Je ne pensais pas que je partirais pour toujours

Je suis née à Supersano à 40 km de Lecce dans les Pouilles au sud de l’Italie. Supersano est un village de 5 000 habitants où entre 11 et 15 ans j’ai surtout appris à broder, mais de temps en temps j’allais aussi ramasser des olives.


J’ai arrêté l’école à 11 ans, car l’argent manquait à la fois pour mes parents mais aussi pour l’école : après la guerre il n’y avait pas de travail, pas d’argent, personne ne payait des impôts donc l’Etat et les communes étaient pauvres, elles ne pouvaient pas aider les parents voilà. Mais mon père lui a toujours travaillé, il était entrepreneur de maçonnerie, une année il a construit la cure dans notre village, un truc plutôt luxueux, mais il n’a été payé que 2 ans après la fin des travaux. C’est comme ça qu’il est venu en France en 1954, l’argent manquait, il a passé un test de compétences à Lecce, sur la construction et la lecture de plan.

Dentelle au crochet effectuée par sa mère Lucia Petracca à 80 ans en Italie

Nous, ma mère et mes sœurs, on est venues en 1956. Pendant ce temps mon père et mon frère ont vécu dans une chambre rue du Refuge, c’étaient des chambres qui appartenaient à l’entreprise de maçonnerie Varini, où ils travaillaient. Pendant 2 ans ils se sont nourris de pâtes et de patates parce qu’ils n’avaient jamais fait la cuisine avant. Dans les autres chambres aussi ils étaient 2 et souvent y avait pas de lien de parenté entre eux, c’était comme ça. Quand nous on est arrivées, ma mère a demandé à mon père de trouver un logement avec des WC et une salle de bain comme on avait en Italie, mais c’était difficile de trouver ça à Besançon à l’époque, si bien que mon père a trouvé quelque chose à Chatillon le Duc qui était moins développé qu’aujourd’hui. Ma mère s’est sentie très isolée elle pleurait tous les jours, on le voyait bien quand on rentrait tard du travail le soir.
Puis heureusement on a déménagé dans un HLM à Montrapon et là y avait au moins une autre italienne des Pouilles avec qui elle pouvait aller en courses etc… c’était déjà mieux.
Nous les filles, sauf ma sœur aînée qui était déjà mariée, on travaillait dans une entreprise de textile, où j’ai commencé à travailler 2 mois après mon arrivée, c’était facile d’obtenir les papiers à l’époque. On faisait au minimum entre 42 et 50 h par semaine bien sûr au-delà de 42
c’était payé en heures supplémentaires, mais quand même on n’était pas riches. Je cousais des poches toute la journée. C’est pas un métier mon vieux hein….

Quand j’ai quitté l’Italie je pensais pas que je partirais pour toujours, c’est ce qu’on pense tous, on pense qu’au bout d’un certain temps on retournera là-bas puis après ça change….
Le plus dur ça a été de s’habituer au climat, il faisait froid, et puis aussi la langue… c’est très dur et très humiliant quand on ne peut pas s’exprimer, j’ai appris à parler toute seule, j’avais amené un livre depuis l’Italie pour la prononciation, mais ça suffit pas donc j’ai appris en allant travailler à l’usine, mais avec le bruit des machines et comme y avait beaucoup d’italiennes j’ai appris moins vite que mon mari qui a toujours travaillé avec des français… mais au bout de 56 ans je me dis que je parle encore pas bien français, je le vois bien quand je
joue au scrabble avec des français souvent je fais des fautes, mais des fois c’est eux qui en font et ça me rassure… La langue elle tue les gens, si, c’est blessant, dans le sens que l’autre personne elle croit que tu es bête, y a beaucoup de gens qui croient ça. Une personne très pauvre peut-être que dans sa vie elle a pas eu de chance, la chance ça fait beaucoup….
Mon frère s’est marié avec une française qu’il a rencontrée ici au bal à Besançon, moi ça m’aurait rien fait d’épouser un français mais j’en rencontrais pas et puis il y avait le problème de la langue, ça coupe tout hein. Alors j’ai épousé un italien que j’ai rencontré le 14 juillet à la fête en ville, on faisait toutes les fêtes hein puisqu’on avait pas la télé, on sortait le dimanche en ville et on se rencontrait entre italiens tout ça on bavardait… On s’est fréquenté 5 ans parce que mon mari donnait sa paie à sa maman pour faire le trousseau à ses sœurs et c’est avec ce qu’il gagnait le samedi et le dimanche qu’on s’est mariés et qu’il s’est acheté une voiture…
On n’a jamais eu de problèmes avec les papiers parce que la France demandait de la main d’œuvre, c’était des accords faits avec l’Italie, la main-d’œuvre étrangère c’est eux qui ont bâti la France, ils se sont retroussé les manches et ils ont travaillé samedi dimanche, il faut le vouloir hein au lieu de rester avec leurs familles pour faire les beaux…

