Je suis comme je suis

Histoire de vie de Héléna Berthel

Nous avons été plusieurs à préparer cette rencontre et à y participer. Il y avait Héléna qui nous a accueillis avec élégance, émotion et bonté. Il y avait Claude Canard et son épouse Juliette, amis d’Héléna et fins connaisseurs d’histoire locale si riche. Il y avait Stéphane Kronenberger, histoirien, qui mettait le récit d’Héléna dans son contexte historique, troublant et riche en événements. Nous les remerçions pour leurs précieuses contributions.

Par quoi souhaitez-vous commencer ?
Je m’appelle Héléna Berthel, je suis née en France en juillet 1931, à Magny-Danigon. Mes parents sont d’origines polonaise et ukrainienne. Ma mère est née en 1900 à Anieloufka en Pologne, pas loin du Dienstr, sous les Carpates je crois. Mon père vient de l’autre côté du Dienstr. Il est né Ukrainien, c’était l’Ukraine à l’époque et après la guerre de 14-18, c‘est devenu polonais. Il a fait son service militaire en Pologne, il avait juste 20 ans. Il travaillait chez des paysans qui avaient une petite culture, il s’est toujours occupé des chevaux. A l’armée ils l’ont mis voiturier il me semble, quelque chose comme ça. Il parlait très bien le russe, c’était la Russie qui avait plutôt l’Ukraine à cette époque, ce n’était qu‘après 14-18 que la Pologne a pu reprendre vraiment tous ses territoires : (Note S. Kronenberger : territoires autrichiens, hongrois, russes également).

Comment vos parents se sont-ils trouvés en France ?
Ils sont venus en 1929 pour travailler à la mine. Il y avait eu des conventions entre la France et la Pologne pour faire venir de la main d’oeuvre polonaise.

Avez-vous des frères ou des soeurs ?
J’ai 1 grand frère et 2 soeurs : ma soeur Marie et ma soeur Anna qui avait 3 ans quand ils sont venus en France. C’était rare que des familles pouvaient venir avec 3 enfants parce qu’en principe il y a pas mal de familles qui ont dû laisser un enfant en Pologne, ils partaient avec 2, ils en laissaient 1 en Pologne. Mes parents ont trouvé quelqu’un qui les a aidés, c’était une grande chance. Après il y a eu mon petit frère Jean.

Quand ils venaient en France, les Polonais passaient par Toul ?Exactement, et après il fallait qu’ils aillent tous les ans à Strasbourg au Consulat polonais. Mes parents se sont fait naturaliser juste avant la guerre. S’il arrivait une guerre ils les renvoyaient pour se battre pour la Pologne.

Comment se sont-ils trouvés à Ronchamp ?
Y en avait pas mal qui étaient allés à Montceau-les-Mines par exemple et puis y en a aussi en Alsace, dans les Mines de sel, mais on les a envoyés dans les Mines à Ronchamp parce qu’il y avait beaucoup de charbon à Ronchamp. Quand ils arrivaient, on leur demandait ce qu’ils faisaient en Pologne. Mon père s’occupait des chevaux au fond de la Mine et puis il travaillait comme mineur, il fallait qu’il nous donne à manger. Il y avait des chevaux qui tiraient des chariots au fond de la Mine, ils ne remontaient jamais. Et ma mère élevait les enfants et s’occupait de la maison.

Où étiez-vous logés ?
L’habitat c’était quelque chose… On appelait ça des baraquements parce que c’était tout en longueur, c’était à peu près à 200 m de la Mine, tout près du puits Arthur. La mine était vers les baraquements aussi, alors il n‘y avait même pas d’évier ni de toilettes. Il y avait le jardin et les baraquements. Les baraquements avaient une partie derrière les caves  qui était bien en dessous de la route et après y avait la sortie de la maison sur la route.

Qui vivait dans ces baraquements ?
Là où nous habitions il y avait 4 logements c’étaient 4 familles polonaises, mais après y avait des belles maisons des Français  qui travaillaient en usine parce qu’il y avait beacoup d‘usines à Ronchamp. Les Polonais n’avaient pas le droit d’aller en usine jusqu’après la guerre, mes soeurs étaient ou chez un cultivateur ou des bonnes à tout faire, c’était ainsi jusqu’après la guerre !! Et puis là où on habitait on n’avait meme pas d’eau. Il y avait un puits mais la profondeur du puits et la profondeur des cabinets qui étaient un tout petit peu plus bas faisaient que l’eau était imbuvable. Bon, on la prenait pour récurer, pour les choses comme ça, c’étaient souvent les enfants qui faisaient la corvée.

