« Quand j’étais enfant, dans mon village au Congo, j’ai su que plusieurs de mes grands-oncles avaient fait la guerre en France, la grande, celle de 14-18, puis celle de 40 et d’Indochine.
L’un d’eux était revenu amputé d’une jambe au cours de l’une de ces campagnes militaires. Le 14 juillet, même après l’indépendance, on hissait le drapeau français et celui du pays. Ils arboraient toutes leurs décorations. C’est à ces braves combattants de la liberté que je dois une certaine idée de la France.
Malgré ce don précieux fait à la France, dans les pires moments de son histoire, nous demeurons les enfants du désamour. Nous sommes les enfants de ce viol que l’on appelle complaisamment colonisation. Ce n’est pas parce-que nous sommes nés d’un viol qu’on doit être mal-aimés.
La France a mal à son triptyque : Liberté, Égalité, Fraternité. L’égalité est un vœu pieux et nous avons mal à la fraternité. »
Constitution à la main, Jean-Michel m’explique que l’article 6, garantissant l’égalité pour la formation et pour l’emploi n’est pas appliqué, et que l’on n’est pas prêt à mettre des noirs à certains postes, surtout dans la fonction publique.
Un potentiel longtemps inemployé
Il arrive à Besançon en 1987, pour ses études en facultés de lettres, après sa licence obtenue à Brazzaville, et après avoir contacté plusieurs universités.
Avec son doctorat en sciences du langage, il lui a souvent été répondu qu’il était surdiplômé lors de ses recherches d’emploi.
Depuis peu il a été embauché au conseil régional au service de coopération décentralisée.
Longtemps, ce potentiel inemployé l’avait rendu un peu amer.
« Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous », a dit Desmond Tutu *.
« Or, si je diminue l’autre, je m’affaiblis, j’appauvris tout le monde. En formant des gens qui ne servent à rien, on fabrique de la frustration. J’aime la France et je veux lui redonner ce qu’elle m’a donné.
Ce que l’on donne localement rejaillit universellement. Au lieu de cela on me proposait le RSA. Je n’ai pas appris la Marseillaise pour toucher le RSA ! »
Malgré tout, il ne perdait pas espoir, même s’il n’avait plus grand chose à perdre, car, comme on dit au Congo : « Celui qui dort à même le sol n’a pas peur de tomber du lit … »
Il rêve d’une société où l’on pourrait partager le travail, à plusieurs sur un même poste, chaque temps de la vie pouvant être consacré alternativement à la formation, à l’emploi, à l’éducation des enfants. A chaque étape on redonnerait à la société sous une forme différente ce dont on a bénéficié.
* Desmond Tutu : archevêque anglican en Afrique du sud, militant de la lutte anti-apartheid ce qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 1984. Il fut président de la commission de la vérité et de la réconciliation mise en place par Nelson Mendela. Il soutient tous les combats contre l’injustice dans le monde.
Mieux vivre ensemble… ou tendre la main pour faire la chaîne humaine
Il redonne déjà, en faisant partie du conseil consultatif de son quartier, et où la question des personnes âgées lui tient à cœur. « Je me soucie des aînés, je veille à ce que l’on fasse une chaîne autour d’eux. »
La devise du site : Mieux nous connaître pour mieux vivre ensemble, l’intéresse tout particulièrement. Comment fait-on pour mieux vivre ensemble ? Recueillir la parole et mettre en commun la mémoire va créer du lien. Il est important que l’on sache, comme en Afrique, de qui on est le fils.
Pour Jean-Michel, il est évident qu’il faut revenir à ce qui nous rassemble, notre belle devise républicaine, plutôt qu’à ce qui nous divise. Point n’est besoin d’en débattre, ni d’opposer les français aux français. Il faut transmettre ce que l’on a en commun dans les écoles, les associations, les quartiers, tous les lieux de socialisation.
Terres et Peuples d’Afrique : une passerelle, un outil pour favoriser la rencontre entre citoyens
Jean-Michel est co-fondateur du festival « Lumières d’Afrique », et reste en lien permanent avec APACA. Depuis 2004, avec le soutien du conseil régional, du Conseil général et de la ville de Besançon, il a créé l’association « Terres et Peuples d’Afrique », qui a organisé cette année des rencontres littéraires « Regards de femmes sur l’Afrique » et un hommage à Aimé Césaire. A travers ces actions, il veut vraiment favoriser la rencontre entre bisontins, hors de tout communautarisme.
Rêvons un peu …
Pour la cohésion sociale et pour plus d’efficacité, il souhaiterait que toutes les associations africaines se fédèrent, afin de créer une synergie. Il serait envisageable d’avoir un lieu et des emplois communs, d’établir un agenda commun, d’imaginer des évènements communs en essayant de mutualiser la communication et les subventions. Cela irait dans le sens du développement durable et réduirait les coûts. Il serait bon aussi d’accompagner et de former les responsables d’associations pour les professionnaliser.
Pour ce faire, on pourrait mettre les présidents d’association autour d’une table pour en parler, mais « on se heurtera vite à des problèmes d’égo, ce sont des personnalités fortes !
Il faut un fil conducteur pour harmoniser les multiples associations, pour être plus forts, sans redondance, pour ne pas s’éparpiller. Il y a beaucoup de bonnes initiatives à Besançon, comme le forum des associations, mais il n’y a pas de lien, pas de mise en commun, ce sont des solitudes qui se côtoient, il faudrait mettre en musique toute cette générosité. »
Jean-Michel est prêt, il a beaucoup à donner, pas seulement à ses trois enfants nés ici, à qui il communique son amour des livres, et à son quartier. Transmettre son idée de la France, et de la façon d’y vivre ensemble, voilà qui lui tient à cœur
Le 2 décembre 2009, entretien avec Jean-Michel Nzikou, à son domicile. Propos recueillis par Geneviève Cailleteau.
Congo
Besançon, France