« Les premiers réfugiés que j’ai fait venir c’est en octobre 1977. J’avais été au camp de réfugiés Aranyaprathet, à la frontière thaïlandaise. »
Les étudiants étrangers de Planoise
Quand j’ai été nommé curé de Planoise en 1970, je me suis beaucoup occupé des étudiants étrangers. A l’église avec le Crous on organisait une fois par an une grande fête pour que les paroissiens entrent en contact avec eux. On faisait des soirées folkloriques, avec des danses indonésiennes, thaïlandaises, cambodgiennes, latino-américaines…
Je m’occupais donc des étudiants asiatiques. Il y a eu plusieurs vagues : une trentaine d’étudiants vietnamiens, puis une trentaine d’étudiants cambodgiens. Ils restaient ici pour un an, au CLA et à l’Université. J’ai sympathisé avec les Vietnamiens, puis avec les Cambodgiens.
En 1973, une étudiante indonésienne m’a invité à aller chez elle. Elle retournait dans son pays après ses deux ans d’études en France. C’est ainsi que je suis allé pour la première fois en Asie. Et alors là, j’ai attrapé le virus ! L’amour de l’Asie !
En 1976, il y avait trente étudiants cambodgiens et trente vietnamiens qui se sont retrouvés avec un statut de réfugiés après la chute de Phnom Penh le 17 avril 75. Donc, avec le Crous, il a fallu les aider à trouver du travail et un logement. C’est comme ça que j’ai mis le petit doigt dans l’engrenage.
Et puis ça a été le bouquet… Sachant que j’étais allé en Indonésie, les Thaïlandaises m’ont dit qu’il fallait aller aussi chez elles. Elles m’ont invité en Thaïlande et c’est là, en juillet 1977, que je suis allé dans les camp de réfugiés.
Ce fut le début de vingt-cinq visites dans des camps de réfugiés.
1977 : les premiers réfugiés
Les premiers réfugiés que j’ai fait venir c’est en octobre 1977. J’avais été au camp de réfugiés Aranyaprathet, à la frontière thaïlandaise. Là un réfugié – qui est aujourd’hui à Besançon – m’a demandé si je pouvais l’aider à venir en France. Il a donc fui les Khmers rouges. J’ai fait un certificat d’hébergement. J’ai pris toutes les coordonnées… et il est arrivé trois mois après. Il devait venir avec son frère. Mais en réalité, ce n’était pas son frère, et c’est là que j’ai commencé à découvrir la mentalité asiatique. En fait, son « frère » était un ami du village. Il n’est pas venu avec lui mais avec sa fiancée que l’on a laissée à Paris. Pour lui, j’avais trouvé du travail et un logement à Besançon. Il a été gardien du collège Saint-Joseph à l’époque jusqu’à sa retraite. Plus tard on est allé chercher la fiancée. Il y a eu le mariage, etc. Tout le monde connaît ce ménage, puisqu’ils sont présents au marché couvert des Beaux Arts.
« Aucune migration que je connaisse
n’a été aussi bien accueillie que les Asiatiques. Aucune »
Ils ont quitté leur pays uniquement pour des raisons politiques. Les Cambodgiens pour fuir l’enfer de Pol Pot, les Laotiens les répressions du Pathet Lao, Les Vietnamiens pour échapper aux Vietcongs après la prise de Saigon.
Quand ils sont arrivés en France, on les a accueillis « royalement ». Aucune migration que je connaisse n’a été aussi bien accueillie que les Asiatiques. Des associations ont été créées dans de nombreuses communes. Par exemple à Mamirolle, Vuillaffans, Ecole Valentin, Quingey…
Alors c’est très curieux, parce que les familles des villages se disputaient pour être famille d’accueil. Au cours d’une émission de télévision en juillet 79 on disait « une famille d’accueil par village ! ». Et puis il y a eu l’appel de Monseigneur Etchegaray le même mois : « une famille par paroisse ! ».
Alors à cette époque là, j’avais une mission officielle, presque gouvernementale, et j’ai fait des quantités de réunions dans les villages. C’était à partir de 1979, quand ils sont arrivés en masse. Avant, ils arrivaient au compte gouttes.
En 79, quittant la paroisse de Planoise, les autorités religieuses m’ont proposé de créer la Pastorale des migrants pour les étrangers et pour les réfugiés. Ainsi, j’ai eu les mains libres. À partir de ce moment là, étant délégué départemental du CNE (Comité National d’Entraide franco-vietnamien, franco-cambodgien, franco-laotien), étant à l’Afcar et à La Pastorale des migrants, je me suis donné à fond.
« Il ne faut pas oublier que Besançon est une ville d’accueil.
La première de France, la ville de Besançon s’est engagée
pour accueillir des réfugiés asiatiques »
Au mois de juin 1981, après l’élection présidentielle, je suis allé à Paris avec Bernard Kouchner demander à Mitterrand que la France honore les engagements qu’elle avait pris envers des réfugiés. C’est-à-dire que 5 500 réfugiés cambodgiens avaient obtenu un visa pour venir en France. Or, comme Giscard d’Estaing avait réduit les quotas, la France ne voulait plus d’eux. La Thaïlande n’en voulait plus, la France n’en voulait plus. Alors on les a envoyés en Indonésie à Galang (île au sud de Singapour transformée en camp pour l’accueil des réfugiés vietnamiens boat people), où je suis allé les voir en attendant. Finalement, Mitterrand a accepté d’honorer ces 5 500 visas. Mais il faut ajouter les réfugiés du quota habituel qui se trouvaient en Thaïlande, aux Philippines, en Malaisie, à Hongkong, etc. Si bien que tout d’un coup, c’était 1 500 asiatiques qui arrivèrent chaque mois en France, pendant 2 ans.
