Notre rencontre avec Bradi, exilé politique chilien

Le lundi 22 février 2010, au CDI, un exilé politique est venu témoigner de la répression terrible déchaînée par l’armée sur son pays, le Chili.


Nous avons rencontré Bradi grâce à notre professeur d’espagnol, Simon Bas, et à Philippe Godard, auteur de livres documentaires pour la jeunesse. Il est intervenu le premier, pour nous parler très rapidement de ses études (baccalauréat scientifique et sciences po qu’il a arrêté au bout de trois semaines car il ne supportait plus l’autorité des professeurs). C’est pour cause de fin d’études, donc, qu’en 1980, il part en Amérique latine où il reste pendant six mois. Il a parcouru toute l’Amérique centrale. Il nous a dit que dans les années 1980, la politique était très présente en Amérique latine. Après deux ans passés en France, il est retourné en Amérique latine pendant environ six mois. Pour lui, l’Amérique centrale est un endroit où les États-Unis font ce qu’ils veulent : on surnomme la région « el patio trasero de los Estados Unidos » (l’arrière-cour des États-Unis).

Philippe Godard a ensuite tracé un tableau politique rapide des pays d’Amérique où il a voyagé (beaucoup, mais pas le Chili). Il nous a expliqué, en quelque sorte, ce qui s’y est passé.
– En 1945, les États-Unis gagnent la guerre, mais ils ont encore un ennemi qui n’est autre que l’Union soviétique. Les États-Unis développent alors une idéologie contre les Soviétiques, exposée dans un discours célèbre de Truman : « développer les pays pauvres pour empêcher le communisme de se développer dans le monde et l’Union Soviétique de devenir encore plus puissante ».
– Il nous a parlé de la Guerre Froide. Dans les années 1960 et 1970, les États-Unis ont  essayé d’empêcher les révolutions (coups d’État contre les chefs qui ont pris le pouvoir). Les États-Unis se disent démocrates mais contre le communisme, ils sont prêts à user de stratégies non démocratiques (assassinats, tortures, enlèvements, …). P. Godard nous a décrit une situation de guerre (sans chars ni avions) : la guerre de basse intensité.
De plus, en 1959, Fidel Castro prend le pouvoir à Cuba qui devient socialiste, la situation est dangereuse pour les États-Unis car La Havane est proche de Miami.
– Il nous a donné l’exemple de l’Argentine. Il s’y est rendu en 1982, alors que le pays était une dictature depuis sept ans (1975). En 1978, la coupe du monde de football devait se dérouler prochainement, donc il fallait que les rues soient « propres » (pas de révolutionnaires, de protestataires…). Depuis le début de la dictature, le gouvernement enlevait des personnes et interdisait aux éventuels manifestants, comme les mères des « disparus », de rester sur une place sous peine d’être tués. Donc les mères des disparus se mirent à tourner autour de la place de Mai, la place principale de Buenos Aires. Mais le gouvernement niait les faits, et ces femmes furent surnommées « les folles de la place de Mai ». 
Après la chute de la dictature en 1983, les Mères de la place de Mai ont obtenu la liste des disparus (environ 30000) et ils ont découvert que les femmes n’étaient pas folles. Les mères voulaient la liste des responsables mais le gouvernement avait annoncé que les soldats ne seraient pas jugés car ils avaient simplement obéi aux ordres. Les Mères de la Place de Mai ont repris la lutte de leurs enfants. Désormais, on les appelle les Grands-Mères de la Place de Mai

De retour en France, Philippe Godard a écrit, parmi d’autres publications, Qui sont les terroristes ? (Syros), livre où il explique quelques points moins connus de l’Histoire de l’Amérique Latine à l’aide de documents souvent inédits.

Après l’exposé de Philippe Godard, les élèves de Première S 5 ont pu s’entretenir avec Bradi. Les élèves avaient préparé des questions à cet effet dont voici l’essentiel :


Bradi  avait 19 ans lorsqu’il a quitté le Chili. A 21 ans, Bradi est arrivé en France. Considéré comme un terroriste, il n’a pas pu rentrer dans son pays. En fait, il ne voulait pas abandonner son pays. Il est parti à cause de la dictature. Avant d’arriver en France, avec des faux papiers, il a fait escale à Cuba pour préparer la résistance. C’est pour cela qu’il a voyagé seul. Il a d’ailleurs été guérillero en Amérique Centrale. Il devait passer par l’Europe pour rentrer au Chili. Arrivé en France, la police ne l’a pas laissé repartir au Chili. Il a obtenu le statut d’exilé politique.

