Cette double culture, c’est une richesse, avant je le vivais comme un fardeau
«Te voilà au centre Martin Luther King, mais comment es-tu arrivé à Besançon ? Tu es né où ?»
« Je suis originaire de Béthoncourt, mon père travaillait chez Peugeot, puis dans les années 84-85, il a pris une somme d’argent que lui donnait l’état pour retourner en Algérie, comme des milliers d’étrangers, dans le cadre de l’aide au retour du pays d’origine. On s’est retrouvé propulsé dans un autre monde. »
« Ton père avait quitté l’Algérie à quel âge ? Il est resté combien de temps à travailler en France avant qu’on lui propose de retourner contre une somme d’argent ? »
« Il avait 17 ans, mais au début, il est venu par intermittence. Ensuite, il est resté 30, 35 ans en France. »
« Tu avais quel âge quand vous êtes rentrés ? Tu étais déjà allé en Algérie ? »
« J’avais 11 ans, j’y allais en vacances, et j’étais super content d’y aller définitivement, pour moi c’était les vacances ! Mais au bout d’un an, on déchante vite. On est aussi perçu comme un étranger là-bas. De l’âge de 12 à 18 ans, ça a été une parenthèse dans ma vie, je savais qu’à 18 ans j’aurais le droit de revenir chez moi. »
« Rapidement tu t’es dit que ce pays, l’Algérie, n’était pas spécialement celui où tu voulais vivre et travailler ? »
« C’est difficile, c’est pas parce-qu’on porte un nom arabe, qu’on a une histoire là-bas, ça ne fait pas tout. Je me suis retrouvé là-bas aussi étranger qu’ici parfois. »
« Tu as ressenti que ta place était en France ? »
« Oui, au bout d’un an, je ne me voyais pas vivre là-bas. Mais ça m’a enrichi. J’ai appris l’arabe, je sais le lire et l’écrire. J’ai appris l’histoire de mes racines. Ça m’a construit, mais ma vie, c’est ici en France. »
« A quelle période tu es revenu ? Où ? »
« En 91, à « la banane », à Clair Soleil »
« Tu avais quel âge quand tu es revenu ? »
« Pile pour mes 18 ans. J’avais des soucis pour mon service militaire, pendant près de 10 ans je n’ai pas pu rentrer en Algérie, sinon je risquais de me retrouver dans une caserne au fin fond du désert. »
« En Algérie, quelle image tu avais de la France à 11 ans ? »
« Ma représentation de la France ? Il y avait les souvenirs de gamin. Je me suis aperçu qu’il n’y avait pas beaucoup de loisirs, donc j’ai beaucoup lu. Mon frère avait apporté des cartons de bouquins, je me suis fait ma culture. J’ai lu Molière, plein de choses que je n’aurais pas faites à Bethoncourt. J’ai lu des encyclopédies, c’est ce qui a construit une image idéalisée de la France. Plus la télé, le cinéma, ça fausse un peu les cartes. »
« Est-ce que tu as regretté d’être revenu en France ? »
« Non, non ! Ca a toujours été très clair ! Mais ça a été difficile, il y a eu la période de guerre civile, de 94 à 99, des gens de ma famille sont morts, je ne les ai jamais revu, c’est un regret. Je suis arrivé un peu décalé, avec une image un peu faussée, idéalisée, je tombais des nues. »
« Tu voulais retourner en Algérie ? Tu l’as fait ? A quelle occasion ? »
« Oui, j’y suis retourné après 12 ans pour le décès de mon père, ça a été très fort. »
« Ce séjour m’a permis de digérer plein de choses. Etre un français d’origine algérienne en France, qu’est-ce que ça représentait ? Il y a de la haine que j’ai réussi à évacuer, des humiliations, des réflexions racistes. Par exemple, j’étais un petit jeune, mais j’ai refusé quand un patron m’a dit on va t’embaucher, mais sur ton badge on va mettre Joachim au lieu de
Hakim. Avec le temps, l’âge, je suis plus au clair avec tout ça. »
« Avec toute ta richesse, ta double culture, je parlerais bien de la transmission … Certains se sentent le cul entre 2 chaises, d’autres me disent, non, je suis bien dans mon canapé, mais les discriminations existent toujours. »
« Maintenant je me dis, oui, c’est un canapé, c’est une richesse, avant, cette double culture, je le vivais comme un fardeau. »
« Est-ce que tu te dis, ça, il faut que je le transmette à mes enfants ou à d’autres personnes ? »
« J’ai envie que mes 2 enfants sachent d’où ils viennent, qu’ils parlent l’arabe. J’ai aussi envie que les pères racontent par où ils sont passés. C’est important qu’on le sache, pour resituer dans le contexte, pour les futures générations. Ils ne sont pas arrivés comme ça ! »
« Comme un témoignage, une vigilance, une reconnaissance ? »
« Oui, c’est aussi ça. Mon père a construit l’hôpital Jean Minjoz. Tous ces gens ont participé à la construction de Besançon, c’est important qu’on le reconnaisse. Ils ont leur mot à dire, leur page à écrire, par son, par vidéo, ils ont droit à leur chapitre. »
Témoignage d’Hakim, coordonnateur pour le centre social MJC Clair Soleil au sein du centre Martin Luther King. Réalisé par Aurélien Bertini
Algérie
Bethoncourt, France