d’agir, donc de vivre, d’être au monde avec grâce et courage.

J’ai 23 ans, je suis réfugié dans la Bande de Gaza. Ma ville natale Almajde (aujourd’hui sous le nom d’Ashkelon) est aujourd’hui occupée. Gaza, c’est un territoire de la taille du Grand Besançon mais avec 2 millions d’habitants. C’est la zone la plus surpeuplée au monde.

Je suis actuellement doctorant en Sciences du langage et en analyse du discours à l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Besançon (note : Ahmed a obtenu entre temps, en juin 2017 son diplôme de Master en Sciences du langage). Ma thèse porte sur l’analyse textométrique des discours de l’Organisation des Nations Unies sur la question palestinienne depuis 1945.

Le début peu ordinaire d’une aventure : quand le monde s’ouvre à nous
Je suis arrivé en France pour la première fois en juillet 2013 pour un séjour de deux semaines dans le cadre d’un programme international sur les droits de l’Homme. J’ai eu cette opportunité après avoir remporté le 1er prix dans un concours d’écriture en français, réalisé en Palestine. Le concours était organisé par le Consulat de France à Jérusalem.

J’avais 19 ans, c’était la première fois que je voyageais seul et qui plus est à l’étranger, non pas sans peur. J’étais inscrit pour le voyage Gaza-le Caire-Paris. Le jour où je suis arrivé au Caire, c’était le renversement du président Mohamed Morsi. Nous étions une vingtaine de palestiniens en transit, on était accompagnés par la police durant tout le trajet en Egypte.
Ensuite, 4 jours d’attente à l’aéroport, sans passeport, sans vêtements chauds, j’avais très froid à cause de l’air climatisé. Heureusement qu’on nous attendait chaleureusement à l’aéroport Charles de Gaulle.

Paris enfin !
C’était un choc culturel pendant plusieurs jours, c’était comme un rêve. A Gaza il y a très peu d’étrangers. A Paris, il y avait des gens de toutes les couleurs.

On était 112 personnes venues de 75 pays. On était accueillis par la Maison des cultures du monde pendant 2 semaines environ. On se déplaçait toujours ensemble, on aurait dit une manifestation. Nous participions et assistions à des visites, des conférences. J’ai vu le Sénat, l’Assemblée nationale, la cour de l’Elysée : quelle fierté. J’avais un grand badge « Palestine » et j’étais le 1er à entrer, on me disait « Ah oui, Palestine, entrez, entrez ! ». Dans mon pays, je n’aurais jamais pu visiter des lieux pareils. C’est ce qui m’a le plus marqué.

De Paris je connaissais beaucoup de choses, on avait un module ‘Paris’ (Culture et civilisation) à Gaza. Je connaissais tous les monuments, les gens de mon groupe étaient surpris de mes connaissances.

Etre palestinien c’est quoi ?
Les 4 derniers jours c’était très dur, je ne pouvais pas retourner chez moi, l’Egypte ayant interdit le passage à tous les palestiniens. A l’aéroport de Paris on ne nous a pas laissés entrer dans l’avion. On est restés une semaine encore à Paris, on est allés au consulat de l’Egypte. On a enfin pu embarquer, mais arrivés au Caire, on m’a emmené en prison. Je n’avais même pas pu communiquer avec ma famille. Mais le pourboire a des vertus magiques auprès des policiers égyptiens.

Port de Gaza

Une fois arrivé chez moi, je me suis senti en sécurité, entre les miens, malgré encore beaucoup de péripéties. Mon voyage de retour de Paris a duré 3 jours. Je ne m’attendais pas à cela. Toute ma famille m’attendait avec inquiétude.

Après ce séjour inoubliable à Paris, il fallait absolument que je retourne en France.
J’ai d’abord repris mes études à Gaza en 2014. Je voulais faire un stage linguistique à Dijon, mais la guerre s’est déclenchée, tout a été arrêté, c’était la guerre la plus atroce depuis 60 ans. Des bombes de partout, des bâtiments qui s’écroulent. Toutes les familles ont été touchées de près. 51 jours de guerre. Mon quartier était parmi les plus calmes. Mais il y a eu des quartiers complètement rasés.

La vie doit continuer

La deuxième fois en France c’était en novembre 2015, d’abord à Paris, puis à Mulhouse, où j’ai été assistant de langue arabe pour 5 mois en même temps que j’étais étudiant en master à l’Université à Besançon. C’était difficile de réussir mes examens tout en travaillant dans une autre ville. J’ai ensuite occupé un poste d’assistant d’éducation au lycée Victor Hugo à Besancon en 2016, toujours en même temps que je continuais mes études. Je voulais absolument réussir mes études, parce que depuis toujours mon souhait le plus fort était de m’investir pour la renaissance de mon pays

Et d’arriver en France dans un pays en paix
J’ai mis du temps pour m’adapter à la liberté. J’avais gardé la mentalité de quelqu’un qui vit replié. Le 1er mois c’était difficile. Surtout que ma vie à Mulhouse a été triste, grise. Je ne connaissais personne, les gens dorment tôt et la nuit vous n’avez personne dans les rues.

Besançon, c’est autre chose. J’aime beaucoup cette ville, les gens sont sympas, ouverts. Il y a une mixité culturelle qui me plaît beaucoup. La culture française est complètement différente, mais on peut trouver des compromis. C’était très difficile au début. La vie quotidienne c’est la course tout le temps, je suis entré dans la course.

Vivre, c’est continuer ses rêves
Je déteste le recommencement alors je suis content de pouvoir continuer mon rêve. Le travail sur les institutions internationales m’intéresse pour m’investir pour mon pays. C’est inné chez nous. Les enfants de 5, 6 ans parlent de la politique, c’est notre quotidien. Il y a une autre partie en moi, sans doute, qui est négligée pour le moment. Dans l’avenir j’aimerais beaucoup voyager, j’aimerais faire du sport. J’aime aller à la mer, j’habitais à 200 mètres de la mer. J’aime faire de la cuisine, j’ai appris tout seul. Je fais à ma sauce.

Depuis mars, Ahmed voyage, fait du sport, a un permis de conduire, bref, il s’ouvre davantage à la vie.

Témoignage d’Ahmed Alustath, recueilli par Marie-Françoise de Dominicis et Douchka Anderson (le 28 mars 2017). Rédaction : Douchka Anderson

Ashkelon, Israël

Besançon, France

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