Merzoug Hakkar est l’un des premiers Algériens arrivés à Besançon. C’était en 1957. Il témoigne ici de son parcours et de l’accueil qu’il a reçu.
Un combattant
M. Hakkar a combattu les Allemands dans les rangs de l’armée française pendant la guerre 39- 45, puis il s’est battu aux coté des Algériens pour l’indépendance de son pays.
Prisonnier de guerre en 1940, évadé en 1941, il ne recevra aucune reconnaissance de l’État français malgré son engagement : il avait opté pour la nationalité algérienne à l’indépendance.
Son fils Farid témoigne (mars 2008) :
« Mon père ce héros… Né Français, mort Algérien, enterré dans son pays en 1991.
Mon père a combattu les Allemands en 39–45. Il n’a pas choisi sa guerre, encore moins sa nationalité : on l’a enrôlé sans lui demander son avis. Mais il a été fier jusqu’à sa mort d’être un combattant, même s’il n’a reçu ni reconnaissance de son mérite ni médaille… une pension de guerre ? Reste à vérifier.
La carte de séjour dans une poche et son passeport algérien dans l’autre faisaient de lui un homme libre de penser et de choisir, en 91, d’être enterré chez lui dans sa terre. »
Son petit fils Karim (mars 2008):
« Mon grand-père est un des premiers pour ne pas dire le premier Hakkar à être venu en France. Il a posé ses pieds sur le sol français, dans la ville de Béziers en 1932.
Mon grand-père a fait la guerre de 39-45, il était donc alors français ! Il a refusé ensuite la nationalité française pour préserver ses origines algériennes, ce qui lui a valu une misérable retraite !
De plus il s’est battu pour l’indépendance de l’Algérie dans les maquis algérien avec les moudjahidins.
Mon grand-père retournait régulièrement en Algérie depuis son arrivée en France. »
Merzoug Hakkar (1) a raconté son parcours à Colette Bourlier en octobre 1979.
Merzoug Hakkar : En 1932, j’étais engagé volontaire dans l’armée française. Je suis resté neuf ans dans l’armée. […] J’étais dans la Sarre au 27ème tirailleur algérien.
Colette Bourlier : Dans votre régiment, vous étiez le seul de la famille Hakkar ?
Oui, j’étais tout seul.
Mais vous étiez avec d’autres Algériens ?
C’est à dire, il y avait des Algériens avec moi. Mais de la famille, rien que moi. Au mois d’avril [1940], j’ai été en Belgique. Là, on a eu un accrochage avec les Allemands. Moi, j’étais le premier. J’ai été prisonnier. Ils m’ont emmené jusqu’à la Prusse orientale, jusqu’à la frontière de Russie.
Vous ne connaissez pas le nom du pays ?
Non, non ! Nous avions un numéro de stalag. 1B. J’étais dans le stalag 1B. Au moment qu’il a fait froid, on a été rapatriés en zone occupée (2) en France. De là, j’ai trouvé le moyen de m’évader.
En 1941 ?
En 41 j’ai été évadé. J’ai marché au moins pendant huit jours. J’ai marché pendant la nuit.
Dans la journée, je m’installais dans les jardins, dans les bois, comme ça. Jusqu’à ce que je suis rentré dans la zone occupée. À ce moment, la France n’était pas occupée partout. Cette fois, je trouve comme ça des gendarmes français […] Je dis que je suis un soldat évadé ; ils me montrent à peu près la direction. Je suis rentré dans la zone occupée la nuit. J’ai trouvé une bonne femme. Bonne, c’est-à-dire, cette femme là, elle […] m’a montré le chemin, elle m’a donné à manger, tout ce qu’il faut… Comme ça je passe […] et je trouve une ferme. Alors je reste là pendant quatre jours, nourri, logé comme il faut. Et après, le monsieur, sa femme, ils m’ont mené directement à la mairie de Bordeaux. Seulement, Bordeaux, à cette époque, était occupé par les Allemands. […] On m’a demandé comment j’étais évadé, par quel moyen, comment j’ai trouvé le moyen de sortir. Quand la mairie m’a fait tous les papiers, j’ai été à Marseille avec le train. J’ai été à la caserne.
