J’avais de plus en plus l’impression que j’étais son esclave

Mme T. est née au Cameroun en octobre 1972. Issue d’une famille de cinq enfants, elle a fait ses études au Cameroun, et y a travaillé comme institutrice puis surveillante dans des lycées. Elle avait deux enfants de 11 et 17 ans.


« Ma vie au Cameroun se passait normalement. Puis, un jour, une amie d’enfance qui est mariée dans le Jura, ici, en France, m’a présentée à mon mari. Il est agriculteur, et c’est au Salon de l’Agriculture à Paris que mon amie, femme d’agriculteur exposant au salon, a rencontré ce M.. Il a été impressionné par son attachement au travail agricole, et il lui a demandé si elle n’avait pas une amie camerounaise à lui présenter pour l’épouser.

Mon futur mari est ainsi venu me voir au Cameroun, où nous nous sommes rencontrés deux fois de suite. Il m’a déclaré son amour et ses intentions, et nous nous sommes mariés là-bas. Tout allait bien, il me promettait de belles choses, j’ai pensé que mon bonheur était là, avec ce prince charmant qui venait de France pour m’épouser et m’amener dans son pays… la France !

Hélas, quand je suis venue habiter ici, dans un village à côté de Besançon, en janvier 2010, dans sa ferme, ce n’était plus du tout le même homme. Il avait changé du tout au tout. Il ne parlait plus, se fermait, et j’avais l’impression qu’il regrettait ou subissait notre relation. Il a des champs, et élève des vaches ; il me donnait l’impression que je n’étais là qu’à son service. J’avais de plus en plus l’impression que j’étais son esclave.  Me parlant du travail de sa ferme, il m’a dit que ses revenus ne pouvaient pas lui permettre de me salarier. Il m’a proposé de me payer « en nature », ce que je ne comprenais pas. Ce n’est pas ce qui avait été convenu, car j’avais laissé mes deux enfants au Cameroun où ils étaient scolarisés et, dans ces conditions, je ne pouvais plus ni m’occuper d’eux, ni contribuer à leur entretien. Comme j’insistais, il m’a fait comprendre que le travail de la ferme n’était pas un travail de femme. Je lui ai dit que je voyais pourtant à la télévision des femmes travailler à la ferme avec leur mari, sans oublier mon amie, femme d’agriculteur, par laquelle il m’avait connue. J’ai encore insisté, demandant comment je pourrais lui donner un coup de main. Il m’a demandé de mener les bêtes dans les champs et de les rechercher le soir. Lui, il les trairait. Je lave la salle de traite, je lave le tank à lait, je fais sortir les vaches, je donne à manger aux petits veaux… J’ai essayé de lui faire comprendre que c’était beaucoup de travail, tout cela, sans être rémunérée : j’ai  alors refusé d’amener et de ramener les vaches aux champs. Ce travail, je l’ai fait pendant neuf mois.

Ma vie de couple était bizarre. Je n’ai jamais su ce que gagnait mon époux, ni ce que quoi que ce soit lui coûtait. Il a fallu que je me batte pour que ma situation administrative (mon titre de séjour) soit régularisée. Il ne voulait pas me donner d’argent, ni pour les timbres fiscaux, ni pour prendre le bus. Mon village est un bourg isolé, il n’y a pas de transport en commun. J’allais à pied, et toute seule, à Besançon pour mes démarches administratives. Quand je lui dit que je voulais travailler, il a haussé les épaules et n’a rien dit, bref, je me suis débrouillée toute seule pour aller au Pôle Emploi et faire mes recherches…

Quand je revenais de la ville, la maison était fermée à clef, j’attendais dehors car je n’ai pas les clefs de notre maison. J’étais vraiment isolée, car tout le village se méfiait de lui. Il a coupé toute relation avec sa famille et ses voisins. Jamais personne ne venait chez nous.


J’avais constaté qu’avec le temps cela empirait. Le pire, c’est qu’il exigeait de coucher avec moi, le matin, à midi, le soir, la nuit. J’étais exténuée, j’avais la nette impression d’être son esclave dans les travaux de la ferme, et sexuellement.

Un jour, j’ai reçu par courrier sa requête de divorce. Son avocat m’en informait, par courrier, et lui ne m’avait jamais parlé de divorce ! C’est alors que je me suis rapproché des associations « Solidarité Femmes » et « La Cimade ». J’ai aussi rencontré une psychologue à l’hôpital Saint Jacques.

Je ne vis plus avec mon mari. Je suis hébergée et suivie par l’association « Solidarité Femmes ». Je suis partie parce que, après ces neuf mois de vie commune, je n’en pouvais plus. Ma vie conjugale était un calvaire, mes enfants étaient dans la misère au Cameroun, alors que ce n’était pas du tout cela qu’il m’avait promis. J’étais sexuellement harcelée par un mari qui continuait à vouloir coucher tout le temps avec moi, alors qu’il demandait un divorce en catimini.

Nous nous sommes séparés. Je suis en formation à l’A.F.P.A., où je fais un stage de formation d’agent de cuisine. Pour ce qui est de ma situation administrative, la Cimade m’aide à obtenir un titre de séjour définitif de vie privée et familiale.

Il faut dire que la loi prévoit pour une conjointe de Français comme moi, qu’en cas de rupture avant trois ans de vie commune, le titre de séjour est supprimé ; et je devrais quitter le territoire français, bref, être expulsée. Dans mon cas, la rupture étant due à des violences psychologiques, le Préfet doit statuer sur mon titre de séjour : ce n’est pas une décision automatique qui s’applique, c’est une décision discrétionnaire.

Je ne sais pas comment tout cela finira. Je me sens victime d’une injustice, car voilà quelqu’un qui m’a tout fait lâcher au Cameroun : mon travail, mes enfants, et qui n’a pas tenu ses promesses… A l’heure actuelle, je suis en train de m’intégrer. J’ai toujours cette belle image que j’avais et que j’ai de la France. Il y a une bonne organisation sociale ; j’ai été prise en charge par des structures qui pallient des dérives comme le comportement de mon époux. Un proverbe chez moi dit « qu’une seule dent pourrie pourrit toute la bouche », mais, pour moi, mon époux et son comportement ne représentent pas la France et les Français. »

Propos recueillis par François Zoomevelée, février 2011

Cameroun

Besançon, France

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