Vous alliez à l’école polonaise ?
Moi, je n‘ai jamais connu d’école polonaise c’était une école pour les Polonais, aussi bien les garçons que les filles ! Il y a une dame justement de Besançon qui est venue un jour  parler de cette école polonaise comme quelque chose d’extraordinaire (Note SK : Janine Ponty) et moi j’ai levé le doigt j’ai dit ce n’était pas une école polonaise c’était une école pour les Polonais. J’avais 6 ans quand je suis entrée à l’école, avant il n’y avait pas de maternelle. On était une 40-aine, il y avait tous les âges dans la classe. Mais on ne se mélangeait pas avec les autres, les Italiens par exemple. D‘autres enfants n’avaient pas trop le droit de venir jouer avec nous.

Quels souvenirs gardez-vous de l’école ?
Ah, ce n’était pas gai, non ! L’institutrice était une femme qui buvait, elle ne parlait pas un mot polonais. C’était une Française et elle avait toujours à boire, même à l’école, elle envoyait sa bonne quand elle avait trop bu.

Quand y a eu les photos du maréchal Pétain, vous savez qu’à un moment donné il fallait que toutes les écoles aient le portrait du maréchal Pétain, elle a choisi la plus grosse photo, tous les matins c‘était „j’aime le maréchal Pétain, chef de l’Etat français pour le lui prouver je jure de lui obéir, d’être une bonne écolière“ tous les matins on nous faisait dire ça.

On s’est fait naturaliser, je devais avoir 8 ans. Je lisais beaucoup en français, je savais lire aussi en polonais, mais je lisais en français surtout. J’ai voulu aller à l’école française mais la directrice de l’école nous a dit qu’on ne pouvait pas me prendre.

A Ronchamp à l’époque y avait-il d’autres étrangers ?
Il y avait des Polonais qui s’occupaient du théâtre, qui nous amenaient des livres et puis qui nous faisaient écouter de la musique. On pouvait apprendre beaucoup de choses, moi j’aimais bien chanter et quand y avait le théâtre on me demandais souvent de chanter. On faisait souvent des bals aussi. Y avait quelques familles italiennes et eux ils allaient à l’école française parce qu’ils étaient moins nombreux que nous, je pense que c’était pour ça.

Helena aime beaucoup chanter en polonais

Et quel était le rapport avec le français ?
On apprenait le français comme on pouvait. Moi, j’avais déjà eu mon frère et mes deux soeurs qui étaient plus âgés que moi, alors quand je suis allée à l’école je savais déjà lire puisque j’aimais les livres et puis mes deux soeurs parlaient français. Maintenant, c’est différent. J’ai une amie institutrice, elle dit que les enfants étrangers apprennent  bien mieux quand ils sont à l‘école.

L’église était présente ?
Très présente! Le curé polonais venait soit d’Alsace soit de Montbéliard pour nous. Comme j’étais naturalisée Française, j’ai fait ma communion avec des Français, il n‘y a pas eu de problème au catéchisme.

Cela ne posait pas de problème d’aller à l’eglise comme votre père était communiste ?
Non, ma mère était très croyante, mon père était communiste, enfin il ne prenait pas parti ce n’était pas son truc, il payait juste son adhésion. Mais ma mère c’était tous les matins la prière et puis le soir aussi. Dans notre bon pays de Montbéliard les hommes ne sont pas croyants et les femmes le sont (sourire). La prière du soir elle nous y obligeait et puis il y avait des grands tableaux avec le bon Dieu et puis la Vierge. J‘ai fait ma communion avec les Français puisque il n‘y avait plus de curé polonais. Mais j’ai encore des photos de mes soeurs qui ont fait leur communion avec des Polonais et puis ça se faisait à la chapelle de Ronchamp.

