Devenir français, est-ce juste obtenir des papiers ?

La culture française m’a toujours imprégnée, avant même mon installation en France il y a deux décennies de ça.


Je suis née en Algérie, alors département français, à Alger plus précisément. Ma langue d’usage, voire ma langue maternelle était et demeure en quelque sorte le français. Mon père, instituteur, nous a appris à lire et  à écrire cette langue avant même d’entrer en maternelle. Ma mère, quant à elle, nous enseignait la langue arabe pendant les grandes vacances scolaires. C’est dire, qu’à la maison nous parlions, réfléchissions, rêvions naturellement en français.  Chez nous, nous avons toujours parlé français.
A l’école, Très tôt j’ai appris que mes ancêtres étaient Gaulois, la  France ma patrie, la Marseillaise mon hymne national. Je me rappelle que la semaine commençait et se terminait sous le préau par le salut au drapeau dans le silence le plus profond que j’ai jamais connu. Et gare à celle qui bronchait ; elle était punie de récréation !!
Je connaissais mieux l’histoire de France que celle de l’Algérie. Mais au fonds qu’importait ! Je n’avais pas encore découvert les subtilités de la géostratégie !

Il y eu l’indépendance du pays en 62.
J’ai fait mes études secondaires au lycée français, qu’on appelait « lycée de la Mission » d’une part parce que l’arabisation nous était « tombé sur la tête » sans apprentissage préalable de la langue arabe et surtout parce que pour mes parents c’était le lycée le plus proche du domicile familiale. Le parcours maison-lycée devait être le segment de droite le plus court possible !
J’ai alors étudié les grands classiques de la littérature française, les philosophes, l’Histoire de France. De l’Algérie, Le prof d’histoire nous a parlé de l’incident de l’éventail, des exploits du général Bugeaud, de la Smala d’Abdelkader. L’Algérie, nous avait-elle expliqué, était un vague assemblage de tribus indigènes.

J’ai bien sûr grandi et fait mon petit bout de chemin. j’ai, entre autre, fait «connaissance » d’historiens de l’Algérie comme Benjamin Stora, Mahfoud Khadache ou Mohamed Harbi, d’écrivains comme Mohamed Dib, Rachid Boudredra, Kateb Yacine etc. et bien d’autres depuis. La musique  andalouse aussi. Je découvrais avec délectation un nouveau patrimoine.

Dans les années soixante dix quand j’ai rejoint l’Université, nous avions le choix de nous inscrire dans la filière francophone ou arabophone pour un même cursus de formation.  
Pour moi, suivre la filière francophone  était une évidence. J’ai fait Sciences Po et Sciences de l’information.  Là encore, ce sont des profs français qui m’ont formée.

Donc, depuis ma plus tendre enfance, je baigne dans cette culture. Elle fait partie de moi de ma richesse intérieure. Culture algérienne et culture française m’ont pétrie, m’ont forgée. Toutes deux en harmonie, elles ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Alors, quand nous sommes arrivés en France je ne me suis jamais sentie une étrangère.
Quitter l’Algérie n’a jamais fait partie de nos projets. Nous avons dû nous résoudre à fuir le pays pour des raisons sécuritaires, ayant été la cible directe des terroristes qui sévissaient alors dans tout le pays.

Au début bien sur, c’était difficile.
Trouver un logement, du travail, veiller plus que  jamais au bon déroulement des études des enfants, se retrouver dans les méandres des informations et des services administratifs. Jamais, je ne me suis sentie en terre étrangère. Je me sentais chez moi. L’intégration n’a jamais fait partie de mon vocabulaire ou même de mes pensées.
Les fonctionnaires de la préfecture nous recevaient correctement et nous n’avions pas rencontré de problèmes procéduriers particuliers pour l’établissement de nos cartes de résidence, mais nous étions toujours inquiets, c’était le stress permanent, pour prendre  rendez-vous au service des Etrangers, y déposer les dossiers administratifs, retirer le fameux sésame. Et surtout, surtout, toujours arriver avant l’heure.  Le stress était aussi généré par des militants associatifs qui nous parlaient de racisme, qui nous mettaient en garde «n’allez jamais seuls en préfecture. Prévenez beaucoup de monde avant vos rendez-vous car vous risquez fort d’être expulsés manu militari ! » Etait-ce cela la France ? En tous cas pas celle que nous connaissions. Nous avons toujours été bien reçus quelque soit le Service auquel nous nous adressions. Une seule fois, nous avons eu droit à cette réflexion d’un agent du service des étrangers « Vous n’êtes pas appelés à rester définitivement en France, un jour vous allez être renvoyés dans votre pays. » Sincèrement, à ce moment là, nous avons eu froid dans le dos. Le stress quant à une stabilisation de notre situation commençait à nous envahir de plus en plus. Où irions-nous puisque notre pays de naissance était à feu et à sang ?

