Je suis née en 1976 à Donji Vakuf en Bosnie. Une ville grande comme Pontarlier. Mes parents étaient de la région.
J’étais la deuxième. Mon père travaillait comme soudeur dans une usine et ma mère restait à la maison. Ils savaient lire et écrire tous les deux.
Un frère avant moi est mort bébé, je ne sais pas de quoi. Donc, en fait, j’étais la troisième. Il n’y avait pas de photo de lui. Il s’appelait Indir et la soeur après moi s’est appelée Indira. Ma mère a fait deux fausse-couches.
Je suis allée à l’école jusqu’à 14 ans. Je n’ai pas appris de langues.
Puis, début 1990, j’ai entendu dire dans le village qu’il faut partir, surtout les mamans avec les enfants, à cause de la guerre. Il y avait des bus gratuits pour partir en Croatie. Là-bas, on nous a dit de rester jusqu’en avril.
On est arrivées à Split, ma mère, ma soeur et moi. Il y avait plein de réfugiés. On dormait sur des petits matelas. La nourriture venait des militaires croates dans de gros bidons. Ce n’était pas bon.
Nous sommes restées 3 mois. Nous allions à la mer. Il fallait attendre, il n’y avait rien à faire. La guerre continuait.
Nous sommes parties chez un oncle en Slovénie à Nova Gorica. La Croix-Rouge nous donnait à manger. Nous sommes restées un mois.
Une tante de Pontarlier nous a fait venir. Elle était venue là depuis longtemps, pour travailler. Puis mon père et mon frère sont arrivés. Nous habitions chez ma tante. Pour faire les papiers, ma cousine nous a aidés car on ne savait rien. Une fois par semaine, on allait chercher des chèques à la Croix Rouge. On remplissait des caddies. C’était bien avec les francs, mieux qu’avec les euros.
On était dans une école pour étrangers. L’école a acheté un dictionnaire français / serbo-croate. Les français étaient trop gentils avec nous. Au début, on ne comprenait rien, c’était dur. On logeait tous dans un F4. Puis on est partis chez une cousine. Nos affaires restaient dans des valises.
Puis nous sommes allés à Besançon, au Forum, avec monsieur Mermet. Mon frère est resté à Pontarlier. Il a épousé une Portugaise puis une Française. Il a 3 enfants. Maintenant il habite à Marnay. J’étais avec mon père, ma mère et ma soeur. On avait une chambre pour 4. On n’a pas souffert de racisme. D’ailleurs, je ne suis pas raciste.
J’allais au collège Diderot, mais je ne parlais toujours pas bien français. J’étais dans une classe spéciale, avec plein de nationalités, avec madame Joris. J’aimais bien ce mélange.
Puis, on a eu un appartement avenue du Parc avec une chambre pour mes parents et une pour ma soeur et moi, une grande salle à manger. Je suis allée au lycée professionnel Condé 2 ans. Quand je touchais ma bourse, mes parents étaient contents car quand je la touchais, j’allais faire des courses au Géant. Ils ne travaillaient pas, ils n’avaient que le RMI. Puis, j’ai arrêté car je suis tombée amoureuse.
Mon premier copain était français et raciste. C’était un militaire de Paris. On est resté 4 mois ensemble. Il était toujours dans des pays étrangers.
On a eu la carte de séjour pour 10 ans. Nous étions dans les premiers réfugiés, on l’a eue assez vite. Je n’ai pas demandé la nationalité française car il faut faire beaucoup de papiers. J’avais commencé, mais il manquait un papier. J’ai dit que j’allais revenir demain et j’ai laissé tomber. Mes trois enfants sont nés en France, mais ils n’ont pas la nationalité française. Ils sont réfugiés comme moi.
J’ai fait beaucoup de stages à la Frate, l’ifpa ou des petits contrats. J’ai le RSA.
J’ai travaillé un mois à l’hôtel Kyriade de Valentin. C’était un contrat d’un mois. Ils ne me proposaient pas assez d’argent pour continuer. Je suis allée me présenter à l’hôtel B.B. Mais le temps de trouver quelqu’un pour m’aider à faire les papiers, le poste était déjà pris. J’ai rendez-vous tous les mois pour le travail à l’ANPE.
Je retourne en Bosnie en vacances mais je ne peux rester là-bas. Je préfère habiter en France qu’en Bosnie. On a encore un oncle et une tante en Bosnie. Leur maison a été détruite.
La France nous a accueillis. Ceux qui sont d’origine étrangère ne doivent pas faire le «bordel» ici. S’ils ne sont pas contents, ils peuvent retourner dans leur pays.
Le mari de ma soeur est né à Cavnice. Sa famille et lui ont été chassés par les serbes et sont venus à Goradze. Il a reçu une balle d’un snipper à 15 ans en 1992. Il a été mal soigné et on a du l’amputer de la jambe et de la cuisse gauches. Avec 22 blessés, il a été transporté à Paris en hélicoptère par des militaires. Il ne comprenait rien. Il n’y avait pas d’interprète. Il s’exprimait avec les mains. Il était sans sa famille. On lui a fait une prothèse.
Il avait un cousin à Besançon. Il est venu chez lui et sa famille a suivi. Il ne supporte pas ses prothèses et ne peut travailler. Il a fait un stage de 8 mois à Mulhouse.
Il fait encore des cauchemars.
Contribution de Françoise GAYET, ancien médecin. Mai 2011.
Donji Vakuf, Bosnie-Herzégovine