Comment avez-vous vécu la Seconde Guerre ?
J’avais 14 ans.  Les mines n’avaient pas fermé,  on travaillait pour les Alemands, il fallait travailler plus, les ouvriers avaient toujours leur litre de vin par jour à la mine, oh oui. On avait notre charbon quand même parce que tous les 6 mois ils nous donnaient notre ration de charbon et puis de chlam. Le chlam c’était la poussière de charbon. Quand ils amenaient le charbon ça faisait de la poussière de charbon qui restait au fond du tas et puis après ça tenait le feu pour la nuit.

Vous avez été obligée de travailler à l’usine ?
Oh non, mes soeurs n’avaient pas de travail en usine au triage et moi j’étais trop jeune. Même pendant la guerre les femmes n‘avaient pas droit de travailler à l’usine. C‘est juste après la guerre je crois que le gouvernement de gauche a fait que beaucoup sont partis à Paris parce qu’ils gagnaient mieux. Bon mais y en a qui revenaient parce que, à Paris y avait moins à manger pendant la guerre qu’ici alors elles revenaient. Mes soeurs ont pu travailler après au triage. Moi à 14 ans je me suis fait embaucher à l’usine de la Côte, au tissage. J’ai travaillé 10 ans à l’usine de la Côte, j’avais les enfants mais je travaillais encore.

Et comment avez-vous rencontré votre mari ?
Mon mari était déporté. Il était au maquis, là dans le bois. Il y a eu un combat, ils étaient encerclés ils ont essayé de se disperser, une partie des hommes ont été fait prisonniers et fusillés contre le mur du cimetière du Magny-Danigon. Lucien a été déporté dans un commando des camps de Dora à Erich. Il a réussi à survivre parce qu‘il était costaud.

La  remise en 2020 de la statue Négritude de Lucien Berthel à la Maison des droits humains de Champagney. Héléna est avec son fils Patrick.et avec Marie-Claire Faivre, maire et conseillère départementale de Champagney.

Vous vous êtes rencontré avant qu’il parte au camp ?
Ah non, parce qu’avant il travaillait chez des cultivateurs pas loin de Lure, c’est de là-bas qu’il est parti au maquis. Je connaissais sa famille, je connaissais sa soeur j’allais au catéchisme avec elle. Un jour, je devais avoir 15 ans, j’ai été chercher du pain et je suis passée à coté de sa maison. Lucien était à la fenêtre. C’était tout de suite après qu’il soit rentré du camp,  il n’avait pratiquement plus de cheveux. Gilberte sa soeur me dit „Tiens regarde c’est mon frère“ et moi je lui dis „Qu’est-ce qu’il n’est pas beau“ (rire). Puis un an après et bien il m’a emmenée sur les cri-cri à Ronchamp (rires) quand je l’ai connu je n‘avais que 15 ans quand je me suis mariée j’avais 17 ans et quand on a eu notre premier enfant et bien j’avais 20 ans. Lucien avait 4 ans et demi de plus que moi, il voulait tout de suite avoir un foyer à lui et il voulait fonder sa famille.

Il vous parlait de cette période ?
Pas du tout, pas du tout, quand il y avait des commémorations ils étaient entre hommes et puis donc là ils en parlaient chacun, chacun mais pas aux femmes. Il rêvait beaucoup il se réveillait souvent, des cauchemars oui. On a appris petit à petit, mais on a surtout appris quand ils ont voulu aller dans les écoles pour parler aux élèves, parce que des fois il y avait des élèves qu’une prof amenait chez nous, pour ceux qui voulaient savoir quelque chose, elle les amenait à la maison mais après ils n’en parlaient pas.

Comment Lucien s’est-il trouvé déporté ?

J‘avais une très bonne amie, Hélène, elle s’est mariée avec celui qui a dénoncé Lucien  et les maquis. Son mari a été jugé après à Vesoul, Lucien avait témoigné d’ailleurs contre lui. Un jour Lucien m’a dit de cesser complètement tous les rapports avec elle, alors qu’on avait été élevées ensemble. C’était très très dur. Elle a été pratiquement élevée par ma mère. Sa maman l’avait aussi appelée Hélène on avait 2 mois de différence. Son mari militaire buvait beaucoup et la battait, alors papa allait chercher la petite et l’emmenait chez nous. Après, ils sont partis en Algérie. Un jour, ça fait un an à peu près, sa fille m’avait téléphoné parce qu’elle avait lu le livre (Note DA : le livre Partir pour l’Allemagne, sur le parcours de son mari Lucien Berthel) et qu‘elle demandait pardon pour son père. Ca nous a retournés. Lucien n’était pas là ce jour-là mais il l’a rappelée pour lui dire que ce qui s’est passé c‘était terminé et qu‘il pardonnait tout. C’était un grand moment.

