Intro…
Cela fait du bien de croiser le regard accueillant et paisible de Fatiha. On est saisi par l’assurance tranquille de ses propos. On a envie de prolonger la conversation, de lui demander conseil, avis. De se laisser bercer par sa voix.
Je m’appelle Fatiha, je suis née à Besançon en 1968. Je suis française. J’ai deux enfants, une fille de 23 ans et un garçon de 18 ans. Ce témoignage rend hommage à mes parents venus d’Algérie dans les années 60 qui ont su nous donner l’éducation et les valeurs nécessaires pour devenir des citoyens français.
Mon père
Mon père a quitté l’Algérie pour venir en France dans les années 60 pour des raisons économiques, après l’indépendance. Sans qualification, il a exercé différents métiers manuels : il a balayé les rues, il a travaillé dans la maçonnerie, puis il a eu un accident du travail où il s’est coupé 2 doigts, puis il a reçu un projectile dans l’oeil, qui l’a rendu borgne. Après il a été reclassé en quelque sorte, mais il n’avait pas de reconnaissance de travailleur handicapé, pas de pension d’invalidité. Après il a travaillé dans une cafétéria. Le projet de mon père était de repartir au pays, construire sa maison et puis vivre là-bas. Il n’a même pas voulu profité des allocations au logement à une époque quand ça se construisait à Chateaufarine, ma mère était preneuse mais mon père n’a jamais voulu.
Mon papa est décédé en 2001. Il est enterré en Algérie, dans la région de Batna.
Ma mère
Ma mère est venue en France par regroupement familial, plusieurs années après mon père, avec mes sœurs et frères aînés. Je suis la première des enfants nés en France. Nous sommes 10 enfants, dont 4 sont nés en Algérie et 6 en France.
Mes parents n’ont jamais fréquenté l’école et ne savaient ni lire ni écrire. Mon père savait écrire son prénom ou les chiffres, lire quelques mots. Mais ma mère prenait des cours de français à la maison de quartier de Planoise, elle ne lâchait rien ! Elle a toujours essayé d’apprendre à lire à écrire, elle sait lire les lettres, mais elle a du mal à les associer. Elle a travaillé pendant 2 ans en CES (contrat d’emploi solidarité) autour de la cinquantaine après la naissance de ses 2 derniers enfants. Elle en a été fière.
Planoise comme lieu d’attache
Quand ils sont arrivés en France, mes parents ont habité à Champvans-les-Moulins, c’est le maire je crois qui leur avait mis à disposition une grosse ferme qui n’était pas du tout équipée sur le plan hygiénique mais en été c’était super. Ensuite ils sont arrivés dans le quartier de Montrapon et puis à Planoise quand elle a commencé à se construire. J’habite Franois mais j’ai toujours besoin de retourner à Planoise, ça me ressource énormément… parce qu’il y a des gens, on croise du monde.
Ecole comme moyen d’émancipation
J’étais la première de la famille à avoir le bac, ma mère m’avait offert une gourmette en or pour l’occasion ! Je suis partie tôt de la maison, j’avais 19 ans, pour me marier, juste après avoir obtenu le bac. C’était important pour moi le bac. Avec mon mari, on a « officialisé » en 2006 parce que ce qui comptait pour mes parents c’était le mariage religieux.
Ma scolarité a été compliquée. On ne s’est pas rendu compte que nos parents étaient analphabètes, nos enfants ont de la chance que nous, on peut les aider. Mais ma mère nous a toujours poussés pour faire des études. Je pense qu’elle aurait voulu être scolarisée.
Mon père était encore baigné dans la culture de là-bas, donc les filles allaient à l’école jusqu’à 15 ans après c’était fini… mais heureusement la mentalité a changé… moi j’ai échappé à ça, j’ai pu aller au lycée. Au collège j’ai redoublé, le conseiller d’orientation m’avait dit « tu peux aller au lycée professionnel pour être secrétaire », mais ma sœur était en train de faire ça, sténodactylo, elle passait des soirées à faire des traductions en sténo. Moi je n’étais pas très bonne en orthographe donc j’avais dit au conseiller que je ne voulais pas faire ça. J’ai redoublé ma 3e, c’était une chance pour moi car j’ai pu ensuite entrer au lycée général.