Bradi a gardé de nombreux souvenirs de la dictature. Lorsqu’il nous les conte, c’est le mot « terreur » qui revient le plus souvent… Quand il avait 16 ans, il faisait parti des Jeunesses Socialistes. Il nous raconte que sous la dictature il n’y avait plus de liberté : pas de liberté de presse, de liberté de se rassembler, de parler, pas de liberté individuelle. Ce qui l’a le plus marqué pendant cette période, c’est la souffrance de sa mère lorsque ses frères sont partis en exil et qu’ils ne sont d’ailleurs jamais revenus. Les gens n’avaient pas le droit de sortir la nuit, il y avait un couvre feu de 20h à 7h. Les jeunes ne pouvaient donc pas sortir avec leurs amis, ni faire la fête.
Bradi nous raconte qu’il a passé une nuit à compter les coups de feu avec un ami et qu’ils étaient totalement terrorisés.
Apres le coup d’Etat, le Chili était un autre pays.
Il se souvient du proviseur de son lycée, un homme bien, qui fut arrêté puis remplacé par un colonel. A l’entrée de son lycée des militaires vérifiaient si les élèves portaient bien l’uniforme et s’ils avaient les cheveux coupés courts.
Lorsqu’il avait 16 ans, avec l’un de ses amis, ils sortaient la nuit pendant le couvre feu et ils écrasaient contre les murs blancs de la ville, des ampoules remplies de peinture rouge. Ces taches rouges sur les murs blancs étaient le symbole de la résistance. S’ils se faisaient prendre dans ces moments là, c’était fini…

L’événement qui l’a le plus marqué, c’est lorsqu’il a du quitter le Chili, qui était sous la dictature de Pinochet, pour aller en Europe. Après un long voyage en bateau, il fut surpris d’arriver dans un pays qu’il ne connaissait pas : la France. A cette époque, ce jeune Chilien a perdu son identité en arrivant dans ce pays.

Bradi a appris la langue française grâce un dispositif gratuit mis en place par l’Etat français, seulement il n’y allait pas souvent, préférant passer son temps avec ses amis. C’est donc d’abord le français des rues qu’il a parlé, comme il nous l’a dit lui-même « je savais dire bagnole avant voiture ». Il a appris à lire et à écrire tout seul, en recopiant des articles de journaux.

Bradi est menuiser-charpentier. Il n’a pas été dur pour lui de trouver du travail car à l’époque, il n’en cherchait pas étant donné qu’il ne pensait pas rester en France. Il se souciait peu de se trouver un travail. Il vivait dans des squats et faisait de la musique pour se payer à manger. C’est seulement après neuf ans de vie en France qu’il a pris un nouveau départ et commencé à vouloir s’installer et fonder une famille.

Bradi a vécu la fin de la dictature en France avec ses amis.
La dictature a mis longtemps à se terminer. Elle a commencé après le coup d’Etat de Pinochet. Mais le peuple Chilien ne voulait pas Pinochet comme dirigeant. Après la dictature, Pinochet a été élu sénateur à vie pour échapper à la justice, puis il est parti en exil. Et en 1985 la démocratie a été instaurée.
Bradi vivait toujours en France à la fin de la dictature. Il n’a été amnistié qu’en 1995. Mais ce n’est pas pour autant que lui et ses amis ont fêté la démocratie en France.

Bradi se pose beaucoup de questions sur le Chili d’aujourd’hui. Il pense que les Chiliens ont la mémoire courte car ils ont élu un proche de Pinochet il y a quelques semaines. Il pense également que l’économie du pays n’est pas bien gérée car le gouvernement développe le pays en ne s’occupant pas du peuple, ni des pauvres. Donc la grande majorité de la population vit dans la misère et elle est souvent analphabète ou alcoolique. Il pense donc qu’il y a une mauvaise répartition de l’argent.

Il n’y est jamais retourné, tout d’abord parce qu’il ne pouvait pas y retourner jusqu’en 1995 puis parce qu’il trouve que le Chili a beaucoup changé, que ce n’est plus le même pays. Néanmoins, grâce à Facebook, il a retrouvé d’anciens amis de là-bas, ce qui lui a redonné l’envie d’y retourner, mais il a précisé qu’il n’y resterait pas, ce serait juste pour des vacances.

Quant à savoir si Bradi se sent plus Chilien ou Français, il nous a répondu : « Je suis Chilien au Chili et Français en France, je m’adapte au pays dans lequel je vis, pour moi il n’y a pas de différence, nous sommes tous des êtres humains après tout ».

Texte des élèves du Lycée Victor Hugo de Besançon, mars 2010

Chili

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