Nous sommes en France, donc il faut épouser la France

Fatima tenait absolument à témoigner de son parcours de vie. De son petit village du nord algérien à sa vie en France. Elle voulait absolument témoigner.


Elle craignait Internet, on en dit tellement de mal, de ses dangers ! Elle voulait être sûre que son anonymat serait préservé. Et puis, les rares personnes auxquelles elle avait fait part de son projet lui disaient que c’est inutile, que témoigner sur la Toile, c’est comme jeter une bouteille à la mer. Elle voulait apporter tout le dossier qui renferme sa vie depuis son arrivée en France. Elle veut qu’on la croie. Elle a le sentiment que sans tous ces documents on mettrait en doute sa parole, son vécu. « Je veux quelqu’un qui m’écoute et qui puisse me croire. Je sais que c’est difficile de croire à tout ce qu’il me faisait. Etait-ce pour me rendre folle ou me pousser au suicide ? » répétait-elle en disant regretter de ne pas avoir eu une caméra cachée. Bien sûr, le parcours de Fatima ressemble à celui de milliers de femmes et surtout à celui de nombreuses femmes immigrées qui ont tout laissé derrière elles pour suivre leur homme. Bien souvent elles ont cru à un avenir meilleur en France, mais selon les propres mots de Fatima : « les femmes croient qu’en venant en France elles vont sortir de la misère, mais parfois c’est la descente aux enfers ». En tous cas, c’est ce qui s’est passé pour elle. Pour Fatima, venir en France équivalait à sortir de la misère morale que lui faisait vivre son mari. C’est aussi pour ça qu’elle a voulu témoigner.

Fatima raconte, raconte. Elle raconte sa vie de petite fille dans une famille aisée où l’on ne manquait de rien. Elle raconte, presque par le menu, le traumatisme de son mariage. On ne lui a pas demandé son avis, pas informée, même lorsque les deux familles se sont mises d’accord. On l’a retirée de l’école pour la marier à quinze ans ! Une gamine ! D’ailleurs ce sont ses copines, des gamines comme elles, qui lui ont annoncé la nouvelle ! Elles avaient entendu les conversations des grands. Elle ne voulait pas y croire ! Bien sûr, elle connaissait celui qui désormais est devenu son futur. C’était un jeune du village. Un jeune qu’elle côtoyait plus ou moins régulièrement, mais jamais elle n’aurait imaginé qu’un jour leurs vies seraient intimement liées. En 1963, elle n’avait que quinze ans, pas encore l’âge légal du mariage. Qu’à cela ne tienne. Seul, le mariage religieux sera célébré. La voilà donc mariée. Ses conditions de vie changent radicalement. D’adolescente, la voilà épouse. Son mari sans emploi fixe. Parfois, il était saisonnier agricole. Très pudiquement, elle souffle que très rapidement il avait commencé à la battre et qu’elle ne mangeait pas à sa faim. Cela a duré plusieurs années. Sept ans exactement. En 1969, l‘époux a voulu partir en France. À cette époque c’était très facile. Les employeurs venaient depuis la France chercher la main-d’œuvre ! Mais avant d’aller en France, il fallait avoir tous ses papiers en règle. Le mariage civil fut alors célébré.

Fatima reste quant à elle en Algérie et deux ans sans voir son mari. C’était autant de répit dans les violences conjugales. Au bout de quatre ans, Fatima rejoint son mari en Franche-Comté. Nouvelle vie, mais même violence. Ne rien dire à qui que soit. Il fallait « montrer un bon visage, car dit-elle la violence c’était toujours à petit feu, aussi bien en France que pendant les vacances en Algérie, jamais devant les autres. S’il apprenait que j’avais parlé, j’en aurais subi les conséquences ». Fatima fait l’apprentissage du monde du travail, sans préparation aucune. « Une semaine après mon arrivée, dit-elle, le comptable de l’entreprise où travaillait mon mari est venu à la maison me dire qu’il fallait venir travailler à l’usine. C’était très dur : le rythme, le travail à la chaîne, les machines. Auparavant je n’avais jamais travaillé. » Au bout de deux et demi Fatima s’arrête. Elle a repris le travail quelques années plus tard, car elle voulait pouvoir disposer de son propre argent. « Il m’achetait les trucs qu’il voulait lui, mais que je n’aimais pas et ça il ne le comprenait pas. Pour lui, il fallait obéir un point c’est tout». Elle se rappelle en souriant, «en 1973, on n’avait pas de chèques. La paie se percevait en liquide. On faisait la queue devant le bureau et on recevait notre enveloppe. Je savais lire et écrire en français (j’avais appris en Algérie) mais je ne savais pas compter l’argent français. C’est mon mari qui faisait tout parce qu’il est arrivé en France quatre ans avant moi. Il m’avait isolée de tous et de tout. On me dit : depuis le temps que vous êtes là et vous ne savez pas prendre le bus ! Mais je ne sortais pas ! réplique-t-elle. La jalousie a rendu mon mari malade et il menaçait tout voisin, voisine qui m’adressait la parole. Il a fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Quand je suis arrivée en France et avec l’accord de mon mari, j’ai enlevé le voile. Je me suis très rapidement intégrée tout en gardant ma culture et ma religion. Nous sommes en France, donc il faut épouser la France, sinon il ne faut pas venir, et rester au pays. Mon mari lui, est resté très imprégné de sa culture et de sa mentalité. C’est très difficile de vivre ainsi parce qu’il y a un tel décalage qu’on ne peut pas avancer dans la société, ni simplement dans la vie. Aujourd’hui que je suis en instance de divorce, je sors, je fais mes démarches toute seule. Je commence à connaître les magasins, les gens.

Aujourd’hui, je suis libérée, mais au prix de tant de souffrances et de tant de maltraitance. Même si ma santé s’est beaucoup fragilisée à cause de tout ce que j’ai vécu, je vis. Et tout en cadrant bien mes enfants je leur apprends la liberté. »

Propos recueillis par Farida TOUATI, janvier 2011

Algérie

Franche-Comté, France

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