A l’époque, quand je suis arrivée au collège et au lycée, il y avait très peu d’étrangers mais il y avait déjà beaucoup de racisme, moi je l’avais ressenti, au collège moins… C’était nouveau que les étrangers aillent au lycée général. Je me suis retrouvée dans une classe où on était 35, on devait être 2 maghrébines. Je me suis donnée à fond et je n’ai pas redoublé mes années de lycée, mais je n’y croyais pas parce que je me disais de toute façon que je n’aurai jamais mon bac. Je pense que j’avais énormément de lacunes, d’ailleurs je suis passée en 6e de justesse. J’en étais fière, j’avais compris que de justesse voulait dire que j’avais les félicitations du jury (rire).
Une trajectoire professionnelle assumée
Pour ma vie professionnelle, je trouvais que c’était intéressant de m’orienter vers une profession d’accompagnement. J’étais tout d’abord surveillante dans un collège. Puis le CRIF (Centre régional intégré de formation) avait mis en place une action d’orientation professionnelle pour les jeunes diplômés. J’avais fait des stages pour encadrement de groupes, pour remise à niveau en vue de la préparation de concours dans le sanitaire ou social. J’ai fait un stage au CFB (centre de formation Bourgogne-Franche-Comté) en tant que formatrice suite à quoi on m’a proposé des vacations. Ma référente du CRIF m’a proposé de travailler pour eux, c’était une série de CDD de 1999 à 2003.Un collègue du CRIF m’avait dit qu’ils cherchaient quelqu’un à la Blanchisserie du refuge. J’ai dégagé du temps pour pouvoir travailler avec la Blanchisserie où je suis à plein temps depuis 2003. J’ai créé mon poste d’accompagnatrice socioprofessionnelle.
Depuis les enfants ont grandi aussi. Ma fille finit ses études d’ingénieur en innovation, elle va se marier bientôt. Elle habite dans le Nord Pas de Calais. Mon fils est au lycée Jules Haag, il prépare son bac mais il doit faire plus d’efforts pour trouver sa voie.
Bisontine de naissance et d’appartenance
Je ne suis pas retournée en Algérie depuis mes 18 ans, je n’en éprouve pas le besoin. Mon mari, ayant vécu le plus longtemps avec sa mère, française, n’a pas non plus un lien fort avec l’Algérie. On ne parle pas bien arabe. Quand on était petits, on y allait presque tous les ans. Mais après la mort de mon père, ma mère n’a plus de maison ni de biens là-bas, ce n’est plus son Algérie. Mais elle parle beaucoup de son époque, elle a 81 ans.
Mon fils s’est fait beaucoup d’amis marocains. Ils vont à la mosquée et bien qu’il ne connaisse pas le Coran, il a envie de faire comme eux, lors du ramadan par exemple. C’est aussi l’effet du quartier. Je lui dis que la religion c’est sérieux, il faut étudier, comprendre, se poser des questions, savoir pourquoi on le fait. On le laisse découvrir, mais j’imagine que c’est compliqué pour les jeunes d’aujourd’hui. A mon époque, on n’allait pas à la mosquée, on n’apprenait ni arabe ni le coran. Ma mère ne nous l’a jamais transmis, elle a évolué parmi les Français.
Questions d’origines, questions de génération
Je ne me suis jamais posée la question si j’étais plus maghrébine que française, mais je tiens à ma culture, mes racines. Ce n’est pas anodin si je travaille dans ce type de structure où on accueille les étrangers, je sais que c’est difficile de venir ici, de se loger. Mes parents sont venus de loin pour trouver du travail. Mais l’histoire de nouveaux migrants ne me paraît pas du tout la même.
Les migrants d’aujourd’hui viennent pour se protéger, se réfugier. Ils n’ont pas cette hargne de trouver de suite du travail, ce n’est pas les mêmes phénomènes migratoires. Je me retrouve plus dans les enfants de ces femmes qu’on accueille que dans elles. Je pense qu’il est très important de faire quelque chose pour soi, alors j’essaie de les pousser à ce qu’elles fassent des choses pour elles. Elles me considèrent comme arabe, de par mon nom et prénom, elles ont du mal à comprendre que je me sens française. La Blanchisserie me permet de pouvoir parler avec les femmes, de les aider à s’émanciper, de leur donner le sentiment qu’elles peuvent trouver une solution. C’est un poste qui est très intéressant, il y a un peu de féminisme, un peu de sociologie, il s’agit de prendre la personne dans sa globalité.
Témoignage de Fatiha Hedna, recueilli par Gigliola et Douchka Anderson, février 2019, pour le site « Migrations à Besançon »
Algérie
Champvans-les-Moulins, France