Peu après qu’on s’est marié, mes beaux-parents sont retournés définitivement en Italie mon beau-père avait presque 60 ans hein, mais ils avaient encore 2 gamins jeunes…
On est les seuls de notre famille à nous être expatrié pour le travail… et ça n’a pas toujours été bien accueilli par certains oncles ou tantes qui sont restés en Italie. Pour eux c’était un déshonneur hein !!! il aurait fallu rester et vivre comme on pouvait….
Mes parents sont retournés vivre en Italie parce que ma mère avait gardé une maison à elle là-bas, et puis ils avaient aussi gardé un appartement à Besançon, il vivaient une partie de l’année ici et une partie là-bas, selon le climat d’ailleurs en hiver par exemple ils allaient là-bas….

Depuis la mort de mes parents et de mon mari je ne vais pas souvent en Italie, l’an dernier ça faisait 6 ans et j’y suis allée parce qu’un neveu de mon mari se mariait à Foggia, et puis aussi cette année parce que 2 de mes filles qui habitent en Guyane sont venues en Europe et elles ont voulu y aller… c’était bien, parce que quand je retourne en Italie je vais voir mes tantes, les gens qui m’ont aimée voilà, ma mère devait s’occuper de ses frères et sœurs quand on était petits parce qu’elle était orpheline de mère, donc c’est mes tantes qui nous emmenaient à la mer qui nous ont appris à nager….

Je suis de nationalité français depuis 1976 et ici je me sens bien, bien sûr l’Italie c’est toute  notre enfance notre sang mais ça s’arrête là, l’origine c’est qu’un mot, ici c’est mon piédestal donc je suis française un point c’est tout…
Mes enfants parlent un peu italien celles qui ont fait des études d’italien elles savent, nous on leur parlait pas beaucoup en italien mais on allait en Italie et elles entendaient la langue, nous on parlait français mais y avait quand même des mots en italien qui échappaient mais de parler entre nous ça nous a aidés à parler plus vite…
J’ai jamais été maltraitée parce que j’étais étrangère mais je trouve que les français à l’époque ils étaient des faux-jetons, j’avais une copine à l’usine qui voulait pas reconnaître qu’elle était copine avec moi, par devant elle était souriante et tout mais si des français lui demandaient si on était copines elle disait que non et ça ça m’a énervée enfin vexée plutôt

Moi je dis de l’immigration si on doit les aimer y restent si on doit pas les aimer y faut les renvoyer parce que je veux dire ils les font travailler au noir autour de Paris ils leur donnent de l’espoir pour une embauche mais ça n’arrive jamais, ils faut les punir ceux qui font ça, s’il est là le pauvre on l’accepte on lui donne du boulot sinon si on peut pas le garder il faut le renvoyer… c’est trop dur pour l’être humain, on leur donne de l’espoir… il faut pas donner de l’espoir c’est trop dur….

Témoignage de Maria Rita LOCURCIO, recueilli par Gigliola Borin.

Supersano, Lecce, Italie

Besançon, France

Votre navigateur est dépassé !

Mettez à jour votre navigateur pour voir ce site internet correctement. Mettre à jour mon navigateur

×