Après la guerre, vous êtes toujours restée dans la communauté polonaise ?
Oh non,  même mon frère qui avait 3 ans de moins que moi, il a déjà été à l’école française tout de suite après la guerre. Voilà ça changeait. Mais il y a eu beaucoup de Polonais qui sont repartis comme mon frère, beaucoup, beaucoup, parce que les plus jeunes voulaient repartir, relever la Pologne après la guerre.

Vous avez deux enfants si j’ai bien lu les notes
Oui, 2 garçons : Christian qui est à l’ile de la Réunion depuis une 20 aine d‘années, il est marié et Patrick. J’ai 2 petits-enfants, Boris et Anaïs et même les arrière petits-enfants. Ils habitent tout près (grand sourire). Ma petite fille est à Frayet, elle a 2 petits, un grand qui a 13 ans et un petit qui a 3 ans. C’est l’avantage de faire les enfants tôt.

Vous n’avez jamais travaillé après avoir eu vos enfants ?
J’ai travaillé pendant 10 ans de 14 à 24 ans, comme tisserande à la Côte, pas loin d‘ici. Je faisais garder mes enfants puis je travaillais, il fallait bien, parce que pour la maison on avait juste droit à un petit prêt mais pas grand chose. Mon mariétait mouleur en fonderie d’abord chez Laurent à Plancher les Mines, après à  Ronchamp puis après chez Peugeot.

C’était comment Ronchamp dans les années 50, quels souvenirs vous en avez ?
Il y a eu cette catastrophe de l’incendie de l’Etançon (Note : événement tragique du 19 décembre 1950 qui a tué quatre mineurs des houillières de Ronchamp). Ma soeur, qui avait 2 petits enfants, a perdu son mari quia été un des quattre noyés. Mon beau-frère disait à ma soeur bien longtemps avant “on va être noyés comme des rats dans cette mine“. Ils étaient tous jeunes, c’était mon beau-frère qui était le plus âgé. Le lendemain c’était Noël c’était affreux j’ai vu pleurer mon père comme moi je pleure maintenant parce que mon père l’aimait beaucoup, il aimait faire son jardin, ils habitaient à 3 maisons l’un de l’autre. Les Anglais, les Polonais, les Allemands ont envoyé du chocolat, des bonbons et puis de l‘argent pour les familles.  Les ouvrières à l’usine ont fait des quêtes. C’était un crime social. Ceux qui descendaient dans ce puits ils savaient qu’il y avait l’eau qui s’infiltrait, ils avaient peur, ils le disaient mais la direction n’a rien fait.

Est-ce que vous allez de temps en temps en Pologne ?
Lucien ne voulait pas y retourner. Il a fallu qu’on rencontre un couple allemand qui a fait un chalet pas loin de Lure. La dame a lu le livre sur Lucien et ils nous ont téléphoné pour nous demander s’ils pouvaient nous voir. C‘est avec eux qu’on a fait le premier voyage puis après d’autres. Moi je suis allée 2 fois, et Lucien, la dernière fois qu‘il est allé c’était avec nos petits-enfants.

Vous vous sentez plutôt polonaise ou française ?
Ni l’un ni l’autre, je suis comme je suis, quand il faut parler polonais je parle polonais et quand il faut parler français, je parle francais. On avait beacoup de livres en polonais aussi. Mais j’écris en polonais volontiers pour mes nièces en Pologne par exemple, ou bien pour traduire pour Madame la Maire de Champagney (nous précise Claude) quand il y a besoin. Il y a même eu un jumelage entre une petite ville polonaise et Champagney, des contacts et rencontres sportives.

Photo souvenir avec Héléna, Juliette et Claude Canard et Stéphane Kronenberger

Retranscrit par Douchka Anderson, pour «Migrations Besançon – Bourgogne-Franche-Comté » février 2020

Pologne

Magny-Danigon, France

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