C’était assez isolé pour ceux qui viennent, ceux qui sortent. C’était un dépôt. J’ai présenté mes papiers là-bas. Après, on m’a fait encore d’autres papiers. Puis je suis parti en Algérie.
Ils vous ont renvoyé en Algérie ?
Ils m’envoient en Algérie. Je suis resté là-bas pendant six mois. Dans l’armée. J’étais comme militaire. Après j’ai fait mon service. J’ai fait un an et demi en plus. Voilà, j’ai fait neuf ans et demi en tout.
Vous étiez en Algérie quand le général de Gaulle est arrivé à Alger ?
Bien sûr. Mais j’étais sorti de l’armée. J’avais 26 ans à la guerre. Quand je sortais de l’armée, j’avais 28 ans. […] De là, je me suis marié. On a fait les gosses. Et on était pendant la guerre d’Algérie. Maintenant, j’ai 66 ans, et voilà !
Et j’ai fait toute la guerre avec la France […] et je suis mal vu. Mal vu ici et là-bas. Mais pour la retraite, on m’a presque rien donné. J’ai travaillé plus de quarante ans : entre l’armée et la Sécurité sociale, j’ai fait plus de quarante ans. On m’a donné presque rien du tout : 200 000 – 223 000 francs (3) par trimestre. […]
Et encore, j’ai mes enfants, ceux qui sont nés en France. Je ne peux rien faire. De 1957 à maintenant, j’en ai dix qui sont nés en France.
Vous avez eu des ennuis au moment de la guerre d’Algérie ? Vous avez dû revenir ici ?
Oui.
Vous êtes venu à Besançon, en 50…
En 57. De 57 et après, j’étais ici à Besançon. À ce moment, j’avais trois gosses : deux garçons et une fille. C’est celle-là [présente à l’entretien]. Je l’ai ramenée à l’âge de 3 ans, à peu près. J’ai ramené deux garçons, un de 7 ans et un de 5 ans.
Où avez-vous été logé ?
À Trépillot. Après je suis descendu à Bellevaux, parce qu’il n’y avait pas de place. On est restés à Bellevaux pendant un mois et demi. Puis on a fait une baraque […] ici, au chemin des Founottes.
On est resté je ne sais pas combien de temps dans les baraques…
C’était des préfabriqués ?
Oui. Après, on est sortis ici, dans les maisons là. On a changé le nom : l’ Escale.
Les maisons sont plus confortables.
C’est pas nous qui les avons faites. […] Dans les baraques, avant, on n’était pas mal. […] À ce moment là, ça commence à arriver, à arriver, à arriver avec la famille ! […] On est dans les dix-huit ou vingt familles.
La fille de Merzoug Hakkar : En 57, ce n’était pas les maisons en dur, c’était des maisons en bois.
Les maisons en dur, c’est quelle année ?
La fille de Merzoug Hakkar : En 70. On est entré ici en 70, il y a neuf ans.
Vous aimez mieux être ici que dans les HLM ?
Merzoug Hakkar : Oui.
Vous préférez parce qu’il y a plus de place ?
La fille de Merzoug Hakkar : Il y a plus de place. C’est la campagne, c’est mieux pour les enfants.
Merzoug Hakkar : Voilà.
NOTES
(1) Merzoug Hakkar est décédé en 1991.
(2) L’enregistrement ne permet pas de faire toujours la distinction entre “occupé” et “inoccupé”.
(3) Comme beaucoup de personnes de sa génération, Merzoug Hakkar parle en anciens francs (en 1960, 100 F deviennent 1 F, 2 230 F de 1979 correspondent à 925 € de 2005).
Propos recueillis et transcrits par Colette Bourlier. Extrait de Les Nord-Africains à Besançon, publié par la Ville de Besançon, 2007.
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