Qui est votre pays ? Doit-il être celui de votre naissance à l’exclusive de tout autre ?
Est-ce cette réflexion qui a fait germer l’idée de demander la nationalité française ? Est-ce un besoin de sécurisation pour nous qui avions perdu  sécurité physique, morale et affective ? Est-ce la singularisation, imposée, des enfants lorsqu’ils devaient participer à un voyage scolaire à l’Etranger ? A l’occasion de l’un deux, si ce n’était la forte détermination des enseignants accompagnateurs, ma fille, collégienne à l’époque, a failli se faire renvoyer vers la France, parce qu’il manquait un document que le collège n’avait pas mentionné dans la constitution du dossier. Cet incident l’avait profondément marquée et, en 1998 lorsqu’elle est devenue française sa première réflexion a été : « maman, je suis devenue comme les autres ?». Je me suis rendu compte alors combien était profonde et silencieuse sa souffrance. Je me souviens également de l’inquiétude qui m’avait rongée toute une journée malgré les paroles bienveillantes du proviseur du lycée qui m’avait garanti que mon fils n’aurait aucun ennui durant la visite du CERN en Suisse. Quelque chose d’exceptionnelle semble-t-il. Quelques jours auparavant j’avais lu dans la presse des articles disant qu’au cours des visites de classes dans des établissements sensibles, les élèves étrangers n’y étaient pas admis et qu’ils devaient attendre dehors la fin de la visite par leurs camarades français !!

Nous n’avions pas trop d’informations sur les démarches à effectuer pour obtenir la nationalité française, par contre beaucoup d’anecdotes sur les difficultés ou les déboires de un tel ou une telle. Je me remémorais les états d’âmes de personnes que je connaissais et qui avaient parcouru ce chemin. Par exemple Coline une amie belge m’avait fait part de son déchirement lorsqu’ on lui avait demandé de « renier sa nationalité d’origine.» C’est sur la pression bienveillante de son époux et parce qu’elle n’avait pratiquement plus de famille qu’elle s’y résout. Elle ne l’a jamais regretté. Abdelatif, ce qu’il a toujours regretté, lui, c’est d’avoir troqué son  prénom pour celui d’Alain. Il vivait comme un véritable drame le passage de la frontière algéro française. Il demandait toujours un visa alors qu’il avait la double nationalité.
J’entends encore les sarcasmes sur ce jeune marocain qui lui aussi avait changé de prénom, décision que certains de ses compatriotes considéraient comme un reniement. Reniement ? Lorsque j’étais étudiante à Alger, nous avions une prof d’origine allemande qui avait opté pour la nationalité algérienne et embrassé la foi musulmane. Pour plaisanter, un camarade lui demanda un jour pourquoi au vu de cette situation elle n’avait pas pris un prénom algérien ? Elle lui rétorqua : « je m’appelle Hélène. Mon prénom est le fondement de mon identité, alors jamais je ne changerai de prénom. » Aujourd’hui, je comprends ce qu’elle ressentait.

Pourquoi avoir demandé la nationalité française ? Tout simplement, parce que cette démarche fait partie naturellement d’un processus de reconnaissance et d’appartenance au pays qui désormais est le mien. C’est aussi dire à mes enfants c’est ici, notre, votre port d’attache. Vos propres enfants sont issus de cette terre. La naissance de ma première petite fille gardera à jamais pour moi une extrême importance. Ce petit bout de chou, ce petit bout de moi est ma première racine dans ce pays. Désormais, je me sens enracinée.
Demander et obtenir la nationalité française : c’est un acte fondateur. Ce n’est pas une démarche administrative quelconque. C’est aussi et surtout une démarche et un équilibre intérieurs. Ce n’est pas une mue au cours de laquelle on se desquame. Ce ne peut pas être une affaire de possession/dépossession. Pour vivre sereinement son état de Français faut-il vraiment jeter aux orties son Histoire et celle de ses ancêtres ?
Au fait, en parlant d’Histoire : je n’ai pas été naturalisée française, mais réintégrée dans la nationalité française puisque je suis née sur un territoire français.

Témoignage de Farida TOUATI

Alger, Algérie

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