J’étais alors délégué d’une association gouvernementale dont l’objet était de faciliter l’accueil des réfugiés asiatiques dans le département du Doubs, dans le Territoire de Belfort et pratiquement dans le Jura. Le Comité National d’Entraide (CNE) était dirigé par le préfet Barbier de Haute-Saône. Celui-ci m’a demandé de créer un foyer dans le département du Doubs, en plus du Centre Provisoire d’Hébergement (CPH)] du Forum à Besançon et de celui de Lure en Haute Saône.
Car, il ne faut pas oublier que Besançon est une ville d’accueil. La première de France, la ville de Besançon s’est engagée pour accueillir des réfugiés asiatiques et les installer dans des immeubles sociaux qui ont été rénovés, dans le quartier de la rue Pesty. Besançon est aussi la seule ville de France dont l’organisme social, le CCAS, a fondé un CPH pour les réfugiés titulaires de la carte de réfugiés (le Forum).
En 1981, j’ai fait la connaissance de monsieur Bernard Weil. Un grand résistant qui, depuis Londres, avait été parachuté dans la région pour organiser la Résistance. C’est vraiment un homme remarquable, et lui, Juif, concerné par la Shoah, il a voulut faire quelque chose pour les réfugiés. Peu de temps avant de le rencontrer, j’avais été dans un camp thaïlandais qui s’appelait le camp de Kamput. Dans le pensionnat d’un lycée d’état religieux à CHANTABURI , en Thaïlande où je logeais, j’ai rencontré un missionnaire français expulsé du Vietnam.
Avec un accent très alsacien il me dit : « Père [prend un accent alsacien], vous avez le pass pour aller dans le camp de Kamput et moi je parle Thaï. Mes professeurs m’ont dit qu’il y a cinquante réfugiés dans une prison à Tap sai (village sur la route de Kamput). Ils ne sont pas considérés comme réfugiés, ils sont à la merci du bon vouloir des soldats de l’armée thaï et des gendarmes thaï. Donc on va aller les voir ». Donc, on y est allé. Il a pris la parole en Thaï et j’ai montré mes papiers. Tout de suite, les gendarmes thaï ont été très compréhensifs. Ils ont réuni tous les réfugiés dans une salle. Ils ont parlé : ils avaient tous peur que les soldats viennent violer les jeunes femmes. Alors je leur ai dit d’écrire une lettre d’appel au secours que je remettrais à l’ambassade le lendemain. Ils ont donc rédigé une lettre. Certains parlaient très bien le français. Le lendemain à l’ambassade, tout de suite, le colonel chargé de la mission des réfugiés a téléphoné au HCR devant moi pour expliquer le problème. Le HCR a immédiatement envoyé un représentant sur place pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de disparition. Et huit jours plus tard, un autocar est venu chercher les réfugiés. Sur les cinquante, vingt sont venus en France, dont dix à Besançon. Et c’est donc M. Bernard Weil qui les a accueillis. Il les a embauchés à l’usine et leur a fourni un logement.
C’est comme s’il y avait une fraternité des persécutés…
Oui, oui ! De la part de Bernard Weil, c’est très net. Donc là, vraiment, j’ai découvert un homme qui est maintenant vraiment un ami.
Quand les réfugiés ont été ici, il a donc fallu leur trouver du travail et un logement. En plus des embauches chez Weil, j’ai dû faire la tournée des usines. Il y avait des Vietnamiens chez Kelton dans l’horlogerie, chez Maty…Je faisais du porte à porte. Tout le monde savait que j’étais prêtre, mais on me recevait comme représentant de l’AFCAR, du CNE, m’occupant des réfugiés. Et mon statut de prêtre a certainement joué. Il n’y a eu aucun problème. On trouvait les boulots qu’on voulait, mais tous ont été déclassés par rapport aux emplois qu’ils exerçaient dans leur pays d’origine.
« Au début, ils ont accepté n’importe quel travail.
C’était le travail qui commandait.
Ils n’avaient pas de racines. »
Au début, ils ont accepté n’importe quel travail. C’était le travail qui commandait. Ils n’avaient pas de racines. Pas de famille. Au début à Besançon il y avait du travail pour tout le monde parce qu’il y avait beaucoup de grosses usines qui aujourd’hui ont disparu. Il y en a un certain nombre qui sont allés à Villers-le-Lac dans l’horlogerie, à Oyonnax dans le plastique, etc. La mairie de Saint-Claude, dans le Jura, a accueilli une famille laotienne. Une seule officiellement. Eh bien maintenant il y a cent familles laotiennes à Saint-Claude, à cause du travail pour l’automobile, le plastique. Ils vont là où il y a du travail. Ils n’ont pas eu peur de se déplacer à travers la France. Aujourd’hui, leurs enfants font comme les jeunes Français, ils vont là où il y a du travail, à droite à gauche. Et les anciens commencent à prendre leur retraite ici, sur place. Par exemple, ceux qui ont trouvé du travail à Besançon ont construit des maisons. Oui le travail a été un facteur d’intégration.
Témoignage du Père Gilles. Propos recueillis par Samuel Mesnier le 24 octobre 2008 et mis en forme par Alain Gagnieux et Odile Chopard.
Asie du Sud-Est
Besançon, France